« L'autorité m'est insupportable, la dépendance invivable, la soumission impossible. »
Un jeune homme de 17 ans travaille en usine pendant ses vacances scolaires et découvre un dragon dont toute sa vie il conservera la haine. Le spectateur assiste aux prémisses d'une philosophie politique anarchiste, libertaire et hédoniste fondée sur cette expérience autobiographique. Ainsi apparaît sur scène la figure du rebelle porteuse de désobéissance, de résistance, d'insoumission et d'insurrection.
Pour changer le monde
La rencontre avec le texte de Michel Onfray a été aussi hasardeuse que son interprétation s’est révélée nécessaire : le parcours singulier qui me pousse à adapter et jouer des textes littéraires qui ne sont initialement pas destinés à la scène ne m’avait pas encore donné l’occasion de jouer un auteur contemporain. Or, m’inscrire pleinement dans mon époque et participer à son mouvement en prêtant ma voix aux meilleurs de ses auteurs ne peut que donner davantage de sens à mes choix et les enrichir.
J’ai donc entrepris une quête passionnée de ce qui, dans la littérature contemporaine pourrait susciter le jaillissement du désir de dire.
Et un jour de printemps 2010, à la librairie, dans un besoin impérieux de délassement au milieu de la jungle littéraire, j’ai attrapé par hasard sur l’étagère un « tiens, je ne l’ai pas lu » de Michel Onfray (qui m’était familier depuis longtemps), Politique du rebelle. Ce fut la lecture décisive : Politique du rebelle me permet d’exprimer ce qui m’est absolument nécessaire, vital, aujourd’hui, dans le monde tel qu’il est, afin qu’il tende à devenir tel que je le souhaite. Je venais de rencontrer une de « ces oeuvres qui font de la culture un moyen de s’emparer du monde afin de le vouloir autre, différent. »
Je est un autre
Michel Onfray est un homme et je suis une femme. A partir de cette évidence, il s’agit sur scène d’en imposer une autre : je suis Michel Onfray. J’évacue d’emblée cette contradiction qui est d’autant moins paradoxale que l’expérience m’a depuis quelques années permis de vérifier ce miracle de la scène : chaque postulat est accepté par le public dès lors qu’il est énoncé et défendu avec sincérité. J’énonce que je suis Michel Onfray et je suis Michel Onfray, le public ne doute pas un instant de cette vérité. « Je est un autre », évidemment. Cette singularité du théâtre que j’explore depuis quelques temps, ce parti pris d’interpréter homme ou femme indifféremment, j’ai eu la surprise d’en trouver écho dans une idée fondamentale de Politique du rebelle : « Et puis il faut en finir avec ce terme (l’Homme) qui, jouant sur la duplicité et la pluralité des définitions, permet de soumettre l’ensemble de l’humanité, y compris sa moitié féminine, sous la seule et unique rubrique d’Homme. (...) L’individualité est ce qu’il y a de commun aux êtres, quels que soient leur sexe, leur âge, leur couleur de peau, leur fonction sociale, leur éducation, leur provenance, leur passé. »
Une pensée en action
La langue très imagée de Michel Onfray, permet de proposer le spectacle d’une pensée en action. Seuls sont interprétés le prologue, purement autobiographique, et le premier chapitre philosophique du texte original, qui font une représentation divisée en deux parties égales : la narration de l’expérience en usine puis la dynamique philosophique de cette expérience :
Très marqué par son enfance et son adolescence, dans la partie autobiographique l’auteur retrouve « l’époque où s’inscrivent dans les plis de l’âme les expériences génératrices d’une sensibilité dont on ne se départit jamais. » Son propos est une « physiologie du corps politique. » Pour lui, « l’hédonisme est à la morale ce que l’anarchisme est à la politique : une option vitale, exigée par un corps qui se souvient. »
Avec un dispositif scénique simplifié jusqu’à l’épure : une table, une chaise, des livres, j’incarne le philosophe pendant une heure. Je prête mon souffle à un langage toujours poétique, jamais didactique, une pensée provocatrice non par volonté mais par les vérités qu’elle énonce.
Je navigue en compagnie de Chamfort : « Jouir et faire jouir sans causer de dommages ni à soi ni à personne. », Nietzsche : « Il m’est odieux de suivre autant que
de guider. », La Boétie : « Soyez résolus de ne plus servir et vous serez libres. », Baudelaire : « Il ne peut y avoir de progrès vrai (c'est-à-dire moral) que dans l’individu et par l’individu lui-même. », avec le « Ni dieu ni maître » libertaire, vers un contour précis de ce qu’est une politique soucieuse de l’individu, aujourd’hui. Spectacle-dynamite, Politique du rebelle affirme le refus de toute aliénation. Il revendique le génie colérique qui préside aux révolutions, l’individu souverain, et l’hédonisme comme aboutissement.
« La peau de mes mains commença à se gondoler, à gonfler, à blanchir, puis à partir, morceau par morceau. De petits fragments, des pellicules, des amas cellulaires grattés à l’ongle se déposaient au creux de mes paumes. Puis de plus grands lambeaux qui, sous eux, laissaient une chair à vif chaque matin arrosée à nouveau de saumure. Je devenais comme ces fromages dont les croûtes recouvrent une matière tendre : il me semblait qu’un mimétisme transfigurait tout un chacun qui finissait par ressembler à l’objet indéfiniment travaillé, manipulé, ouvragé. »
« Voici, à mes yeux, ce qui doit être posé au-dessus de tout : la Vie. Option hédoniste, s’il en est, confirmée par les tragédies de ce siècle qui ont fait des existences singulières une denrée si négligeable alors que dans le même temps les tyrans et leurs domestiques installaient les universaux en lettres d’or surplombant les villes, les pays, les nations, les empires et les camps. Combien de millions de morts pour les aigles bicéphales, les étoiles rouges, sinon les tours vertigineuses où se font, virtuelles, les opérations monétaires planétaires dont les sigles sont les signes fiduciaires ? Qu’on se satisfasse de l’individu vivant, qu’on célèbre les unicités traversées de vie, d’énergie, de force, de santé et de vitalité. »
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