L'histoire
A propos de Mirad
Réactions de spectateurs
Ils s'excusent, ils demandent pardon d'être là, ailleurs, chez nous, en une France quand même prospère et à mille lieues de l'ex-Yougoslavie toute proche, parce qu'ils n'ont plus de chez eux. Ils gênent.
L'accueil des réfugiés, on est pour, bien sûr. Mais quand ils sont là, humbles, encombrants, avec des besoins, et avant tout le besoin qu'on leur reconnaisse leur dignité, le vent tourne et les bonnes âmes aimeraient bien qu'ils rentrent "chez eux", ou tout au moins qu'ils se fassent oublier. La pitié pour leurs souffrances est brève, et la solidarité plus encore.
Djuka et Fazila, l'oncle et la tante de Mirad, ont tout subi de la guerre, déportations, camps de prisonniers, tortures, humiliations, mort des proches sous leurs yeux, mort suspendue sur leur tête, et à laquelle ils ont échappé par mirache. Piètre et grand miracle : blessés, atteints, vieillis, ils ont encore la dignité de se reconstruire, de se soutenir à la lecture du journal et des lettres de Mirad, de le soutenir, lui, de loin, entre ses treize et ses quatorze ans.
Mirad est le centre de la pièce : comment vivre, pas trop mal, réfugié, "sauvé", à Rennes, en France, quand on ne sait pas si sa propre mère est vivante, à Sarajevo ou à Foca, sous les tirs des obus et des snipers, sans pain, sans eau et sans nouvelles ?
L'histoire de Mirad n'est pas une anedocte touchante, un petit fait de guerre, un moment de courte compassion. C'est une vraie tragédie de la liberté, directe, concrète, en une langue économe et rythmée. Elle a été jouée aux Pays-Bas, en Allemagne et en Angleterre - par Jeremy Irons et Sinead Cusack, parfois devant des enfants de onze ans : ils ont compris le geste de Mirad, leur grand frère, leur héros tout simple.
Ch. Friedel
"Les mots d'Ad de Bont se suffisent à eux-mêmes. Ils restituent, autant qu'il
est possible, la réalité des faits qui ne nous parvenaient qu'à travers le brouhaha du
spectacle du monde et de ses malheurs. Les obus dans la foule des marchés, l'épuration
ethnique, les mines anti-personnels, les snipers de Sarajevo, les cadavres abandonnés au
bord des routes, la peur
La pièce est pourtant indemne de tout pathos, (
) car le théâtre ici n'est pas le
lieu du semblant, mais celui d'une écoute à ce qu'on préfère ignorer, de la Bosnie et
de ses réfugiés notamment" Le Journal de Saint-Denis -
avril 1998 - Marylène Lenfant
Stéphanie Loïk et les acteurs du Théâtre Populaire de Lorraine ont créé la première partie de Mirad, un garçon de Bosnie à Thionville en septembre 1999. Ce spectacle de petite forme a depuis lors été présenté une vingtaine de fois dans toute la région Lorraine. L'intégrale de Mirad, un garçon de Bosnie sera créée à Thionville du 11 au 14 avril 2000.
Extraits d'un entretien avec Ad de Bont, auteur de Mirad, un garçon de Bosnie.
"- Le public français ne vous connaît pas encore. Pouvez-vous nous raconter
quelque chose sur vous-même et sur vos origines ?
Tout d'abord, il faut que je vous dise que le premier objectif dans ma vie
professionnelle c'était, non pas le théâtre, mais les enfants. J'ai donc fait des
études d'instituteur. Après cela, j'ai suivi une formation d'enseignant dramatique, et
en troisième lieu, j'ai fréquenté une école d'acteurs, où j'ai fait entre autres
beaucoup de chant et de danse. Je pense que la culture et la littérature sont très
importants pour les enfants. Je suis né et j'ai été élevé dans une très jolie partie
de la Hollande - une région ancienne, dans le sud du pays - mais quand j'avais cinq ans,
mes parents ont déménagé vers une région toute nouvelle, les Polders. Je devais
laisser derrière moi toute une vie riche en traditions et en histoire, pour découvrir un
nouveau paysage qui n'avait aucune tradition : les arbres y avaient à peine cinq ans.
