Meurtre par omission

Paris 18e
du 12 novembre au 10 décembre 2008
1h10

Meurtre par omission

3 sœurs. Leur père est-il mort de la bonne mort ? Un secret familial insupportable. Mort et amour, mort ou amour, bilan de vie, règlement de contentieux, retour d’enfance, tragique et humour, travail de deuil, humanité.

L'horizon en clair-obscur
Note de l’auteur
Entre-deux et éternité
La presse

  • L’horizon en clair-obscur

J’ai lu et relu la pièce de Jean-Pierre Klein. Son style m’évoque celui de Beaumarchais : Les propos échangés par les deux sœurs en présence de celle qui est dans le coma sont alertes, émouvants et denses d’interrogation. Et la grande rigueur imaginative se déroule dans un climat feutré.

Comme dans un double miroir, les dialogues des deux sœurs se croisent se juxtaposent s’interpellent et nous cheminons naturellement vers une conclusion volontairement ambiguë. Le spectateur comme le lecteur peut alors imaginer sa propre existence et sa finitude en tâchant de demeurer en dignité, en liberté, en amour, en espérance.

Dans cette pièce, Jean-Pierre Klein atteint un rivage dont l’horizon est fait de clair-obscur. Ce lettré, cet humaniste et médecin met en lumière les ressorts de conscience et d’inconscience de chacun d’entre nous.

Henri Caillavet

Henri Caillavet, parlementaire de 94 ans, est notamment l’auteur de Mourir dans la Dignité, Robert Laffont, 2000 et de Comment mourir dans la dignité, Pleins feux, 2003. Le texte de la pièce est publié aux éditions de L’amandier (avec Femme d’un certain âge cherche jeune homme).

  • Note de l’auteur

Mort et amour, mort ou amour, bilan de vie, règlement de contentieux, retour d’enfance, tragique et humour, humanité.

Il s’agit d’une veillée, celle d’une sœur aînée et d’une sœur benjamine auprès de la cadette tombée en coma, on ne sait si c’est par ingestion de médicaments, ou spontanément, ou bien en réaction psychosomatique à une faute concernant le père, faute qu’on ignore dans un premier temps.

Chacune va réagir, revisitant son passé et le passé de ses relations au père et à ses autres sœurs.

Les tentations de sacrifice pour la malade, de révolte, de reconstitution d’enfance, de jalousie envers celle que le père a élue pour commettre un crime d’amour suprême, bien plus qu’un inceste, montrant par là que c’est elle qu’il préférait.

Christine, l’aînée, la fille unique jusqu’à l’arrivée de Claire. Elle s’est alors reconvertie en aînée, modèle, raisonnable, conforme à ce qu’elle croyait que l’on attendait d’elle, particulièrement son père. Elle a assumé ce rôle de façon directive et plutôt égotiste : le rapport avec ses sœurs est toujours hiérarchique, il ne fonctionne guère dans l’empathie. Elle conseille, ou plutôt elle dit ce qu’il faut faire. Cette « assurance » masque une vie familiale moins réussie qu’elle ne veut le laisser croire et des tourments intérieurs qui l’ont obligée d’aller en psychanalyse, ce qui n’a eu pour résultat que de la renforcer dans un savoir présumé sur l’inconscient des autres. Elle a surtout pris pour elle les faiblesses de son père, n’y voyant qu’indifférence de sa part, ce qu’elle n’a pas supporté.

Dans le « triangle dramatique » (constitué de la rencontre entre trois rôles : bourreau, victime, sauveur) elle se revendique dans cette dernière posture mettant Claire dans celui de bourreau de leur père qui en aurait été la victime. Mais comment en vouloir à quelqu’un qui est dans le coma ? Christine ne peut en outre s’avouer à elle-même qu’elle jalouse Claire, « l’élue », rôle qu’elle pensait qui lui revenait. Elle est en outre culpabilisée de n’avoir pas rempli son devoir d’assistance de son père souffrant qui aurait eu besoin de sa présence. Elle jalouse Clémence qui a en quelque sorte pris ce rôle de soutien.

