Notes de mise en scène
L'histoire
Fifi et Mima vont en bateau...
De l'aube claire jusqu'à la fin du
jour
Orénoque évoque en moi la nostalgie des divas tropicales des années 50 et leur royaume : une Amazonie de studio de cinéma. Mina et Fifi laissent leurs robes de chambre flétries pour enfiler le rêve, un costume de rumbera de film mexicain de lâge dor. Plumes, paillettes. Poursuite, rampe et loupiotes. Chansons et chorégraphies au son du Boléro, du Mambo et de la Rumba. Un esprit de la Jungle, sorte dAriel de lAmazonie, vole au-dessus du bateau.
Le tout en noir et blanc, un peu colorié à la main. Orénoque est une fable allégorique où lauteur dénonce la misère et chante la liberté avec beaucoup dironie et de tendresse pour ses personnages. Il les révèle à nous dans toute leur humanité.
Leur situation est une métaphore sur notre existence où chacun a le choix entre la noirceur et la lumière pour affronter la vie. Un des grands thèmes de la pièce cest la distance entre le désir et la réalité. Mina et Fifi aspirent à une vie pleine et libre. Elles essaient et, à chaque fois, elles échouent et tombent plus bas.
Ces deux artistes de la vie incarnent linstinct, les forces vitales de lamour et du désir. Elles font face à la répression (que se soit celle de la police, des maquereaux, de léglise, de la morale bourgeoise, ou des normes sociales) avec toute la force de leur être. Elles sont le désordre, le danger, en quelque sorte le paradis perdu, exubérant, luxuriant ; la Tentation.
Esther André
Metteur en scène
A bord dun cargo délabré sur lOrénoque, deux artistes de cabaret se sont embarquées pour honorer le pire contrat de leur carrière, au milieu de la forêt amazonienne. Au réveil, tout léquipage a disparu, sauf un géant noir "aux yeux de raisins " qui gît, poignardé dans la cabine du capitaine.
Mina Stravinsky et Fifi de Pigalle, deux anges déchus des tropiques, sont bringuebalés par les courants de la vie jusquau bordel du camp pétrolier PIE XII, la dernière étape avant lenfer. Mina, plus âgée que sa compagne est déjà revenue de tout sauf de son amour pour Fifi, la musique et la poésie.
Fifi, poussée par sa rage de vivre, lespoir chevillé au corps, compte toujours sur "un billet pour le paradis ". Après avoir ramené à la vie le beau Salomé, seul rescapé, elles apprennent quil les a sauvées du viol et de la mort en jetant tout léquipage par-dessus bord. Huit morts dun côté, deux artistes de bordel et un docker noir de lautre.
" Les juges ne sont jamais du côté des gens comme nous " dira Fifi. Nos trois héros ont le choix : la prison, le bordel ou la fuite en avant. Le destin décidera pour eux : Une panne de moteur, et les voilà : trois petites fourmis perdues dans limmensité du Cosmos, buvant du champagne sur un bateau qui part à la dérive...
"Elles sont arrivées dune mer, avec toute lhumidité du désir qui ne peut ni veut ni doit se décoller du corps. Elles ont débarqué dans la nuit unanime dune salle de cinéma et elles ont laissé en chaque spectateur un goût de sel dans la pensée. Ce goût apporté par la rumeur de la mer, ce goût qui vit dans la sueur dun corps, ce corps qui sagite au rythme des tumbas et des bongos, mais aussi au rythme du regard de celui qui lembrasse et qui essaie de le faire sien."
Fernando Muñoz Castillo
Fifi et Mima vont en bateau...
Que dire de deux artistes de variétés de seconde zone, au langage cru, qui vont faire du strip-tease dans un bordel ? Que ce sont des putes ! Le tableau est vite brossé : accents gouailleurs, déhanché plus ou moins accusé, arrogance sensuelle de la lèvre inférieure, et le tour est joué ! Seulement voilà, Mina et Fifi se dérobent à cette image cliché, elles échappent au comportement lié à la guêpière et aux bas résilles. Chez elles, le refus de la vulgarité, la candeur, une certaine forme dinnocence, voire de pureté, coexistent avec un franc parler.
Que dire de ces artistes dont le répertoire se limite à des chansons sirupeuses et mièvres ? Que ce sont des ringardes sans culture ! Là encore, Mina et Fifi bousculent nos idées toutes faites : celle-ci fait allusion à la " mémoire affective " de Stanislavski et raconte par ailleurs La Fleur de Lin dAndersen ; celle-là évoque les récitals poétiques quelles donnaient à San Salvador. Et si, en déclamant un fragment de Nouveau Monde Orénoque, Mina ne nomme pas le grand poète vénézuélien Juan Liscano, limportant nest pas là, pas plus que de citer Stanislavski ou Andersen. Lorsquelles font surgir de leur mémoire ces petits trésors littéraires, témoins dune émotion du passé, cest pour les inclure dans leur quotidien, afin de se redonner du courage à vivre. Cest la Culture au secours de la vie.
CARBALLIDO a écrit là une fable qui fait la part belle à lhumour et au souffle poétique.
Maryse RAVERA
Traductrice
De l'aube claire jusqu'à la fin du jour
Orénoque se déroule en une journée, élément important pour visualiser cette fable.
La pièce commence sur une aurore tropicale que lauteur qualifie " dinvraisemblable " par tant de luxuriance lumineuse. Au cours de lacte 1 où nous apprenons que les deux femmes sont les seules maîtres à bord, le soleil monte progressivement au zénith, et à la fin de lacte, au moment où elles rassemblent leurs énergies pour manuvrer le bateau, il est midi. Midi sur lOrénoque, cest-à-dire une chaleur accablante, une lumière éblouissante, plus une seule zone dombre.
Lacte 2 commence sur un coucher de soleil. Elles ignorent où elles vont débarquer. Le soleil continue à décliner. Fifi raconte lhistoire de La Fleur de Lin, cependant que les machines du bateau sarrêtent. On nentend plus que le bruit de leau. Le temps est suspendu. Ce bateau qui, entre chien et loup, part à la dérive avec deux femmes à bord buvant du champagne, a quelque chose de surréaliste. Il fait nuit noire. Fifi allume quelques loupiotes. Elles sont là-bas à la proue, leurs vêtements flottent au vent. Rideau.
Se confondront-elles avec les vagues ou les nuages, comme les douze étincelles du conte dAndersen sétaient confondues avec les étoiles ?
Cartoucherie - Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris