Marcel Duchamp imagine et réalise La Mariée mise à nu par ses célibataires même à New York, entre 1915 et 1923. L’installation, œuvre maîtresse, serait née d’une vision de l’artiste dans une fête foraine. Lors d’un Chamboultou, des gamins en uniformes, célibataires, projetaient des balles sur une mariée. Les projectiles pouvaient la mettre à nue, sa tenue d’immaculée ne tenant qu’à un fil.
Près d’un siècle plus tard, le chorégraphe, plasticien et vidéaste Philippe Decouflé s’inspire de l’œuvre phare, évoquée dans la correspondance de Duchamp avec son ami Henri-Pierre Roché. Les deux hommes se racontent, se dévoilent à travers des questionnements intellectuels ou matérialistes. Récits échelonnés entre 1922 et 1953, depuis Paris ou New York. Sur scène, trois corps s’emparent des lettres extraites de l’échange épistolaire.
Alice Roland, danseuse, incarne « la célibataire ». Christophe Salengro, danseur, comédien effaré, créature présidentielle de la série Groland de Canal, est également sociétaire de la compagnie D.C.A de Philippe Decouflé depuis plus de vingt ans.
Outre Codex, Shazam !, Sombreros ou Octopus, Philippe Decouflé a signé les a mises en scène des cérémonies des J.O d’Albertville. Il a travaillé au cinéma, à la télévision, au Crazy Horse et au Cirque du Soleil. Il apprivoise ici les espaces plus restreints, les formes courtes, les cadres resserrés, il se rapproche ainsi d’un aveu de Duchamp « réduire, réduire, réduire était mon obsession ». Le chorégraphe lui-même rejoint sur scène ses deux interprètes.
Ainsi verra-t-on Marcel Duchamp lire ses lettres, « la célibataire » qui les commentera, et « le sujet sorti du cadre » qui assurera la comptabilité de l’ensemble. Peu de danse, pas de musique, un film de Duchamp, et la singularité d’un objet organisé par l’écrivain et peintre Gérald Stehr, auteur obsessionnel d’œuvres pour la jeunesse, de fresques délirantes, picturales ou théâtrales. Cet objet non programmé, imprévu, convoque les secrets de Duchamp, responsable imprévisible d’une œuvre aussi concrète qu’immatérielle, faite d’éclats de génie.
Pierre Notte
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