L’orchidée est une fleur double, on ne sait pas si elle est vraie ou fausse, si c’est un mensonge ou la vérité. Pippo Delbono revient avec sa bande d’illuminés pour rendre hommage aux vérités et mensonges du théâtre et du cinéma.
Pippo Delbono brasse dans Orchidées toutes les dimensions de l’espace théâtral. Plans rapprochés ou plans d’ensemble, à-plats et volumes. Il entraîne dans sa danse imprévisible les fantômes du cinéma, envoie ses acteurs traverser les miroirs. Hommages aux images. Dans sa nouvelle création, Delbono expose le faux en prise avec le vrai, oppose les codes fictionnels du cinéma à l’art du spectacle vivant, à la vérité de l’acte joué au présent. Pippo Delbono aime casser les murs. Il veut initier, en « terroriste culturel », une fête enflammée, un tribut aux vivants et à la vérité des choses, à la beauté éclairante des êtres, toujours en proie à la lumière obscure de la lune. Après les fracassants Il Silenzio, Dopo la battaglia ou La Menzogna, Pippo Delbono revient au Théâtre du Rond-Point dont il est l’un des créateurs phares.
Inventeur d’images fortes, d’espaces, de rythmes, il compose et dirige sa troupe, sa famille à refaire le monde. Dans ses pièces : des scandales, des fulgurances, des visions. Des couleurs, des voix, des éclats. Le monde tel qu’il est, ses merveilles, ses violences, et les bascules de l’Histoire. Enfant terrible, chien fou de la scène internationale, il crée des mondes fantasmagoriques. Il s’empare du plateau avec sa troupe, ses créatures, sa bande d’illuminés. Des personnalités singulières : Bobó, Gianluca, personnes à vif que Pippo Delbono accompagne sur les plateaux. Chanteurs, acteurs d’un monde de laissés-pour-compte, tous inventent une gigantesque célébration des forces de vie pour un théâtre vital, d’autant plus qu’il s’agit ici de cinéma.
Dans Orchidées, vous annoncez que vous détestez le théâtre, c’est vrai ?
Le théâtre comme on peut l’entendre aujourd’hui, oui. Quand il ne s’adresse plus qu’aux amateurs de théâtre, à une catégorie sociale unique. Au Burkina Faso, il y a des compagnies partout, et du théâtre dans les rues, dans les arbres, sur les places, tout le temps. Là-bas, le théâtre a une dimension d’ouverture et de liberté qu’on a perdue ici, il y a une transversalité des propositions qui dépasse toute catégorie spécifique. Mais je reviens dans Orchidées au théâtre traditionnel, aux poètes, aux langues de Tchekhov, de Shakespeare, de Büchner. Parce qu’ils ont tout dit, comme Œdipe et les tragiques grecs. Ils ont tout dit de la mort, de la vie, de l’exil, de la vengeance, de la démocratie, de l’amour, du pouvoir. Le théâtre, entre-temps, a perdu le sens de la révolte, sa nécessité. Il a établi une structure rigide faite de personnages, de rôles, de codes, de voix bien placées. Ce n’est pas ce que je veux. Je cherche à retrouver un théâtre de la vie, de la vérité, et de la révolution. Je ne sais pas encore comment. Je cherche. Je veux continuer à me perdre, je ne veux pas comprendre. La compréhension est un mensonge, ou une maladie. Orchidées est comme ça, une déviation dans les interrogations, un moment de questionnements sur les fausses représentations de la réalité.
C’est en ce sens que vous considérez Orchidées comme un projet politique ?
La démocratie, en ce moment, est représentée tout le temps et partout, alors qu’en réalité, elle n’est vraie nulle part. On vit dans les représentations d’une crise, où on favorise le racisme, l’homophobie, l’extrême droite. Les pays européens s’isolent de plus en plus au milieu d’une illusion de la mondialisation. Dès qu’on ouvre un journal régional, on trouve dix lignes sur une catastrophe mondiale, et c’est un fait divers dérisoire mais local qui fait les gros titres. Nos pays sont malades de ces déséquilibres. L’Italie est le pays le plus malade du monde, mais la France va très mal. Le théâtre peut-il changer quoi que ce soit ? Je n’ai aucune réponse, j’ai des questions, et là aussi je cherche. Avec le public, je veux créer un rapport différent, en changeant de rythme et d’habitudes. En modifiant les règles de la représentation. On peut déjà commencer par ça, non ?
La forme de Orchidées est éclatée. Il y a de la radio, du cinéma, de la photo, des comédiens qui ne jouent pas et la parole des poètes. Il y a les grands textes, La Mort de Danton, La Cerisaie, Hamlet, Roméo et Juliette ou Macbeth. Je veux faire entendre les poètes sans le folklore de la représentation théâtrale. Je me sens libre sur scène, et une fois de plus, personne ne saura dans quel catalogue placer le spectacle. Dans les années soixante et soixante-dix, tous les artistes cherchaient à quitter la norme, à s’affranchir des règles. En Italie comme en France aujourd’hui, tout le monde se plie au cadre, tout le monde veut remettre de l’ordre partout. Mais quand vous débarrassez Roméo et Juliette de toute la tradition et du pittoresque théâtral, vous obtenez un drame pur, la vérité et la rage de l’amour. C’est un théâtre de révolte et de vie. Il est temps de tuer le langage de la représentation, de retrouver ce qu’on a perdu, la pureté et la beauté du geste, l’âme. Quand on trouve la vie, sur le plateau, alors on redécouvre le langage.