Elle finira par tenter de colmater, sans s’en rendre compte, la blessure de n’avoir pas été choisie par leur père pour lui donner la mort, en accomplissant le même rituel à l’égard de Claire, à deux différences près : son meurtre de Claire est passif, par omission, et le désir de mourir est attribué à Claire sans que l’on puisse savoir s’il ne s’agit pas d’un souhait de Christine. Elle s’érige inconsciemment en vengeresse. Peu à peu sa présentation, lisse, se fissure et on comprend qu’elle masque un déchirement profond sous une apparence de droiture et d’une certaine sagesse dans la conformité. Sa violence non assumée se trouve toujours des alibis.

Elle est une héroïne complexe et ambivalente qui n’a rien d’un monstre, elle est agie à son insu par une passion sourde, en particulier pour son père et pour ses sœurs qu’elle continue à considérer comme « les petites », et son acte final s’inscrit dans la continuité de sa vie qui justifie ses positions dures par une abnégation apparente.

Claire existe surtout pour nous à travers les discours tenus sur elle et les interrogations sans réponse qui lui sont adressées qui dévoilent surtout les projections de Christine ou de Clémence. Elle joue en quelque sorte le rôle de révélateur par sa présence muette juste ponctuée de mouvements auxquels il est difficile de donner un sens certain. Enigme vivante (à peine) tant sur le passé avec le père, sur les causes de son coma, qu’en son ressenti actuel. Elle est dans l’entre-deux : l’aînée/la benjamine ; la vie/la mort ; la presque conscience/le coma profond ; l’amour d’autrui/ la haine d’autrui ; l’innocence/la culpabilité.

Clémence, la benjamine, dévouée, oblative, attachée aux valeurs catholiques de son éducation. Elle a toujours été proche de Claire, formant avec elle l’alliance des deux contre l’aînée. Elle a cru que Claire, aussi claire que son prénom, jouait pour elle le rôle de protectrice, d’« aînée proche » beaucoup plus que Christine plus lointaine et plus âgée. C’est l’heure de la déception et de la remise en cause de la légende qu’elle s’est forgée sur elle et sur sa famille.

Sa vie sentimentale a de même été placée sous le signe d’un amour dont elle n’a pas vu, ou alors trop tard, qu’il n’était pas aussi absolu qu’elle l’aurait cru. Elle ne veut cependant pas renier tout à fait ce qui a constitué ses illusions vitales et n’arrive pas à faire les deuils de ses
visions idéales du monde. Elle s’adonnerait volontiers à la croyance en une pensée positive qui serait efficace…

Elle a besoin que Claire reprenne conscience pour lui donner les éléments afin qu’elle-même fasse le deuil de son père et d’une vie rêvée plus que réelle, avec des personnages plus que des personnes dont elle n’a pas senti la complexité et les faces obscures, faute d’avoir pu fréquenter les siennes propres.

Elle ne cesse d’interroger avec angoisse Claire qui, pour elle, est celle qui sait, au moins qui expérimente le grand mystère de la zone entre la vie et la mort. Sa jalousie du fait de n’avoir pas été choisie, de façon moindre que Christine, se double de l’envie de connaître enfin l’énigme de la Vérité du passage vers le néant ou vers un au-delà habité.

Elle retrouve ses mêmes doutes métaphysiques qu’elle avait recouvert sous une vie d’ouverture à autrui, éventuellement à défaut de s’occuper d’elle-même. La révélation qu’elle évite est celle-là : l’irruption de l’ambivalence derrière l’enjolivure de ce qu’elle s’est contée avec un certain angélisme.

La pièce est l’histoire des faces cachées qui se découvrent à l’occasion d’une crise mais qui se recouvrent tout aussi vite sous les bonnes raisons que chacun se donne et se joue, afin de se jouer soi-même.

Le spectateur pourra parfois, en éclair, s’en rendre compte, le plus souvent à l’insu des personnages, mais comme tout avance masqué, il ne saura jamais si ses intuitions sont justes !