Pour moi, c'était un pays vide. Je crois que mon intérêt pour la culture est dû en
partie au déménagement de mes parents.
- Quand avez-vous décidé de quitter le théâtre "commercial" pour
faire du théâtre dans les écoles ?
Il y a quelques douze ans, on m'a offert la direction artistique d'une compagnie
théâtrale (Wederzidjs) qui travaillait dans les écoles, - j'ai accepté et j'y suis
toujours. Il est tellement plus important de faire du théâtre dans les écoles. Pour
moi, le bâtiment traditionnel de théâtre, qu'il se trouve à Amsterdam, Paris ou
Londres, est un endroit mort. C'est un bâtiment qui date du XIXe s. Il est là, personne
n'y habite, personne n'y vit, seulement cinq pour cent des gens y mettent les pieds. La
plupart des gens savent à peine qu'il existe. Pour moi, c'est une espèce de non-endroit.
Quand j'y jouais, je me disais : "Eh bien, il faut bien gagner sa croûte, et il faut
bien que les spectateurs aient leur soir de sortie". Par contre, quand j'ai commencé
à jouer dans les écoles, j'avais l'impression d'entrer dans un vrai monde plein de
vibrations : des gens y vivaient ensemble, y travaillaient à leur vie et
réfléchissaient sur l'avenir de notre monde. De plus, quand on travaille dans les
écoles, on n'est pas liés à une tradition. Tout est possible. en tant qu'artiste ; on
peut employer la classe, le gymnase ou le réfectoire d'une façon toute nouvelle. C'est
tellement plus excitant d'explorer un espace, comme un gymnase : on peut s'asseoir des
quatre côtés, ou le long d'un seul mur, tandis qu'au théâtre traditionnel, les acteurs
sont sur la scène et le spectateur se trouve dans son fauteuil, souvent loin de la
scène. A chaque nouvelle pièce, notre troupe réfléchit sur la distance entre les
acteurs et le public.
- Comment vous est venue l'idée d'écrire une pièce comme Mirad ?
En 1989, le Mur tomba à Berlin, et puis on a vu, avec la chute du communisme, des
bouleversements invraisemblables en Russie, en Roumanie, en Chine, même. Et,
curieusement, pendant deux ou trois ans, rien ne changea en Hollande. Le monde avait
changé autour de nous, mais on tirait les rideaux et on continuait à faire ce qu'on
avait toujours fait. Ce n'est qu'en 1992 que notre compagnie s'est réellement rendu
compte de tous ces changements sociaux. On avait joué une pièce sur les réfugiés de
guerre de l'Iran - et cette idée me fascinait, car, avec la chute du communisme, des tas
de gens erraient à travers l'Europe. C'était un thème avec lequel des jeunes pouvaient
s'identifier. Alors, j'ai décidé d'écrire moi-même une pièce sur les réfugiés - d'
Iran, de Somalie ou de Bosnie. Je voulais écrire sur les réfugiés, mais aussi sur la
façon dont des fascistes en Hollande et en Belgique les traitaient. En janvier 1993, j'ai
demandé à une collaboratrice de notre compagnie de me préparer toute l'information
qu'elle pouvait trouver sur les réfugiés qui étaient récemment arrivés aux Pays-Bas.
Elle s'est adressée à l'organisation des réfugiés d'Amnesty International, et elle est
revenue avec un énorme paquet d'articles et de dossiers que j'ai lus en trois ou quatre
semaines, pendant mes vacances. J'avais déjà l'idée d'en faire une pièce très simple,
et mon idée de départ était de raconter l'histoire de deux personnes qui esssayaient de
retrouver un garçon disparu en temps de guerre.
- Après avoir lu tout ce matériel, pourquoi avez-vous finalement décidé
d'écrire une pièce sur les réfugiés de Bosnie ?
