Mariage (s) - Hyménée / La Noce

du 28 novembre 2005 au 5 mars 2006

Mariage (s) - Hyménée / La Noce

A cinquante ans d’intervalle, les deux dramaturges russes Gogol et Tchékhov se saisissent du rituel le plus codifié pour dénoncer les hypocrisies, les égoïsmes et les étroitesses de leur société. Sous des dehors bouffons, la satire est impitoyable : sexe, mensonge et imbroglio.

Note d'intention
Hyménée de Gogol
La Noce de Tchékhov
En Russie à l’époque de Mariage(s)…

  • Note d'intention

N’est il pas paradoxal d’évoquer la vérité à propos d’un théâtre dont la veine comique est si puissante ?

Le comique, on le sait, accentue, charge, déforme, décale la réalité. Les deux pièces russes, Hyménée de Gogol et La Noce de Tchékhov, nous placent au cœur de la contradiction : on y voit des caractères empreints d’authenticité mais croqués avec l’œil de l’humoriste dans le rythme du vaudeville. C’est qu’ils sont emportés dans une démence dont ils n’ont même pas conscience. Une sorte de vertige verbal saisit les personnages, tous plus ou moins obsessionnels, et les entraîne vers une conduite absurde ou même délirante.

Nous sommes cependant ici loin des intrigues savamment narrées, des mécaniques huilées à la Labiche. Les personnages, observés dans leurs petitesses et leurs ridicules mais aussi dans leur vérité intérieure, sont dessinés avec justesse, pris sur le vif comme pour une photographie par des critiques féroces. Tel est le théâtre de Gogol et celui de Tchékhov qui fustigent avec la même réjouissance, la médiocrité, la vulgarité, les intérêts matériels et mesquins.

La satire s’exerce sur toutes les catégories sociales mais en particulier sur le petit monde des fonctionnaires que connaît très bien Gogol, le premier à porter sur la scène russe le réalisme des caractères. Et le travail sur la langue de Tchékhov comme son comique sont bien dans le prolongement de l’écriture de Gogol.

Il était tentant de réunir les deux pièces en un seul spectacle enchaîné en trois actes, Aplombov, le marié de La Noce prolongeant l’histoire de Podkoliossine, le prétendant hésitant de Gogol.

Mariage(s) où à défaut d’amour on ne parlera que d’argent et de dot,
Mariage(s) où le rituel social rigoureusement codifié enferme les protagonistes sans leur laisser d’issue,
Mariage(s) où la folie confine au fantastique à moins qu’elle ne se fige dans des masques à la Ensor.

Anne-Marie Lazarini

« Le mariage, c’est quelque chose de… » dit l’un des prétendants d’Hyménée (1842). Gogol, l’espace d’un blanc dans une réplique, ouvre une brèche dans une affaire sérieuse. Le jeune marié dans La Noce (1890) de Tchékhov affirme « Le mariage est un acte sérieux ! ». Il n’y a déjà plus que lui pour y croire !

A cinquante ans d’intervalle, les deux dramaturges russes se saisissent du rituel le plus codifié pour dénoncer les hypocrisies, les égoïsmes et les étroitesses de leur société. Sous des dehors bouffons, la satire est impitoyable : sexe, mensonge et imbroglio.

La cérémonie du mariage (ou celle de la demande en mariage) concentre en elle toutes les contradictions des représentations sociales : l’intime y est confronté aux images stéréotypées du désir, du féminin et du masculin. Elle joue comme un formidable révélateur d’une société étouffante, sournoise et grimaçante.

La machine à marier fonctionne alors comme une machine à masques, une machine à théâtre, une machine à délire propre à faire exploser par le rire, la sclérose et les verrous.

Anne-Marie Lazarini et Sylviane Bernard-Gresh

Haut de page

  • Hyménée de Gogol (écrit de 1833 à 1842)

En 1833, après avoir écrit une série de nouvelles concernant la vie en Ukraine, Gogol est travaillé par l’idée d’une comédie. Il cherche « un sujet innocent dont un commissaire de police ne s’effarouche pas ». Il esquisse une histoire de petits propriétaires fonciers avides de riches mariages. Intitulée Les Prétendants, elle est l’ébauche de Hyménée. On y trouve déjà tous les types comiques, sauf celui du héros principal, Podkoliossine.

