Pour Pas tous les Marocains sont des voleurs, Arne Sierens revient à sa fascination face à la ville et à sa marginalité. Cette fois-ci, l’environnement qu’il choisit est l’arrière-salle d’un café, servant de QG à une bande de jeunes voleurs de portefeuilles et de sacs à main. En partant de la trame d’un polar, il veut confronter une histoire d’amour peu banale avec des discussions philosophiques à propos de la propriété et de l’équité, pour aboutir à une parabole sur le thème des tournures bizarres que peut prendre le destin d’un être humain.
Je les ai vus dans le métro parisien, à bord dun autobus romain, sur la place dAvignon. Lattitude distante, faussement passive, la circonspection, la vitesse à laquelle ils sortent le portefeuille de la poche de la victime. Leurs mains sont celles dun pianiste virtuose. Ma fascination dépassait de loin lenvie de me mettre à crier : Attention !.
La grâce associée à linstinct animal de la chasse. Répréhensible mais beau à voir. Cest tout lhomme.
Et ce nest pas rien. Ne sous-estimez pas la discipline nécessaire. La nécessité de comprendre le comportement humain dans la rue, au milieu de la foule. Travailler en duo exige de se mettre daccord, de débattre sans fin des tactiques à adopter, de sentraîner à fond. Linstinct du vol aiguisé par lefficacité rationnelle. Cela ne vient pas tout seul. Cest un véritable métier.
Dans le documentaire Délits Flagrants de Raymond Depardon, on en voit deux qui comparaissent devant le juge dinstruction. Menottes aux poings. Là, on apprend que le récidivisme est absolu. Personne ne les arrête. Ils ne reconnaissent pas les lois qui protègent la propriété. Dailleurs, ces lois ne font rien pour eux, non plus. Un avocat mapprit que le Code pénal place la propriété au-dessus de la vie humaine, que dans le fond, le vol est plus sévèrement puni que le meurtre.
Arne Sierens
L’idée de départ, c’était de faire quelque chose sur Crime et châtiment de Dostoïevski. Surtout avec les personnages de Raskolnikov, de Sonia et du commissaire.
En 1959, le réalisateur français Robert Bresson avait tiré de ce livre exceptionnel un film tout aussi stupéfiant, Pickpocket. Des voleurs. J’ai vu des voleurs à la tire à l’œuvre à Paris dans le métro, dans le train pour Avignon, à Rome.
Moi aussi j’ai volé. Qui ne l’a pas fait ? Des petits trucs. J’ai été volé, aussi. On perd plus que son portefeuille. On perd aussi une partie de son amour-propre. Faire quelque chose avec le vol, avec des voleurs. Et qui sont les voleurs, chez nous ?
Les Marocains. C’est ce qu’on entend dire partout : que ce sont “des sales voleurs”. Nous, on a fait des auditions pour Marocains. On nous a dit : les filles vont pas venir. Tu parles. Presque rien que des femmes et des filles.
Dans notre version, raskolnikov est une femme et Sonia un garçon. On a situé l’action dans un club de boxe. Deux tiers des boxeurs en Belgique sont des Turcs ou des Marocains. Voilà pourquoi. Et puis parce que, entre la boxe et moi, il y a quelque chose. Dahlia, qui joue Raskolnikov, pratique le karaté. Parfait.
Au milieu du décor, on plante une table de billard. Faut ça. C’est comme ça dans tous les clubs de boxe. Un autel sur lequel on danse, sur lequel on jette la veste. Des queues avec lesquelles on fait plus que jouer au billard.
Nous pensons au film Pickpocket de Robert Bresson. Et à Garde à vue de Claude Miller. Nous allons lire Roman d’un tricheur de Sacha Guitry, Crime et châtiment de Dostoïevski, Journal du voleur de Jean Genet, la Chiave a stella de Primo Levi, et mêler ces lectures à nos propres expériences.
Nous allons beaucoup improviser et discuter longuement de la propriété, de ses limites et de toutes sortes de moralités.
76, rue de la Roquette 75011 Paris