Le Cambodge et la Somalie me semblaient très lointains aux yeux des jeunes - une culture
tout-à-fait différente, en somme. Une pièce sur un de ces pays risquait de sembler
simplement exotique. La Bosnie est tellement plus proche. La seule anecdote que je voulais
absolument garder est tirée de la guerre entre l'Iran et l'Irak : des milliers de jeunes
gens y furent envoyés dans les champs de mines, pour libérer le chemin. C'est à peine
croyable, non ? En tout cas, une fois que j'avais commencé, je voulais écrire la pièce
rapidement, afin de la présenter dans les écoles le plus vite possible. J'étais prêt
en septembre 1993. On a eu quatre jours de répétitions, et on est parti vers les
écoles.
- Revenons au choix de vos personnages...
J'ai d'abord pensé à Mirad, un garçon. Je ne pouvais pas choisir une fille, parce qu'il
n'y a pas tellement de filles qui s'enfuient toute seules. Des garçons le font bien plus
souvent. Dans deux ou trois ans ils seront des hommes, et ils seront dangereux. Ils
pourront devenir des guerriers, des soldats - ce que Mirad devient aussi, bien sûr -,
voilà d'ailleurs pourquoi il y a tant de parents qui envoient leurs fils loin de la
maison en temps de guerre.
- Pourtant, dans la première partie, vous avez préféré raconter l'histoire du
point de vue de l'oncle et de la tante, et non de celui du garçon...
C'était un choix artistique. Je pensais que ça pourrait faire une meilleure pièce.
chaque spectateur pourra se faire une idée personnelle du garçon, de son apparence
physique, de ses pensées, de ses rêves. Bien sûr, c'est lui le personnage central. Et
je ne voulais pas laisser raconter son père ou sa mère, parce que j'avais besoin d'eux
"dans les coulisses", pour qu'ils nous montrent comment la guerre en Bosnie
avait affecté cette famille. J'ai fait de l'oncle un journaliste car, de cette façon, il
pouvait également relater les événements en Hollande, - comment les fascistes
refusaient les réfugiés. L'oncle c'est quelqu'un qui sait de quoi il parle.
- Qu'est-ce qui vous a amené à écrire la deuxième partie ?
En écrivant la première partie, je n'imaginais pas du tout une deuxième partie. Mais,
très vite, on a été assailli de demandes
et quand je suis arrivé à Oxford, en
janvier 1994, pour assister à une représentation au Grand Théâtre, avec une grande
vedette de cinéma (Jérémy Irons) dans le rôle de l'Oncle Djuka, je me suis rendu
compte que j'avais écrit quelque chose qui passait aussi bien dans les classes avec des
enfants, que dans les grands théâtres commerciaux, pour un public adulte. De retour à
la maison, j'ai eu l'idée d'écrire quelque chose sur la mère et son fils. Mais je ne
voulais pas écrire une simple suite. Je voulais plutôt me concentrer sur la question :
"comment peut-on continuer à vivre après une expérience comme l'ont vécue Mirad
et sa mère ?" C'était pour moi une question extrêmement importante.
- Pouvez-vous nous dire quelque chose sur le style et la langue de la pièce ?
J'aime que les acteurs jouent d'une façon simple et sobre. Quand l'histoire est bonne, le
jeu d'acteur ne doit pas être compliqué. Mirad n'est pas une pièce classique avec une
seule intrigue, il y a des intrigues secondaires. J'avais d'abord l'idée de l'écrire en
"mauvais" néerlandais, le genre de langue parlée par quelqu'un qui a une autre
langue natale. J'ai essayé sur plusieurs pages, mais ça ne marchait pas. Alors, je me
suis mis à écrire en phrases très courtes, avec un certain rythme. Pas de la poésie,
mais des phrases sans ponctuation qui pourraient suggérer que le tout n'est pas
"réaliste". Pour les mêmes raisons de simplicité, je n'ai inséré aucune
didascalie. J'aime à construire mes pièces dans un ordre non chronologique. Garuma, par
exemple, contient toute une série de flash-back et de flash-forward. Mirad est construit
de la même façon, - une structure plutôt complexe, mais qui paraît très simple sur la
scène.
- Vous avez beaucoup d'expérience dans le travail avec les jeunes. Est-ce que vous
pensez qu'un jeune public est prêt pour de telles scènes ?
J'ai eu une formation d'enseignant. Je crois que l'éducation doit préparer les enfants
à la vraie vie, et je crois que, au cours des cinquante dernières années, les enfants,
en Europe occidentale, ont bien trop souvent été préparés à une sorte de "pays
de jeunes" dont les adultes pensent qu'il est réel. Et il ne l'est pas. Des choses
horribles se passent dans le monde. Je veux dire : une fille peut être violée, même si
elle vit dans un village et qu'elle n'a que onze ans. S'il y a la guerre, elle sait
presque à coup sûr qu'elle sera violée, - et elle pourra se féliciter de ne pas
l'être. En temps de guerre, personne ne dira :"je ne vais pas tuer ton père, parce
que tu es trop jeune". Tout ce que je peux dire, c'est que les enfants qui ont vu
Mirad viennent me dire qu'ils comprennent maintenant comment des gens en temps de guerre
peuvent être si monstrueux les uns envers les autres. Mirad est à la fois du théâtre
et de la réalité.
- Est-ce que vous caressez l'espoir qu'une pièce comme Mirad, - ainsi que d'autres
pièces, des livres, des documentaires télévisés -, peuvent contribuer à mettre fin à
la guerre ?
La guerre en Bosnie peut finir, oui, mais ce ne sera pas grâce à cette pièce. Ce
que j'ai écrit peut simplement aider les gens à changer leurs idées sur la guerre et
les réfugiés."
(Propos recueillis par Roy Blatchford.)
Extraits de lettres rédigées par des étudiants à la suite de représentations de "Mirad, un garçon de Bosnie :
"Que dire sinon merci, merci pour ce moment d'émotion intense, de vérité et de sincérité. Quelques mots d'une histoire, d'une vie, et nous voilà, marchant à côté du narrateur, pris au piège et à la magie du récit. Vos corps et vos voix ont servi de réceptacle aux mots de l'auteur pour nous les retransmettre à pleine bouche en nous immergeant dans un monde d'images sensibles."
"On a pu avoir connaissance du conflit d'une autre façon - hors journaux et télévision. L'échelle humaine a permis de faire transparaître des émotions, l'horreur de la guerre et se questionner quant à notre comportement face aux personnes réfugiées. Grâce à ces 45 minutes, nous avons pu prendre le temps de comprendre, d'entendre la souffrance de ces personnes, d'avoir conscience qu'il y a une vie avant la guerre et que celle-ci a été détruite."
"Bravo !!! J'ai eu plaisir à regarder et à entendre votre pièce à un point tel que je n'ai pas vu le temps s'écouler. C'était riche en émotion et en sensibilité. Je rejoins l'avis d'un étudiant qui disait mieux "comprendre" la politique de ces pays par le biais de la pièce plutôt que par la presse. Encore bravo."
"Les plus jeunes regardent de toute manière les journaux télévisés et ne comprennent pas pour autant. Le discours que les parents peuvent leur tenir, ne les sensibilise peut-être pas autant au problème que ce type de représentation. Quitte à avoir aussi un débat à leur niveau à la suite de la pièce. L'approche que vous avez présentée a le mérite de nous faire vivre de manière très proche une situation que l'on connaît mais qui reste lointaine et impersonnelle. D'où un ressenti très fort et un regard qui change. Merci encore."
"J'ai trouvé cette pièce très émouvante et très bien faite pour plusieurs raisons. Emouvante car elle parle des horreurs de la guerre, comme on ne peut les imaginer. Les mots laissent libre l'imagination de cette horreur. Malgré tout ce que les journalistes peuvent nous montrer, on n'imagine pas comme j'ai pu le faire aujourd'hui. On s'est mis à la place des personnages, et on pouvait presque ressentir leurs sentiments. (...) Je ne m'attendais pas à cette pièce et j'ai pris une claque dans la figure. La pièce et son interprétation sont formidables et il faut continuer à la présenter à tous publics pour que les gens se rendent compte de tout cela."
10, place Charles Dullin 75018 Paris