Il semble qu’en 1835, il envoie le manuscrit d’Hyménée à Pouchkine et lui demande son avis. Puis en 1836, alors qu’il parle de fuir à l’étranger, il annonce en même temps qu’il a réécrit Hyménée et que « cela commence à ressembler à quelque chose ». Il reprend encore son texte en 1839 en vue de l’édition de ses œuvres. En 1840, il en est déjà à la quatrième version.

Il n’en achève définitivement la rédaction qu’en 1842 et la pièce est représentée pour la première fois le 9 décembre au théâtre Alexandrine de Pétersbourg. C’est un échec : les acteurs s’efforcent à tort de chercher dans cette suite de scènes volontairement décousues, des motivations psychologiques et des enchaînements plausibles.

Le 5 février 1843, le grand acteur Stchepkine parvient à imposer Hyménée à Moscou. Créée au théâtre Marly, la pièce reçoit un succès d’estime et part en tournée.

Hyménée reste le premier exemple en Russie d’un théâtre dont le réalisme privilégie les types sociaux, les situations décalées où l’absurde pointe son nez plutôt que les intrigues savamment nouées des vaudevillistes de l’époque.

(d’après le Cahier du Nouveau théâtre d’Angers n°28 - 1994)

Haut de page

  • La Noce de Tchékhov (écrit en 1889, en quelques heures…)

A la suite de l’échec cuisant de la première version d’Ivanov, Tchékhov se voit reprocher de « traiter trop dédaigneusement et la scène et les règles dramatiques » (Lenski). Il annonce alors qu’il n’écrira plus pour le théâtre, sinon des petits levers de rideau comme La Noce, qu’il vient précisément d’achever en quelques heures…

La Noce , comédie miniature aux personnages nombreux, est l’une des plus célèbres pièces en un acte de Tchékhov. Il s’est servi de plusieurs textes antérieurs : un sketch humoristique, la Saison du mariage (1881), et deux nouvelles de 1884, Un Mariage d’intérêt et Mariage avec un général. Il faut ajouter la documentation de première main que lui fournirent en 1885 les mariages bruyants qui se tenaient à Moscou dans l’appartement au-dessus du sien, qui était souvent loué à cet effet. Dans ces cas là, la famille de Tchékhov organisait parfois des mariages pour rire et se mettait au diapason du bruit de l’étage au-dessus, portant des toasts et dansant frénétiquement sur la musique venue d’en haut.

 La pièce est une satire hilarante sur les mariages tels qu’ils se pratiquaient chez les boutiquiers et où il fallait toujours un général, engagé pour l’occasion.

Editée pour la première fois en 1890, la pièce subit des retouches en 1900 lors de la préparation de l’édition des Œuvres chez Marx.

(d’après Tchékhov de J. Simons et Tchékhov de Daniel Gilles)

Haut de page

  • En Russie à l’époque de Mariage(s)…

« La situation des acteurs russes est pitoyable. Alors que sous leurs yeux frémit et fourmille une population bien vivante, on leur fait jouer des rôles dont ils n’ont jamais vu les originaux. (…) De grâce, donnez-nous des caractères russes : donnez-nous nos semblables, nos originaux, nos fripons ; mettez-les sur la scène pour le divertissement de tous !  »
(Gogol, Notes sur le théâtre à Saint-Pétersbourg)

Deux figures types de la société russe ont été largement utilisées dans la littérature de l’époque et leur « caricature » est particulièrement réussie dans Hyménée et La Noce… même si un demi-siècle sépare ces deux pièces…

- Les Fonctionnaires

Pierre Le Grand avait imposé des réformes importantes au corps des fonctionnaires. Non seulement il institue le port de l’uniforme obligatoire (uniforme vert, avec insigne du grade et ministère de rattachement), mais en 1722 il réorganise la fonction publique sur le modèle de l’armée : le tchin règle toutes les questions de respect et de préséance, du grade 1 er de Chancelier au 14 ème de Régistrateur de collège en passant par le 8 ème d’Assesseur de collège. Ce modèle d’organisation se révèle parfaitement inefficace dans la Russie du XVIII ème et du XIX ème siècle.

Ces fonctionnaires sont pour la plupart pusillanimes, irresponsables, bien moins préoccupés du service public que de leur propre carrière, méprisants avec les humbles, serviles avec les « personnages importants ».

