Résumé
Climat et théâtre
Cadrage et décadrage
Le G.R.I.M.E.
Extrait
Mauvais temps est la forme théâtrale d’un programme de recherche et d’investigation sur le réchauffement climatique. Quatre membres du G.R.I.M.E. sont chacun, simultanément, dans quatre lieux différents, devenus pôles d’observation du changement climatique. Quatre paysages pour un multiplex. Une exploration de nos perceptions entre espaces vécus et paysages mentaux. Mauvais temps climatique, mauvais temps chronologique. Mauvais Temps c’est une pièce de théâtre de temps en temps.
Temps # 1
Les origines.
Le réchauffement climatique au théâtre.
Cela fait longtemps que j’y pense.
Partir de la couche d’inversion thermique de cette vallée du Capcir où j’ai travaillé, il y a quinze ans, à la mesurer, à la photographier, à l’analyser, et la transporter sur un plateau de théâtre.
Une envie de revenir à la climatologie en partant du théâtre.
Faire le chemin inverse.
Aller d’où je suis parti pour questionner où je suis.
Je pense à ce marin-pêcheur de Quiberon rencontré lors du tournage du premier film Mauvais Temps : « Je regarde plus souvent le sillage que la proue. »
Laissons le pourquoi.
Pensons au comment.
Je regarde le ciel. Un strato-cumulus menace. Je regarde encore. Un champ s’ouvre. Les images surgissent. De microhistoires me viennent.
Je ferai ce spectacle.
Il s’appellera Mauvais Temps.
Il parlera de changements climatiques.
Temps # 2
Le rapport du G.I.E.C., Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat, organisme dépendant de l’O.N.U. Le changement climatique présenté par plus de cinq mille experts à travers le monde. Les phénomènes sont décrits, analysés, expliqués. La cause est entendue : l’homme contribue au réchauffement climatique de la planète.
Je lis les communications, je regarde les courbes, les tableaux, je compare les années et je m’approche du théâtre. L’homme est partout. Je suis sa trace en montagne, en ville, dans les forêts, dans les champs et dans les océans.
Mauvais Temps parlera d’hommes et de paysages.
Partir des espaces-paysages physiques, traverser les paysages produits et flotter (flâner ?) ensuite au gré des paysages mentaux.
Temps # 3
Le G.R.I.M.E. lance un nouveau programme de recherche et d’investigation. Il s’agit cette fois-ci du réchauffement climatique.
Six membres du G.R.I.M.E. sont chacun, simultanément, dans six lieux différents, devenus pôles d’observation du changement climatique.
Six lieux choisis là où mon désir d’exploration théâtrale de certains phénomènes climatiques rejoint ma propre géographie intime.
Ces pôles seront : le village de Saint-Julien-en-Quint dans le Vercors, l’île de Groix, Aubusson dans la Creuse, un bateau dans le Golfe de Gascogne, Gand (Gent, Belgique) et un pôle bicéphale, Ville-Evrard-La Défense.
Les six chercheurs sont en liaison directe avec le responsable du G.R.I.M.E. seul sur le plateau de théâtre.
Six paysages pour un multiplex. Une vidéo-conférence théâtrale sur le thème du changement climatique.
Six tournages. Des plans-séquences longs. Des interactions multiples entre les membres du G.R.I.M.E.
Les joies du direct. La force de l’image. Quand l’image se substitue à l’explication. C’est vrai puisqu’on le voit. La preuve, vous le voyez. C’est ici. Je vous le montre. Et je vous l’explique. Vous me posez des questions et je vous réponds.
Les membres du G.R.I.M.E. ont beau se parer de toute l’objectivité scientifique dont ils sont capables, avec force croquis, discours, vidéos et documents, leur démonstration dévoile ce qu’ils sont : une entreprise de manipulation et de falsification des faits et des événements.
Et l’acteur qui nous parle en direct du plateau du Vercors sur l’un des trois écrans géants suspendus sur la scène du théâtre, entre en scène.
Et parle à son « autre ».
En direct.
Avec les acteurs au plateau, de nouveaux espaces se créent et les paysages mentaux peuvent alors s’inventer et se déployer.
Mauvais temps climatique, mauvais temps chronologique.
Mauvais Temps c’est une pièce de théâtre de temps en temps.
Je me souviens de mauvais temps si bons.