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  • Entre-deux et éternité

Quand je monte Andromaque et que l’on me demande ce qu’il y a d’actuel dans cette tragédie de Racine, je me plais à répondre : « Mais rien bien sûr, absolument rien ! Andromaque, rien à voir avec l’actualité, tout avec l’éternité ! »

Curieusement, je serais tenté de dire à peu près la même chose de la pièce de Jean-Pierre Klein dont le sujet est pourtant, si l’on se fie aux médias, d’une « brûlante » actualité. Il s’agirait en effet de faire évoluer une législation obsolète. Mais au fond, la question de savoir si, pour abréger les souffrances d’un être humain, on a le droit de le tuer, cette question n’est pas actuelle, elle est éternelle.

Le dispositif imaginé par Jean-Pierre Klein est tout particulièrement actif : Claire, placée devant l’insupportable souffrance de son père, a cru pouvoir s’affranchir de la loi et lui donner la mort qu’il souhaitait. Quelque temps plus tard, à la suite d’un accident organique ou psychosomatique, elle est tombée dans un coma profond.

Ses deux sœurs, Christine et Clémence, sont maintenant à son chevet. Il y a donc eu crime - l’euthanasie du père -, et nous avons une accusée ou présumée coupable mais qui, dans son état, se trouve dans l’incapacité de répondre de son acte. Elle n’est pas hors-jeu pour autant. Tout d’abord, dans l’esprit de ses sœurs, elle est l’héroïne, celle qui est allée jusqu’au bout de l’amour, de son amour pour leur père. Que s’est-il passé exactement ? Comment a-t-elle pu assumer pareille transgression ? Comment l’a-t-elle vécu ? Son état présent est-il la conséquence de son acte ?

Le pari théâtral - scénique pourrait-on dire - est que toutes ces questions, de Christine et Clémence, ces questions qui sont les nôtres, du fait de résonner dans le silence de Claire, nous parviennent à la fois amplifiées et accentuées.

Claire est dans l’entre-deux, entre ses deux sœurs, entre silence et voix, entre vie et mort, entre obscurité et lumière. Auprès d’elle, en elle, c’est cette lumière que ses sœurs devinent, lui envient et qui parfois les éclaire. Sans mettre à mal le déroulement naturel de l’action, du reste fort simple et lapidaire, c’est bien sûr l’aspect d’éternité qu’il faut à mon sens mettre en scène.

Philippe Adrien

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  • La presse en a parlé

 " Les trois interprètes sont décidément hors concours, y compris celle censée hésiter entre la vie et la mort. Très beau concert donc, jusque dans les silences, donné par ces trois artistes en pleine possession de l’instrument que représente chacune d’elles. "  L'Humanité, Jean-Pierre Léonardini

 " La mise en scène de Philippe Adrien est d’une sobriété et d’une efficacité redoutable. On notera l’élégant jeu de lumières de Pascal Sautelet qui accentue la tension du spectacle. Agathe Alexis, Anne de Broca et Nicole Estrabeau offrent une interprétation d’une belle homogénéité qui séduit indéniablement. "  Pariscope, Dimitri Denorme

 " Philippe Adrien met en scène Agathe Alexis, Nicole Estrabeau et Anne de Broca dans cette parabole sur l’éternelle question du choix de mourir qui est, pour l’être humain, la marque même de sa liberté et de sa condition. "  La Terrasse, Catherine Robert

 " Par sa mise en scène et sa direction d'acteur, Philippe Adrien insuffle toute la dimension humaine d'un tel enjeu. Dans une très belle scène, il convoque le rêve, comme une lueur d'espoir, une ouverture. Agathe Alexis réussit par son jeu à donner de la rondeur et de la souplesse à Christine, si rigide, nous offrant ainsi la possibilité de l'humour. Anne de Broca, Clémence dévouée et crédule à souhait, et Nicole Estrabeau, incarnant à la perfection une Claire pas si claire que ça, mais tellement présente. " Les coups de cœurs de Monsieur Guy, Studio-Théâtre, Laure Adler

 " Aux côtés de Nicole Estrabeau, étonnante de présence dans le rôle muet de la sœur malade, Agathe Alexis et Anne de Broca personnifient avec talent, justesse et finesse l'ambiguïté de ces femmes en état de détresse, demeurées, malgré les années, des enfants anxieuses en revendication d'amour. " MMM, Frogy delight

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10, place Charles Dullin 75018 Paris
Spectacle terminé depuis le mercredi 10 décembre 2008

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