Gogol lui-même occupe en 1829 et 1830 deux postes modestes dans des ministères et c’est en connaissance de cause qu’il écrit dans Le Manteau : « Le régistrateur de collège devait faire son rapport au secrétaire de province, le secrétaire de province s’adressait au conseiller titulaire ou à quelque autre fonctionnaire, et ainsi de suite, en passant par tous les degrés de la hiérarchie. C’est ainsi que les choses se passent dans notre sainte Russie : chacun y joue au chef et copie son supérieur ».

Le vocable officiel pour désigner le fonctionnaire, tchinovnik, est devenu une injure en Russie soviétique.

Si les écrivains n’étaient guère respectueux des fonctionnaires de haut rang, les grades inférieurs étaient nettement les plus comiques : la seule mention de « conseiller titulaire » (9 ème grade) préparait les spectateurs à un événement burlesque.

- Les Marchands

 Les marchands représentaient, dans la société russe, une classe à part, qui comprenait aussi bien des propriétaires d’usines que des commerçants. Ces hommes d’affaires ne formaient pas un ordre social au même titre que le clergé et la noblesse, car leur statut était précaire. Il n’était pas héréditaire et s’obtenait par le paiement des cotisations dues pour être admis dans l’une des deux guildes, la première réservée aux riches, y compris ceux qui s’occupaient du commerce avec l’étranger, la seconde aux professionnels plus modestes. Lorsqu’un marchand ne pouvait plus payer sa patente, il redevenait bourgeois ou paysan.

Les marchands constituaient, aux côtés du clergé et de la paysannerie, la partie la moins européanisée de la nation. Ils avaient de grandes barbes et portaient la raie au milieu. Les plus conservateurs s’obstinaient à se vêtir d’un long habit noir croisé boutonné jusqu’à la taille dans le style russe traditionnel, alors que les gentilshommes s’habillaient déjà à l’européenne. Les marchands ne parlaient généralement que le russe et ne savaient parfois ni lire ni écrire, mais on aurait payé cher l’erreur de les prendre pour de piètres négociants. Nombre de ceux qui réussissaient brillamment étaient des « vieux croyants », et, selon l’ancienne coutume moscovite, ils tenaient leurs femmes et leurs filles à l’écart de la vie sociale.

Ils étaient fort hospitaliers et donnaient de coûteux banquets où l’on servait à volonté esturgeon et champagne et auxquels participait, à l’occasion, un haut fonctionnaire ou quelque général, pour créer l’ambiance. Les riches marchands se faisaient construire des maisons minutieusement agencées, achetaient fort cher de superbes miroirs, des pianos à queue dont nul ne se servait jamais, et d’autres meubles de prix. Tout ceci n’était que parade, car, lorsqu’ils ne recevaient pas, ces hôtes fastueux se contentaient d’occuper, avec leur famille, quelques pièces minuscules dans un coin de la maison.

(d’après Les Ecrivains russes et la société 1825/1904 de Ronald Hingley, Hachette)

Haut de page

Vous avez vu ce spectacle ? Quel est votre avis ?

Note

Excellent

Très bon

Bon

Pas mal

Peut mieux faire

Ce champ est obligatoire
Ce champ est obligatoire

Vous pouvez consulter notre politique de modération

Informations pratiques

Artistic Athévains

45 rue Richard Lenoir 75011 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Bastille Librairie/boutique Ménilmontant Restaurant Salle climatisée
  • Métro : Voltaire à 127 m
  • Bus : Gymnase Japy à 84 m, Voltaire - Léon Blum à 119 m, Faidherbe à 318 m
Calcul d'itinéraires avec Apple Plan et Google Maps

Plan d’accès

Artistic Athévains
45 rue Richard Lenoir 75011 Paris
Spectacle terminé depuis le dimanche 5 mars 2006

Pourraient aussi vous intéresser

- 21%
Le Horla

A la Folie Théâtre

- 11%
Comme il vous plaira

Théâtre Hébertot

- 22%
Gargantua

Théâtre de Poche-Montparnasse

La Serva Amorosa

Théâtre de la Porte Saint-Martin

- 32%
- 27%
Le revizor

Théâtre le Ranelagh

Spectacle terminé depuis le dimanche 5 mars 2006