Frédéric Ferrer, août 2005
Part 1
Mauvais Temps est avant tout le résultat d’une envie. Envie de revenir aux sources du théâtre, cet extraordinaire outil de conceptualisation et de concrétisation du réel et du rêve réunis. Projet ambitieux et jubilatoire, dans la droite ligne des précédents spectacles de l’auteur et metteur en scène Frédéric Ferrer, La Parole errante (basé sur l’œuvre éponyme d’Armand Gatti) et Apoplexification à l’aide de la râpe à noix de muscade (tiré de la monographie clinique sur le patient anglais James Tilly Matthews), Mauvais Temps investit et investigue les lois de la réalité - les phénomènes tels que nous les percevons -, pour mieux entrevoir les méandres de nos perceptions intimes mêmes. L’équipe du G.R.I.M.E. se reconstitue pour l’occasion, mission étant donnée « d’en haut » de rapporter des informations sensibles sur le vivant aujourd’hui, et plus particulièrement sur les étranges changements climatiques visibles de nos jours.
Objectif : dêméler la pelote de cette chose publique telle qu’elle nous est présentée au quotidien, sous des formes médiatiques de plus en plus nombreuses et diversifiées. Manipulation de la création ou création d’une manipulation ? Info ou intox ? Science amusante ou jeu dangereux ? Les délicates relations entre nos réflexes conditionnés de confiance et nos non moins naturelles paranoïas personnelles sont au cœur de cette recherche approfondie, indispensable aux avancées du savoir contemporain et de l’histoire de l’humanité. Citoyens délégués aux sept coins de la France, acteurs de leur propre devenir comme de celui du spectacle en cours, les tournesolesques intervenants du G.R.I.M.E. vont littéralement explorer les limites de cet espace-temps qui nous contient pour autant que nous en soyons conscients. Temps chronologique, changement climatique, concession métaphysique de notre temps de vie, fugitive obsession du souvenir, durée du spectacle, temps imparti à cette équipe de chercheurs et spécialistes en tout, Mauvais Temps tient tout autant de l’aiguille arrêtée au cadran de la montre chère à Louis Aragon, que de la récurrence de son mouvement chez Orson Welles ou Luis Bunuel - ou même Louis XIV dont il sera ici question, naissance oblige.
Les interviews de nos valeureux citoyens, témoignages plus vrais que nature réalisés en « live » et retransmis sur écrans géants, filtrés par le directeur de ce groupe peu ordinaire, donnent toute matière au spectateur ébahi de se pincer pour vérifier son appartenance à l’instant présent. Ces plans-séquences, preuves manifestes d’une impossible tricherie, ces films diffusés en continu ont tout l’air d’être tournés sur place (c’est-à-dire, à quelque huit cents kilomètres de la rangée de sièges où il se trouve) et projetés à même ses yeux…Mais quelque chose semble pourtant clocher pour ces grenouilles disant la pluie et le beau temps du haut de leur échelle…Vous ne trouvez pas ? Si ce n’est lui qui rêve… alors qui ?
Part 2
Nombreuses sont actuellement les réflexions sur la lâcheté des hommes face à leur propre mort, entraînant le reste de la création dans leur chute. Sisyphes postmodernes embourbés dans leurs contradictions autant que dans les flots d’une nature déréglée par leurs excès, les hommes de notre temps – pour ne pas dire : nous –, prêtent le flanc à une nouvelle forme d’information dans les domaines scientifique, journalistique, médiatique.
Et, une fois n’est pas coutume, cette « mode » intellectuelle parvient à prendre des allures d’engagement au même titre que certains combats avant elle. Pour preuve, le déferlement de chroniques et interpellations émues de savants, hommes de lettres, citoyens, êtres humains avant d’être cerveaux sur pattes montés par le bât d’une rationalité soudainement affolée, serrée de trop près par un progrès en pleine ère glaçaire.
Nouvelle forme d’information ou flash-back existentiel ? Que nous disent nombre de philosophes et scientifiques à travers l’Histoire lorsqu’ils nous invitent à « cultiver notre jardin » à la Voltaire, ou à ressentir plus qu’à comprendre leur conception imagée, sensuelle, des analogies entre nature et corps, puis corps et société, entre cosmos et organisme individuel, entre vivant et musique ? La tradition des dialogues, des aphorismes et des contes ressurgit ainsi épisodiquement – à croire qu’elle n’avait jamais vraiment disparu – grâce à l’imagination de passeurs tous azimuts, démonstrateurs en blouse blanche, criblée de couleurs, ouverte sur un poitrail d’homme, pas de machine.
