Après Le Pas de Bême, Récits des événements futurs et Les Batteurs, la compagnie Théâtre Déplié poursuit sa recherche d’un théâtre qui met en jeu, en question, cette impression particulière d’être à la fois spectateur et acteur du monde.
Avec cette nouvelle création, elle se penche plus particulièrement sur les rapports que tout groupe entretient avec la notion de vérité, et la manière dont celle-ci détermine des lois, des repères, des conduites. Ecrit avec les acteurs en répétitions, perdu connaissance met en jeu six personnes qui, au contact les unes des autres, se trouvent en nécessité de réélaborer leurs récits communs, de chercher de la vérité partout où il est possible d’en trouver.
Le coma d’un proche, le partage de la garde d’un enfant, une sortie de prison sont ici autant de situations à la fois connues et porteuses d’inconnues, qui les placent, nous placent, nous spectateurs, en situation d’enquête permanente. Non pas pour résoudre une intrigue, mais plutôt, peut-être, pour stabiliser le sol commun sur lequel chacun devra évoluer.
« Adrien Béal et ses acteurs font pénétrer le théâtre dans un lieu qui lui est inhabituel, le logement d’une gardienne d’école primaire à l’heure où l’ordre des choses déraille. Passionnant. » Jean-Pierre Thibaudat - Mediapart
« Un théâtre qui trace son chemin, singulier et hautement stimulant. Une extraordinaire plasticité, un univers de possibles, qui interroge chacun sur son rapport au monde. » Éric Demey - La Terrasse
« La compagnie Théâtre Déplié poursuit sa passionnante quête d’un théâtre philosophique et politique au présent. (…) mise en jeu de ce qu’Adrien Béal qualifie d’« impression particulière d’être à la fois spectateur et acteur du monde. » Anaïs Heluin - Sceneweb
« L’émotion qui affleure, le temps de la représentation, résulte de la compréhension de ce qui est donné à voir, dans une " in-tranquillité " productive. (…) De beaux pas et battements dans la circulation des points de vue. » Véronique Hotte - hotello
Il s’agit, dans la continuité de nos précédents spectacles (Le Pas de Bême, Récits des événements futurs, Les Batteurs) d’écrire à plusieurs, sur le plateau de théâtre, au cours des répétitions. Il s’agit d’imaginer un langage théâtral qui puisse activer dans le présent de la représentation des problématiques politiques, philosophiques. Il s’agit également d’imaginer une fiction qui ne soit pas une fin, mais un moyen de mettre en rapport les différents éléments de la représentation. Comme pour les spectacles antérieurs, notre manière d’écrire est en partie à trouver. Elle fait l’objet de tentatives. Elle s’appuie sur nos expériences précédentes, mais doit aussi être inventée pour l’occasion, être dictée par les questionnements propres à ce spectacle, et agir sur ces problématiques.
L’un des moteurs de notre travail théâtral, que nous tâchons avec cette nouvelle création de préciser, d’aiguiser, concerne l’activité du spectateur. Nous tentons de mettre en relief, de rendre perceptible ce qu’est cette activité : quel est le rapport du spectateur à ce qu’il voit, et quel est son rapport à la fiction, comment ce qu’il voit conditionnera sa position dans le monde, et la manière dont il y effectuera des actions. Le spectateur, c ’est autant celui du théâtre, assis face à la scène qui assiste à une représentation, que l’individu qui est face au monde et cherche à s’en faire une lecture, un récit. On pourrait envisager le spectateur comme celui qui enquête avant d’agir. On pourrait dire qu’un personnage de fiction, représenté sur une scène de théâtre, est aussi un spectateur.
C’est à partir de cette hypothèse que nous travaillons pour mettre en jeu, certes de la fiction, mais surtout la manière dont cette fiction est inventée par quelqu’un et l’effet qu’elle produit sur celui qui la reçoit. Considérer que nous sommes tous sujets de la fiction qui se développe, que nous la développons ensemble, chacun depuis son endroit, qu’on soit sur scène ou dans la salle.
