Noces de sang

• Le premier jour du reste de leur vie

Une alchimie théâtre/tango argentin/musique (création collective, violon et clarinette) dans une mise en scène épurée, sur le fil du texte poétique de Lorca.

Le jour de ses noces au beau milieu de la fête, la jeune mariée s'enfuit à cheval avec son ex-fiancé, poussés tous deux par un amour aussi violent que l'acharnement qu'ils ont mis à vouloir l'étouffer.

Le jeune marié se lance à la poursuite des amants. Federico Garcia Lorca transcende un fait divers de l'Andalousie de 1928 pour en faire un chef d'œuvre de poésie, de lyrisme oscillant entre réel et fantastique. Quatre comédiens portent ce souffle d'amour et de liberté à travers le texte de Lorca, la musique, le chant et le tango. Comme un cœur à cœur qui se danse et tente d'emporter l'autre dans une intime fusion, les personnages de Lorca nous entraînent dans une danse intense de la vie.

• Note d'intention de mise en scène

1928 Andalousie, un fait divers. Lorca en fait un chef d'oeuvre de poésie, de lyrisme oscillant entre réel et fantastique. Pièce sur la passion amoureuse dévastatrice mais aussi sur la place de la femme méprisée, sur les faux semblants d'une société archaïque. Lorca transcende le fait divers par la fougue de sa langue, par le mélange des genres, par le fantastique de la fin où la fuite des amants devient un étrange ballet avec la mort, la lune et ceux qui les poursuivent. Mais il n'y a pas de rédemption si ce n'est la beauté du destin implacable. Les deux hommes s'entretuent, la fiancée est prête à mourir des mains de la mère et elle ne fera que pleurer un mort de plus.

L'histoire se répète de générations en générations, le sang appelle le sang. Un père, un frère, sont morts assassinés, le fils mourra assassiné. Aucune surprise. Répétition implacable. L'histoire de l'humanité. En psychologie, on appelle cela mémoire transgénérationnelle. Alors comment rompre le cycle infernal ? Pourquoi monter cette pièce aujourd'hui ? Que peut-elle apporter à ce monde qui a tant besoin de réponses ? Quelles nouvelles histoires donner pour peut-être un jour espérer écrire une nouvelle page de l'humanité ? A quoi sert la mort des deux rivaux, Leonardo et le fiancé ? Comment la transcender ? Aurait-on pu faire autrement ?

L'espagnol est une langue extrêmement directe. C'est la force de la poésie de Lorca. Nous devons choisir des mots qui parlent à nos contemporains comme lui parlait aux siens. Nous travaillerons donc avec une traduction plus adaptée à notre temps. Et nous irons jouer dans la rue, parler à tout le monde, un rêve aussi cher à Lorca.

Pour incarner tous ces personnages quatre comédiens à la fois danseurs, chanteurs et musiciens. Là aussi, nous gardons l'esprit du théâtre populaire, où les formes se mélangent, texte, danse, musique, chanson, où tout est étroitement lié, pour ne faire plus qu'un. Comme des marionnettes dans le théâtre de la vie, les personnages de Noces de Sang vivent dans une société où tout est figé. Vengeance, honneur, codes moraux, fidélité familiale ont plus de valeur qu'une vie humaine. Monde sclérosé, monde conduit par l'argent. Leonardo n'a pas pu se marier avec la fiancée, faute d'une situation convenable. Monde où les intérêts l'emportent sur le vivant.

Les siècles passent mais l'histoire ne change pas. Nous chercherons donc une autre issue si c'est la mort, alors qu'elle soit dansée, « dansez, dansez, sinon nous sommes perdus » disait Pina Bausch. Nous irons côtoyer le tango et surtout l'esprit du tango. Il est né dans la misère et la violence des bas-fonds de l'Argentine. Derrière le cliché de la séduction, le tango est un coeur à coeur. C'est à chaque instant une tentative de rencontrer l'autre dans une intime fusion. Danser malgré les difficultés, malgré la misère, la nostalgie, la tristesse. Danser ses émotions et continuer à vivre. Une danse de l'amour où chacun a sa place, où l'homme et la femme s'alchimisent pour une danse de la vie. Le tango ne sera pas seulement présent en tant que danse mais aussi dans tout le travail de corps des comédiens et dans la musique du texte.

Nous irons chercher cette tension, cette félinité charnelle et sensuelle, qui nous reconnectent à notre animalité dans sa forme la plus belle et la plus sauvage, au service de cette énergie de vie qui donne la force de se dépasser et de transgresser. Le tango sera aussi envisagé comme un contrepoint à un travail musical où comme la danse, le chant ou les instruments tour à tour prennent la parole. La pièce est écrite de telle façon qu’il était impossible de ne pas donner à la musique un rôle majeur dans ce spectacle. Nous allons défendre une histoire d'amour et de liberté dans une société sclérosée qui n'en finit pas de se décomposer, comme la nôtre aujourd'hui. Nous allons défendre l'histoire d'un homme et d'une femme qui préfèrent mourir plutôt que de vivre petitement, comme des esclaves, dans une vie qui n'honore pas la vie qui est en eux cette force de vie que nous voulons souvent contenir par peur, peur de l'insécurité, de la nouveauté, peur de faire des pas dans l'inconnu.

Et dans ce monde, Leonardo et la fiancée sont ceux qui dérogent, et dérangent. Ils se font rattraper par la vie en eux et la liberté qui va avec. Mais un ruisseau trop longtemps endigué se transforme en torrent, et l'amour, en passion dévastatrice. Mais une chose est sûre l'amour reprend toujours ses droits. Ceux qui son tenchaînés ne veulent pas que les autres soient libres on préfère les tuer. Pourtant, les bûcherons du dernier acte, de simples bûcherons plein de bon sens, nous disent " Ils devraient les laisser tranquilles. Le monde est grand. Tous peuvent y vivre. (...) Puisqu'ils s'aiment, ils ont bien fait de partir. " 

Si grâce à nos chants, à notre musique, à notre danse, et au verbe de Lorca, on arrivait juste à se dire à la fin oui, le monde est grand, nous pouvons tous y vivre, alors peut-être oui, nous aurions raison de monter Noces de Sang.

Natalie Schaevers – décembre 2015