« Avant d’être un chercheur en astrophysique, je suis un habitant de la Terre et un citoyen du monde. J’ai aussi des enfants, des petits-enfants et des êtres qui me sont chers. Or je suis extrêmement préoccupé par l’avenir de l’homme sur notre planète. La vie a mis des milliards d’années à se développer pour aboutir à cette extraordinaire merveille qu’est le cerveau humain. Une fabuleuse odyssée cosmique qui pourrait fort bien prendre fin par notre faute », écrit Hubert Reeves en toutes lettres, là où son regard nous apprenait déjà ce que nous oublions trop souvent : qu’entre un délégué à la recherche et un voué à la vie, la frontière est si mince qu’elle ne peut arrêter aucun nuage, radioactif ou non.
Combat scientifique, politique, artistique, ontologique… Bientôt en arriverait-on à réaliser que René Descartes lui-même, chers compatriotes et néanmoins cartésiens de déformation, à travers ses études soi-disant exclusivement rationnelles, nous agitait à travers le temps et le royaume de la reine de Suède, Europe, non pas le drapeau d’une nation chauvine et absconse mais le foulard de soie de la liberté - de penser, d’agir, d’être. Dans toute son acception, tragi-comique, profondément humaine.
Entre rire et cauchemar, à travers le mauvais temps déchaîné, faisons confiance à la fidèle révolte de soi à soi du vivant pour ressusciter Albert Camus écrivant, dans la lumineuse pénombre de son théâtre intime, il faut imaginer Sisyphe heureux.
Alexandra Fritz
Le G.R.I.M.E. (Groupe de Recherche sur l’Influence et la Manipulation d’Événements) a été créé en janvier 2001. Il réunit plusieurs spécialistes, issus de différents domaines de la recherche scientifique : historiens, climatologues, physiciens, psychiatres, psychanalystes, spécialistes du renseignement, de la géostratégie…
Les travaux du G.R.I.M.E. portent sur le fonctionnement des réseaux criminels, les constructions mentales qui leurs sont associées, les mécanismes de mise sous influence des hommes et des événements, leurs façonnages et leurs manipulations, les conséquences en terme de paysages produits.
Le G.R.I.M.E. définit des programmes de recherche pluriannuels, en fonction des champs d’investigation et des objets d’étude. Ces programmes donnent régulièrement lieu à des rapports rendus publics sous différents supports de diffusion (écrits, publications, conférences, installations, films, DVD).
Le G.R.I.M.E. est installé à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, où il dispose d’un laboratoire, lieu de travail et d’expérimentation, le Pavillon Tramontane (gracieusement prêté par l’Établissement Public de Santé).
Les programmes de recherche du G.R.I.M.E. :
Programme Espace, Cellule et Réseaux (P.E.C.R.)
Ce programme a été lancé en 2001.
Le P.E.C.R. est un programme de recherche sur les stratégies de mise sous influences des groupes organisés. Il étudie leur architecture interne et leurs modalités opératoires. La première campagne de travaux (2001-2003) a porté sur une micro-cellule historique ayant fonctionné à la fin du XVIIIème siècle et implantée à Londres. Après plusieurs mois de recherche, et de nombreuses missions d’exploration et d’investigation à Paris, Londres Cardiff et Poplar (village au sud de Londres), les chercheurs du G.RI.M.E. ont réussi, grace aux travaux précurseurs de James Tilly Matthews, à révéler l’existence d’une cellule criminelle organisée qui avait construit et mis au point plusieurs machines à influencer les esprits dans le but « d’imprégner » les hommes et de « façonner » des événements à sa convenance. Ces travaux ont permis de mettre à jour son fonctionnement, son architecture interne, la composition de ses membres, ses modalités opératoires, les actions menées, leurs procédés de mise sous influence des hommes et les événements qu’ils ont contribué à créer. L’ensemble de cette campagne de recherche et les résultats obtenus ont fait l’objet d’un premier rapport, Apoplexification à l’aide de la râpe à noix de muscade, rendu public lors de conférences organisées en 2004. Ce rapport sera aussi publié et disponible sous format livre en novembre 2005 aux Editions de l’Archange Minotaure.
Programme Mauvais Temps (P.M.T.)
Ce programme a été lancé en 2004.
Le P.M.T. est un programme de recherche et d’investigation sur le réchauffement climatique et ses conséquences en terme de paysages produits et d’organisation des activités humaines en milieu tempéré.
Ce programme fera l’objet tous les deux ans d’un rapport rendu public sous différents supports de diffusion.
