« Je viens d’adopter. Il s’appelle Léo, il a quatre-vingt-dix-neuf ans. Je l’ai connu au centre d’hébergement où je visitais ma tante, les dimanches gris »… Léo va donc quitter le foyer et s’en venir vivre chez celui qui l'appellera… « Mon Vieux ».
Étrange duo ainsi constitué entre cet homme retraité au « bonheur paisible » et Léo qu’il a choisi d’adopter comme un défi à lui-même, aux usages et aux habitudes.
Les deux hommes vont entamer un dialogue et nous faire partager cette intimité faite de gestes quotidiens, de rires complices et de beaucoup de silences, jusqu’à ce que le temps les rattrape (« cela s’appelle vieillir ») et que, peu à peu, le trouble s’installe…
L’écrivain québécois Pierre Gagnon avait imaginé cette trame pour son roman Mon vieux et moi. Rachid Akbal s’en empare pour sa pièce. C’est bouleversant de tendresse et de lucidité parfois glacée. C’est grave sans être triste. C’est émouvant et drôle, cru sans être vulgaire. Sans tabou ni tromperie, on saisit l’instant fragile, la parcelle d’humanité qui ne cache pas le « naufrage ».
Nous construisons un espace dépouillé, un appartement délimité par un tracé extérieur au sol. Au départ le spectacle s’ouvre sur la pénombre, puis lentement une lumière s’allume derrière un fauteuil, et le jeu commence, là, autour du fauteuil. Le temps s’allonge, on en use, on prend le temps qu’il faut pour faire les choses. On commence par la retraite et tout ce temps que nous offre cette petite mort, la fin de la vie active, pour ne pas simplement le dire mais le vivre. Plus tard, les deux personnages, le narrateur et son ami (celui qui installe des rampes et sécurise l’espace pour celui que tout le monde attend, Léo, le vieux de 99 ans,) collent des bandes au sol pour confiner l’espace, le centrer autour du fauteuil. Ce dessin au sol symbolise à la fois un lieu qui enferme et un lieu qui sécurise.
C’est le temps de la métamorphose de l’espace, pour créer le terrain favorable à l’apparition attendue du personnage de Léo, et enfin pour donner une ampleur aux complicités qui se nouent. Rapidement l’espace s’ouvre par le jeu des lumières (tout au long de l’histoire, des lampes apparaissent et, au final, elles composeront un bouquet de lumières, jusqu’à l’explosion lumineuse).
On découvre tout l’espace scénique et les objets du quotidien (la cage du hamster, le grille-pain, la cafetière, le réfrigérateur). Puis, le désordre s’empare de l’espace, on le salit, on le souille, et, dans ce chaos, surgit l’éclaircie. La réalité s’efface. On s’achemine vers la fin de l’histoire, l’espace devient irréel. Au temps du combat succède le temps pour souffler, le temps pour s’en aller, quitter ce monde. On bascule dans le monde intérieur de Léo, apparaît un grizzli, symbole du grand-père, de la sagesse aussi. Le réfrigérateur s’ouvre en grand, on entre dans l’onirisme.
Rachid Akbal
159 avenue Gambetta 75020 Paris