Une petite ville du nord de l’Italie, quelque part entre Milan et Turin. Quatre heures du matin. Une route nationale. Boy, un jeune homme grisé et énervé, fonce dans un arbre.
Il s’en sort sans une égratignure, mais le fossé voisin lui offre en spectacle le corps d’une jeune fille qui, visiblement, s’en est moins bien tirée que lui cette nuit : son cadavre est là, nu, gisant, et couvert de sang.
Elisa Orlando vient d’être battue à mort. Par qui ? Pourquoi ? L’enquête démarre.
L’affaire est complexe : petite fille sage et studieuse pour ses parents, on découvre que la victime aimait « s’envoyer en l’air avec tout ce qui bouge », prenait e la drogue dure, et côtoyait les pires toxicos qu’abrite la ville.
Monde policé et bourgeois d’un côté, violence, drogue, trafics, et prostitution de l’autre, la piste du meurtrier semble toute trouvée.
Et pourtant...
Créée en 2002 à Milan, Nature morte dans un fossé met en scène six personnages (Cop, Mother, Pusher, Boyfriend, Bitch et Boy) qui vont, à travers une suite de monologues, nous donner leur point de vue sur l’enquête et sur Elisa.
Ils profitent également de ces prises de parole pour nous parler plus largement de leur vie, de leurs doutes et de leurs difficultés ; et pas à pas, nous conduisent jusqu’à l’assassin.
Dix-sept monologues, six voix, une victime, un assassin, une enquête. Un ton froid, cynique et désabusé. Un verbe direct, lapidaire et cinglant, qui fait néanmoins furieusement rire... Véritable polar théâtral, Nature morte dans un fossé nous montre une société où la violence a tout phagocyté : tous les milieux sociaux-culturels, toutes les classes d’âge et toutes les cellules sociales. Les solitudes ne font ici que s’additionner, empêchant la réalisation de l’individu qui apparaît dès lors constamment en conflit avec lui-même. Le mal-être, unanimement éprouvé, rejaillit donc nécessairement sur autrui dans une sorte de spirale infernale. La violence dénoncée pourrait être enrayée si les personnages osaient affronter leurs difficultés au lieu de fermer les yeux et de fuir. Mais chacun préfère faire fonctionner le quotidien tant bien que mal, se cacher derrière une carapace et apposer une belle couche de vernis pour tenter de masquer la souffrance. La mise en scène proposée ici vise à exacerber cette violence, à la rendre palpable.
Pour renforcer le malaise, elle aussi appose une couche de vernis sur le climat agressif qui nous est montré, en utilisant un contrepoint pêchu et acidulé, voire acide (qui permet de mieux montrer l’horreur de ce qu’il cache), grâce au recours de différents moyens :
La vidéo
Faisant écho aux aspects très cinématographiques que recouvre ce texte, le choix a été fait de placer un grand écran très immersif en fond de scène. Différents types d’images sont projetés pendant le spectacle : des plans de ville ou de nature où se situe l’action en cours, des séquences scénarisées présentant des moments de vie de la victime ou encore des gros plans du cadavre. C’est en jouant sur des filtres de couleurs vives, sur une esthétisation marquée des vidéos ou encore en faisant éclater une bulle de chewing-gum… que la vidéo remplit à la fois ce rôle d’accentuer la violence et de jouer sur le décalage et le contrepoint.
La scénographie
Le décor, volontairement sobre, permet de faire ressortir le dépouillement du texte : un fauteuil de voiture, une table, un paravent, des chaises. Le tout modulable en un temps restreint (la table devient un bureau, un bar, un lit) car une multitude de lieux sont traversés dans le déroulement de cette enquête. L’aspect ludique vient ici de cette impression de « fait maison » qui rend palpable toute la magie du théâtre : sa capacité à nous montrer le monde avec, pour seuls moyens, un plateau et deux-trois éléments clés.
Le jeu des comédiens
Si la pièce est sombre dans son propos, elle fait néanmoins une place importante à l’humour et au sarcasme. Les comédiens ont été dirigés de manière à renforcer ces aspects du texte, pour le plus grand plaisir de nos zygomatiques. De plus, la multiplicité des lieux traversés par les personnages nous a conduit à choisir le mime comme élément récurrent du jeu des acteurs (ils matérialisent de façon saisissante des lieux, des situations et des objets), produisant un décalage souvent comique avec l’aspect très réaliste du texte.
La lumière
Celle-ci joue un rôle essentiel, passant d’une ambiance à une autre suivant le personnage qui parle, le lieu où il se trouve et l’état dans lequel il est.
On retrouve ainsi des lumières jouant le rôle d’indicateur spatial, temporel et d’ambiance (introspective, onirique, etc.) et des lumières plus connotées (gyrophare, stroboscope de boite de nuit, projecteur de scène de crime, variations d’un poste de télévision...). Là encore, la place accordée aux couleurs vives et flashy renforce le contrepoint.
La musique
Enfin la musique, composée spécialement pour la pièce, vient renforcer le mal-être soit en l’appuyant par des accords emprunts de mélancolie, soit en jouant sur le décalage par le biais de mélodies joyeuses et enlevées.
Céline Lambert
7 rue Véron 75018 Paris