Mangeront-ils ?
ou Hugo l’Africain
Le Théâtre en Liberté
Mangeront-ils ?
par des acteurs africains ?
La princesse Janet s’est réfugiée avec son amant, lord Slada, dans un cloître en ruine pour échapper à la convoitise du roi de Man. Ils sont piégés dans cet asile dont les fruits et les fontaines sont empoisonnés. Sortir, c’est être prisonniers ; rester, c’est mourir de faim.
Cependant, Zineb la sorcière prédit au roi que son destin est lié à celui d’un va-nus-pieds, Aïrolo, condamné à mort par la justice royale et qui s’est juré de sauver les amants de la faim et des griffes du roi. Le roi le fait aussitôt libérer, car " s’il meurt, tu mourras ".
Dès lors, le chat devient la souris dans les pattes d’Aïrolo. À l’issue de cette drôle de comédie politique, les amoureux seront rendus à leurs amours et pourront régner.
Un banquet comblera leur fringale, mais se souviendront-ils qu’ils ont eu faim ?
Julien Téphany place cette fable pleine d’un humour en liberté dans la bouche d’ombre d’une troupe qu’il a réunie au Mali, à Bamako. L’intensité du lien entre le public et Hugo tient depuis toujours à un mélange de familiarité et de distinction, qui est au cœur de tout véritable théâtre populaire.
Qui, mieux que Hugo, serait digne d’incarner l’ouverture du théâtre sur les promesses du métissage et d’une fusion des cultures ?
Qui mieux que Hugo l’Africain ?
Le Théâtre en Liberté de Victor Hugo est un ensemble théâtral écrit dans les années 1865/1870 par l’exilé de Guernesey.
Ce divertissement à usage personnel comporte Mille francs de récompense, L’Épée, L’Intervention, La Forêt mouillée, Les Jumeaux, La Grand-mère, Maglia, Les Gueux, des projets de comédies, un drame en vers, Torquemada, et une comédie en vers, Mangeront-ils ? Si Torquemada reste digne d’un opéra verdien, toutes ces pièces, courtes ou longues, ont en commun d’être des fantaisies débarrassées de certaine forme d’hugolisme qui peut justifier, sans doute, le fameux hélas d’André Gide…
Mais Hugo prit en ces premières années à Guernesey un tel congé d’avec lui-même et de telles libertés, précisément, avec les formes qui lui étaient chères, qu’il préféra enfermer toutes ces pièces dans une malle et jouer du paradoxe en les plaçant ainsi en liberté… Pour l’avenir sans doute ? Depuis de nombreuses troupes et metteurs en scène se sont attaqués à cette œuvre à part et, en particulier, à la plus connue d’entre toutes : Mille francs de récompense. Parmi eux citons, entre autres, Hubert Gignoux qui découvrit la pièce dans les années 60, la compagnie Théâtre en Liberté dirigée par Arlette Téphany et Pierre Meyrand qui tourna longtemps en France et en Afrique, ou encore Beno Besson qui en fit un succès à Chaillot.
De mémoire de spectateur (privilégié ou anonyme), et pour l’avoir déjà abordé comme tout jeune metteur en scène, la rencontre du poète Hugo en liberté avec le public est unique : il nous fait partager, dans une complicité immédiate et brillante, l’humour, la liberté légère du propos, l’illusion amoureuse, la cruauté de la misère, la vision poétique à travers la grâce de la langue. Dans son Théâtre en Liberté, Hugo est comme un musicien de jazz qui improviserait brillamment autour du même thème: la liberté.
2002 : Hugo revient vers nous à travers le bicentenaire de sa naissance. Sans pratiquer le culte des commémorations, pourquoi ne pas saisir cette occasion pour renouer ce lien d’intelligence avec ce que nous pressentons comme étant le public vivant de Victor Hugo : l’Afrique et les Africains ?
C’est dans cet esprit que nous proposons cette autre pièce du Théâtre en Liberté, Mangeront-ils ? dont le titre à lui seul semble déjà destiné au continent noir… Pourquoi cette intuition ?
Il s’agit d’un conte féerique aux confins du fantastique, animé par un va-nus-pieds à la fois Ariel et Puck, une sorcière à l’agonie qui proclame le triomphe de l’animisme, un roi pas content et son conseiller sournois. Plus deux amoureux enfermés dans un cloître, à l’image de la famille Hugo exilée à Guernesey loin d’un autre despote pas content, Napoléon le Petit.
La pièce place ses personnages au cœur d’une nature venimeuse. En proposer une interprétation africaine n’est pas un caprice astucieusement moderne : si l’on veut sincèrement célébrer Hugo à l’occasion de son bicentenaire et si l’on est vraiment attiré par une expérience artistique et humaine au service du théâtre africain, Mangeront-ils ? est la seule pièce évidemment africaine de Victor Hugo. Et les artistes que nous souhaitons réunir autour de ses alexandrins sauront s’approprier cette idée et donner vie, par leur génie propre, à un texte à la fois élémentaire et supérieurement élaboré.
C’est donc en toute liberté que nous abordons cette œuvre magique, armés de la devise d’Aïrolo : Mon chez-moi c’est l’espace, et Rien est ma patrie.
Donc, pas de mur, mais un spectacle de plain-pied, de plein vent, qui libère l’imagination et la participation du spectateur. Il s’agit de créer autour de Hugo un attroupement comme autour d’un acrobate. Ici c’est avec la langue, les images, les sentiments, que s’amusent les jongleurs. Aïrolo est un athlète du langage qui se joue de la pesanteur comme un oiseau : il faut tenter de le suivre en servant les vertus orales, polémiques, humoristiques de l’œuvre.
C’est en plaçant cette fantaisie pleine d’humour dans la bouche d’ombre d’une troupe réunie au Mali, à Bamako, que nous espérons retrouver cette veine moderne qui fait aimer Hugo du peuple, et du public : son mélange de familiarité et de distinction. Qui mieux que Hugo serait digne d’incarner l’ouverture du théâtre sur les promesses du métissage et d’une fusion des cultures ?
Qui mieux que Hugo l’Africain ?
Julien Téphany
106, rue Brancion 75015 Paris