C’est pourquoi vous vous adressez vous-même, directement, au public ? Sans costume, sans décor, sans affèteries ?
Je veux regarder le public dans les yeux, et le voir me regarder dans les yeux. Je ne veux pas de masques, ni de personnages. Orchidées, c’est une harmonie dans la défragmentation de la narration. Il y a des mots, des sons, des couleurs, des espaces, tout est théâtre, mais je cherche la vérité des êtres, entre la salle et la scène, partout. Je ne veux plus mentir. Tout cela peut encore être un jeu, évidemment, à condition de faire toujours appel à la lucidité, comme le faisait le Chœur dans l’antiquité, ou les effets de la distanciation chez Brecht, comme le faisaient aussi les acteurs de la Commedia dell’arte.
On peut provoquer la révolution dans le plaisir, grâce à la distance, à la conscience. J’ai besoin des grands textes, et j’ai aussi besoin de revenir à une dimension autobiographique. Tout se croise. Dans la mort de ma mère que j’ai filmée, je reconnais celle d’Ophélie. Artaud disait qu’il ne pouvait pas empêcher sa vie de contaminer son œuvre. La mort de ma mère devient atemporelle, et mon histoire dépasse le petit champ social et politique, pour devenir l’histoire de la mère universelle ?
Le théâtre est un espace où je peux lever le masque. Je voudrais que tout le monde lève le masque, au moins un soir, au moins une fois au théâtre. Dans la vie, on les porte sans plus s’en rendre compte, et on les accumule, on en lève un sans même savoir qu’on en dévoile un autre. Sur scène, on peut ôter les masques. Et danser, ensemble, hors des rôles et des cadres. Bobò est analphabète, sourd, muet, vieux et enfantin à la fois. C’est pour ça qu’il peut tout raconter. Parce qu’il est hors de toute logique de narration normée, ou normale. Il peut danser sur une chaise. Il peut jouer tout Tchekhov en manipulant deux poupées, parce qu’il est hors de toute catégorie logique de la vie sociale.
En quoi le spectacle Orchidées raconte-t-il cette ligne fragile qui sépare le vrai du faux ? La vérité et le mensonge ?
En Afrique, on assiste partout à la fois à la beauté et à la désolation. Il y a tout en même temps et pleinement, le fanatisme et l’innocence, la force de l’existence et les ravages de la maladie. Et on peut rire aux éclats quand on n’a plus rien. Si je pense à une orchidée, je vois cette fleur double, dont on ne sait jamais si elle est vraie ou si elle est en plastique. Est-ce qu’elle est belle ou fausse ? Certains insectes se transforment et se font passer pour des orchidées afin de piéger leurs proies. Elle est à la fois féminine et masculine. On dit que le mot « orchidée » signifie aussi éternité, mais c’est une fleur fragile. Il y aurait quatre cents espèces d’orchidées, et toutes n’auraient pas besoin d’eau pour émerger. Elles naîtraient dans la nécessité absolue d’exister.
Le théâtre est toujours un espace nostalgique, on y cherche toujours un jardin perdu. Le jardin du grillot africain qui vous fait croire des choses, qui vous fait faire des rêves et des cauchemars. J’ai la nostalgie d’un théâtre vrai, d’un théâtre de corps, de vie et de chair. La révolution, ces derniers temps, c’était d’envoyer du caca à la tête des spectateurs, de les insulter, de les provoquer. La plus grande provocation du spectacle, cette fois-ci, c’est de faire danser le public, ensemble. Pour que le théâtre redevienne une fête, un moment à vivre avec les vivants, et avec les morts qui sont encore là. L’art peut devenir spirituel et sacré, il peut dépasser les conditions intellectuelles, sociales et culturelles de chacun. Le théâtre est au croisement de tout cela. Nous, les artistes, nous construisons un pont entre tous ces chemins, entre le passé, le présent et l’avenir.
Entretien réalisé par Pierre Notte.
Concentré de ce que le théâtre contemporain peut produire de plus pédant et de plus narcissique. Spectacle interminable et pontifiant, véritable enfilades de clichés sur le sens de la vie et du théâtre. Une dissertation de hypokhâgneux serait plus intéressante.
Un spectacle à découvrir pour entrer dans l'intimité du metteur en scène et de "ses familles". De beaux tableaux, un texte très bien écrit. Une épopée folle, nous invitant avec amour à nous révolter. A voir !
Pour 1 Notes
Concentré de ce que le théâtre contemporain peut produire de plus pédant et de plus narcissique. Spectacle interminable et pontifiant, véritable enfilades de clichés sur le sens de la vie et du théâtre. Une dissertation de hypokhâgneux serait plus intéressante.
Un spectacle à découvrir pour entrer dans l'intimité du metteur en scène et de "ses familles". De beaux tableaux, un texte très bien écrit. Une épopée folle, nous invitant avec amour à nous révolter. A voir !
2 bis, avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris