Le spectacle
Note d’intention
Oscar « Cuervo » Castro
L’auteur dramaturge Oscar Castro travaille de manière passionnée et acharnée à l’œuvre de Pablo Neruda, afin d’écrire une pièce de théâtre pour célébrer les cent ans de sa naissance. D’autant lire le poète, Oscar perd la raison et se prend pour Neruda lui-même.
De la même manière que Don Quichotte prenait une servante du village pour sa distinguée dulcinée de Toboso, Oscar confond le jardinier de sa maison avec Garcia Lorca, et lui demande : « Dis-moi, Federico, as-tu trouvé les lilas ? ou bien tu continues à chercher la métaphysique couverte de coquelicots ? »
Un jour, il a confié à ses comédiens que l’esprit de Neruda entrait parfois dans son corps, et que par moments, quand il ouvrait la bouche, ce n’était pas lui qui parlait, mais le poète en personne.
Notre auteur va payer cher cette folie, car son corps va souffrir toutes les douleurs du poète sans savoir que c’est du théâtre…
Avec le Théâtre Aleph et les Quilapayun.
La poésie possède une relation profonde avec les souffrances de l’homme… il faut écouter les poètes, c’est une leçon de l’histoire. Ce sentiment profond, Neruda sait le rendre présent dans toute son œuvre ; c’est un chant à l’amour, à la vie et à la lutte quotidienne. Uni à Rimbaud, il a dit : « Uniquement avec une ardente patience, nous conquerrons la ville splendide qui donnera à l’homme la lumière, la justice et la dignité. Ainsi, la poésie ne chantera pas en vain ».
La musique de ce spectacle est du compositeur grec Mikis Theodorakis, grand admirateur du poète chilien. Il m’a proposé de mettre à disposition de ma création toutes ses mélodies afin de composer une mosaïque musicale, qui met parfaitement en relief l’œuvre de Neruda.
Cette pièce de théâtre, fidèle au style musical de l’Aleph, porte les chorégraphies de Sylvie Miqueu.
Oscar Castro
Hommage à Pablo Neruda et… A Mikis Theodorakis. La seule évocation d’Augusto Pinochet est, pour le peuple chilien comme pour le monde en général, particulièrement douloureuse. Et plus douloureuse encore quand revient la date impitoyable du 11 septembre, date d’un coup d’Etat célébrissime entre tous et récemment associée au drame sans nom des Twin Towers, à New York.
Oscar Castro, exilé à paris depuis 1977, a bien connu Pablo Neruda. Il le connaît au plus profond de lui-même, intimement, secrètement, professionnellement. Il le connaît comme s’il avait pu, un jour, investir sa propre personne. C’est en tout cas ce qu’il nous interprète avec un brio et un amour du poète des plus éclatants.
Dans sa pièce, Neruda… Ainsi la poésie ne chante pas en vain, Oscar Castro, campe un personnage un peu fou, un auteur-acteur qui se prend pour Pablo Neruda, qui se croit Pablo Neruda, qui est Pablo Neruda. Dédoublement de personnalité ? Bien plus. Abnégation totale de son propre ego pour faire revivre en soi-même celui qu’on estime digne par-dessus tout d’incarner. D’autant plus qu’il n’est plus de ce monde par le fait d’une dictature tenace.
Ce personnage, examiné, scruté, diagnostiqué tantôt par son médecin traitant, tantôt par son ami perpétuellement à la recherche d’un rôle (le rôle de l’inévitable), tantôt encore les femmes qui ont jalonné la vraie vie du poète, évolue à travers toute la pièce dans une sorte de monologue jubilatoire par lequel le spectateur fait aisément le lien avec le regretté Pablo Neruda.
Sans doute le peuple chilien tout entier déplore-t-il la perte cruelle de son poète mais, grâce à la poésie que fait ressurgir Oscar Castro, dit le corbeau dans ses jeunes années (d’où son surnom de Cuervo), le poète n’aura effectivement pas chanté en vain. On peut vivre au-delà de son temps, au-delà même de sa vie, lorsqu’on a semé des mots. Des mots, ces mots si chers à Neruda, beaux comme des oiseaux, allègres comme des papillons et libres comme tels. Aucun peuple ne saurait se résigner à aucune dictature tant que des Neruda lui inspireront le goût de la droiture, de la justice, de la paix.
Une puissante poésie anime la pièce d’Oscar Castro, d’entrée de jeu et jusqu’à la fin de la représentation. Une poésie exempte de prosélytisme ou de quelque tonitruance politique. Le message du dramaturge est simple et immédiat : il faut dire la puissance du poète, son immanence et sa suprématie. Le poète est vivant. Comme sont vivants tous ceux qui ont péri sous le fer des dictateurs.
"Z", la lettre qui, depuis Costa-Gavras, ressuscite et galvanise les bonnes volontés, s’applique de même à Pablo Neruda. Le poète est avec nous, petite parcelle de Dieu, le poète nous sauvegarde, le poète nous exalte.
Oscar Castro fait du théâtre à sa manière, avec ses moyens, avec ses limites. Il en résulte du théâtre non subsidié pétri d’amour, de fantaisie, de drôlerie, de liberté. On pourrait dire, paraphrasant Georges Bernanos, qu’un puissant esprit souffle sur cette pièce toute consacré à Neruda.
Esprit auquel n’est nullement étranger Mikis Theodorakis, à qui Oscar Castro rend dès le premier quart d’heure de sa pièce un vibrant hommage. À travers Pablo Neruda, certes. Mais aussi à travers de très judicieuses et constantes citations musicales, qui portent continûment les situations, les sentiments, les élans de la pièce.
J’ai rarement vu - et je m’en réjouis - une pièce théâtrale soulignée aussi opportunément par la musique. En cela l’œuvre théâtrale est traitée comme un film et opère comme tel, faisant vibrer la salle aux temps forts et dans chacun de ses transports pathétiques. Oscar Castro, sans le vouloir foncièrement, a choisi des extraits de Mikis Theodorakis indépendamment du Canto General, oeuvre toute dédiée à Pablo Neruda : paradoxalement le résultat est percutant. De même qu’Oscar Castro n’a pas voulu faire une biographie traditionnelle et conventionnelle de Neruda, de même il ne s’est pas borné à l’un des chefs-d’œuvre de Mikis Theodorakis, mais il a préféré voyager dans la musique du compositeur et citer, de-ci de-là, des pages qui l’émouvaient lui en particulier. Tant et si bien que sa pièce est pour le spectateur, qu’il soit averti ou néophyte, une totale redécouverte de deux hommes que l’histoire des dictatures a réunis pour les avoir convoqués. Deux hommes qui devaient se comprendre, s’épauler et se dissoudre dans une même et fervente lutte, la lutte des poètes contre l’éternel dragon toujours valide. Rendant hommage à Pablo Neruda, Oscar Castro ne pouvait s’exprimer sans la musique de Mikis Theodorakis. Ce qu’il a fait avec grande sensibilité et grande originalité.
Puisse cette pièce, Neruda, Ainsi la poésie n’aura pas chanté en vain, raviver en nous l’esprit de sagesse - mais de lutte s’il le fallait - et nous réunir enfin dans la parole et dans le chant. Il s’est produit hier soir, à la fin du spectacle, lorsque les acteurs se sont mis à danser sur la musique de Mikis Theodorakis, une chose assez extraordinaire ; c’était comme dans Zorba, c’était comme dans toutes les circonstances du genre, lorsque la danse règle le monde, l’apaise et l’ordonne. Le public était ravi, les peines abolies. La dictature, face à la musique Mikis Theodorakis, avait cessé d’être. Quelle étonnante alchimie, que celle des mots et des notes. Oscar Castro a su prendre de Mikis Theodorakis le meilleur de lui-même et du coup, donner à son tour le meilleur de lui-même. Un coup de maître.
Jean Lhassa
Cercle Mikis Theodorakis de Belgique
30 rue Christophe Colomb 94200 Ivry sur Seine