Pour la campagne 2004-2005 :
- Mauvais Temps / théâtre
du 15 décembre 2005
au 22 janvier 2006 à Confluences
- Mauvais Temps / film
tournage en cours,
sortie prévue en 2006
LE DIRECTEUR
Le climat n’est pas modifiable par l’homme. Tout au long de l’histoire de la planète, l’homme - apparu bien après la naissance de celle-ci - a subi le climat tout en s’efforçant de s’y adapter. Mais, ni la circulation océanique, ni l’évolution des nuages, ni la quantité d’énergie solaire reçue par la Terre ne sont maîtrisables par l’homme. Aussi, s’il était établi que l’homme a pu influer sur l’évolution du climat, il ne serait peut-être pas à même de corriger les dérèglements qu’il aurait introduits. Il se serait trouvé à l’origine d’enchaînements de causalités qui le dépassent tant par leur dimension que par la large méconnaissance de leurs mécanismes internes.
Il n’est pas lieu ici d’établir une typologie des conséquences humaines des changements climatiques. Elles sont par trop innombrables. Et elles sont d’autant plus innombrables que le climat subit de grandes variations à l’échelle humaine comme à l’échelle planétaire. Et même si l’on devait réduire l’analyse au temps d’une vie humaine, les accidents climatiques sont tellement nombreux, qu’en décrire les conséquences serait ici une entreprise totalement impossible.
Aussi, afin de bien montrer comment le climat peut influencer la vie d’un homme ou un événement nous avons choisi de décrire un seul exemple. Il s’agit d’un exemple historique. Cet événement a eu lieu le 05 décembre 1637. Ce jour là, le Roi, Louis XIII, se rend de Versailles à Fontainebleau. J’ai préparé une chronologie pour plus de commodité.
Il place un transparent sur le rétroprojecteur (doc. 4 : La chronologie)
Le 28 novembre 1615, Louis XIII et Anne d’Autriche (fille du roi d’Espagne Philippe III et de Marguerite d’Autriche) se marient. Ils ont quatorze ans tous les deux. C’est un mariage arrangé et diplomatique entre la royauté française et les Habsbourg d’Espagne. Anne d’Autriche est pieuse, grande, belle et orgueilleuse. Elle aime la vie mondaine. La voici.
Il place un transparent sur le rétroprojecteur - doc. 5 : Anne d’Autriche (photo de la peinture de Rubens).
Le roi Louis XIII est d’une nature froide, timide et cérémonieuse. Il est introverti et aime la chasse. Voici un portrait de Louis XIII par Rubens.
Il place un transparent sur l’autre rétroprojecteur - doc. 6 : Louis XIII (photo de la peinture de Rubens). Les deux portraits se font face.
Louis XIII ne l’aime guère (il hait l’Espagne) et leur couple ne fonctionne pas. Ils n’ont pas d’enfants et leur stérilité pose un problème de succession. De plus, en 1624, neuf ans après leur mariage, le couple se brouille car Anne d’Autriche aurait une relation (platonique) avec le Duc de Buckingham tombé sous son charme.
En 1637, Louis XIII et Anne d’Autriche sont donc mariés depuis vingt-deux ans et brouillés depuis treize ans. Ils ne vivent pas ensemble et ne se voient plus. La Reine habite seule au Louvre sous la surveillance de Richelieu qu’elle déteste. Que se passe-t-il, donc, le 05 décembre 1637 ? Et bien... ce jour-là... Louis XIII part de Versailles et se rend à Fontainebleau. Voici le chemin de Louis XIII.
Il place un transparent sur le rétroprojecteur - doc. 7 : Le trajet de Louis XIII.
Comme vous pouvez le voir, Louis XIII est obligé de traverser Paris. Or, alors qu’il est dans Paris, un orage violent éclate. Cet orage s’accompagne d’une pluie torrentielle persistante. Le Roi est alors bloqué à Paris. Un capitaine des Gardes lui suggère alors de demander l’hospitalité pour la nuit à Anne d’Autriche. Le Roi se rend donc au Louvre... demande l’hospitalité à Anne... elle accepte... le roi dîne avec la reine... et demeure la nuit avec elle. C’était le 05 décembre 1637.
Le 05 septembre 1638, neuf mois après, Anne d’Autriche donnait naissance à son premier enfant, le futur Louis XIV.
Conclusion : le roi Soleil fut conçu un soir d'orage.
190, boulevard de Charonne 75020 Paris