Votre travail de recherche croise des enjeux purement théâtraux et des enjeux politiques. Comment l’avez-vous développé avec cette nouvelle création ?
Adrien Béal : Il y a la tentative de faire un spectacle qui place les gens qui le font et ceux qui le regardent dans un type de relation au théâtre qui soit un peu inhabituel. On peut dire que nous essayons d’amener le spectateur vers une activité qui ne lui fait pas se demander « que va-t-il se passer ? » - la question posée devant tout récit qui est construit sur le mode dominant - mais « que se passe-t-il maintenant ? Où sommes-nous maintenant ? ».
Deux années se sont écoulées entre les premières séances de réflexion autour du projet et les premières dates de représentation. Comment avez-vous conjugué la réflexion sur les matériaux qui vous ont inspiré avec le travail des acteurs au plateau ?
Adrien Béal : C’est la première fois que nous avons autant de temps pour préparer un spectacle. Cela nous permet de prendre le temps de faire qu’une intuition devienne un véritable enjeu de travail formulé pour pouvoir le mettre en partage avec des acteurs. Nous cherchons des manières de nous emparer d’écrits ou de problématiques qui appartiennent plutôt au champ de la philosophie pour les traduire en problématiques de langage théâtral. C’est à dire de rapport au spectateur, à l’incarnation, à la fiction, à la parole, à l’action...
Comment définiriez-vous le rôle du spectateur dans ce spectacle ?
Adrien Béal : Le spectacle repose sur le principe selon lequel nous ne sommes pas définitivement définis ou situés. Notre travail consiste à interroger l’activité du spectateur lors de la représentation théâtrale dans ce qu’elle a de semblable à l’activité que chacun de nous peut avoir face au monde. Pendant la représentation théâtrale, toutes les personnes en présence se retrouvent, à un moment ou à un autre, en situation d’être spectateurs. Être celui qui observe et qui utilise le fruit de son observation pour passer à l’action. Être celui qui a besoin de rationnaliser ce qu’il voit pour pouvoir être dans le monde et agir là où il est. Finalement, nous pourrions attribuer cette définition à quiconque est au monde et aussi à quiconque est dans une salle de spectacle.
Vous insistez sur la distinction entre intrigue et fiction...
Adrien Béal : Dès qu’il y a du langage, donc dès que des gens se parlent, il y a de la fiction. Non pas parce qu’ils se mettent à mentir mais parce que le langage est une médiation du réel. C’est ce que nous mettons en jeu lorsque nous travaillons avec le langage. Non pas en considérant la fiction comme le contraire du vrai, comme ce que l’on trouve sur une scène de théâtre par rapport à ce que l’on trouve dans la rue, mais comme ce qui lie des individus qui doivent se mettre d’accord pour vivre ensemble. Nous essayons de libérer la fiction en veillant à ce qu’il n’y ait pas dans le spectacle une entité surplombante aux acteurs qui serait l’intrigue, et en provoquant des situations qui permettent à l’expérience et non aux lois de l’intrigue de dicter des événements.
Vous dites que « la façon dont vous traitez une situation compte davantage que la situation elle-même ». La forme théâtrale, la représentation sont largement évoquées dans votre discours, peut-être plus encore que pour vos spectacles précédents.
Adrien Béal : Nous n’utilisons pas le théâtre pour décrire le monde ou porter un discours sur un sujet spécifique. Ce que nous tentons est peut-être plus humble et en même temps très ambitieux. Nous considérons que le théâtre est un langage et nous travaillons ce langage en essayant de le déplacer. Nous essayons d’interroger tous les acquis qui irriguent la représentation théâtrale et qui ne sont plus remis en question. Nous nous intéressons à la manière dont une scène est présentée et nous faisons en sorte que le spectateur puisse faire l’expérience de cela. Faire de l’écriture une question et non un outil pour arriver au spectacle nous oblige à nous confronter à des problématiques très élémentaires et très vertigineuses d’adresses, de rapports à la fiction... Nous ne nous donnons aucune possibilité d’échapper ou de contourner le noeud du travail théâtral.
Propos recueillis par Marie Terso pour le T2G, 2018.
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