Présentation
Extrait de
" Les Légendes de Médée et de sa vie ", 1927
La légende de Médée et de Jason trouva sa forme classique chez Euripide. Pour hériter du trône dIolcos, usurpé par son oncle Pélias, Jason doit rapporter la Toison dor. Il gagne la Colchide sur le navire Argo. La prêtresse Médée, fille du roi, éperdument amoureuse de Jason, laide avec ses pouvoirs magiques à surmonter les épreuves qui le mèneront jusquà la Toison. Il lui jure en échange une fidélité éternelle. Pour assurer la fuite des Argonautes, Médée tue son frère et jette les morceaux de son corps dépecé à la mer, retardant ainsi les poursuivants qui doivent recueillir les parties du cadavre pour linhumer. Pélias refusant toujours de céder son trône, elle trouve une ruse pour le faire assassiner par ses propres filles. Jason est vengé mais, à cause de ce meurtre, il doit quitter Iolcos. Quelques années plus tard à Corinthe, Jason, désirant épouser la fille du roi Créon, se détourne de Médée. Celle-ci fait parvenir à sa rivale une robe qui la fera, avec son père, périr dans les flammes. Pour ne pas abandonner ses deux fils dans un monde hostile, Médée les tue et part sur un char tiré par des serpents.
Jahnn a réinventé cette tragédie qui se déroule, comme Penthésilée de Kleist, en un seul acte frénétique ; il reprend, en les accentuant, deux thèmes déjà présents chez Euripide : létrangère (noire !), barbare parmi les Grecs civilisés et la femme bafouée dans un monde gouverné par les hommes. A cela sajoute le problème dune femme vieillissante aux côtés dun homme resté juvénile, lopposition entre les puissants et les esclaves, et surtout celle entre le monde dinnocence des animaux et celui des hommes. Les deux fils ne sont plus de simples figurants, ils vivent leur drame individuel, celui de ladolescence. En outre, Jahnn a imaginé un coup de théâtre, le tournant de la pièce : ce moment où Jason, ayant promis de demander la main de la princesse pour son fils aîné, la demande pour lui-même.
Toute la pièce est portée par une sensualité torride. Le langage semble sortir dun rêve. Comme dans la poésie moderne, les mots sinterpénètrent, se réverbèrent les uns sur les autres, évoquent, suggèrent, bousculant parfois la syntaxe traditionnelle. La forme adoptée est un vers libre, de longueur variable, où prédomine le vers classique allemand, le Blankvers. Jahnn, se sentant lui-même femme (il a féminisé son prénom Henry en Henny), a recréé le mythe de lintérieur. Avec les trois drames grecs de Georg Kaiser, Médée est lune des plus impressionnantes transpositions dun sujet classique au XXe siècle.
René Radrizzani
avril 2000
Extrait de " Les Légendes de Médée et de sa vie ", 1927
Nous tous, êtres humains, avons traversé lhumanité, traversé son sang. Nous portons tous en nous les marques des illuminations et des asservissements cruels. Elles nappartiennent pas au passé, malgré lévolution des coutumes des Européens. Il y a des heures qui nous empoignent, toi et moi. Nous disparaissons comme nos ancêtres. Nous avons des désirs. Nous avons des passions. Nous concevons des crimes.
Quelle femme ignore quen accouchant, elle donne quelque chose delle-même, de sa beauté, à une autre génération dont elle est exclue ?
Pourquoi les Nègres doivent-ils être pour nous des barbares, comme les Colchidiens létaient pour les Grecs ? - Peut-être seulement parce que nous nions lhistoire de lhumanité et ses grandes nostalgies. Si nous réfléchissons à ce que nous sommes, nous oublierons le mot " barbare ".
Hans Henny Jahnn
Texte français René Radrizzani
15, rue Malte Brun 75020 Paris
Station de taxis : Gambetta
Stations vélib : Gambetta-Père Lachaise n°20024 ou Mairie du 20e n°20106 ou Sorbier-Gasnier
Guy n°20010