Tout le monde connaît l’histoire de Poucet. La pièce revisitée par l’auteur Gilles Granouillet s’inspire de ce moment précis : la rencontre de Poucet avec les ogresses. D’une ogresse en particulier, végétarienne au milieu des carnassiers, et grande lectrice de contes. Et lorsqu’elle rencontre Poucet qui s’approche de sa maison, elle connaît son histoire, elle sait ce qui va lui arriver au milieu de la nuit !
Poucet, pour les grands nous parle de la possibilité pour chacun d’échapper à son destin. Elle nous parle aussi de pères « dont on ne sait pas tout » et de mamans soumises ou complices… et surtout de petites filles qui tracent leur chemin au milieu de tout ça, pour grandir et réussir, tout de même, à s’envoler.
Comme beaucoup de papas, il m’arrive de lire des histoires à mes enfants. J’ai toujours été impressionné par l’impact des contes traditionnels. Pour ne pas m’aventurer dans une « psychanalyse des contes de fées » je dirai simplement que ces histoires touchent les préoccupations fondamentales des enfants. A ce titre Le petit Poucet est un monument.
Dans ce conte l’épisode de la rencontre avec l’ogre est un monument dans le monument. Tout au fond de cette scène, se dessinent sept petites ogresses dont Perrault nous dit très peu de chose puisqu’elles jouent les « utilités » : elles ne sont là que pour se faire égorgées en lieu et place de Poucet et de ses frères. Elles sont là pour que l’histoire se poursuive et puisse bien se terminer. Il m’a paru intéressant de « retourner » cet épisode du conte, de la regarder non pas du côté des garçons, de Poucet, comme chez Perrault, mais du côté des filles, des ogresses. Je devrais dire d’Une ogresse… et pas n’importe laquelle : végétarienne au milieu des carnassiers, grande lectrice au milieu de ses soeurs qui passent leurs journées à des jeux imbéciles et méchants. C’est une ogresse résiliente, c’est une ogresse résistante comme certains enfants que nous croisons parfois, que nous savons pris dans des difficultés familiales et/ou sociales impossibles, et qui pourtant réussissent à échapper à un destin tout tracé à force de volonté, d’intelligence et de bravoure. C’est parce que je voulais mettre en évidence cette figure de l’enfance, que j’ai écrit Poucet pour les grands autour du personnage de l’ogresse. C’est bien contre le destin que va lutter tout au long de la pièce notre Ogresse. Elle lit beaucoup, Le petit Poucet en particulier.
Lorsqu’elle rencontre celui-ci, en tout début de pièce, en lisière de forêt alors qu’il cherche un abri où passer la nuit, tout de suite elle le reconnaît, comprend pourquoi il est ici, tout de suite elle devine la suite qu’elle a déjà lue, tout de suite elle se souvient de la fin tragique qui l’attend. Elle est « dans le livre » et son combat sera d’en sortir, c'est-à-dire d’échapper à un destin qui est écrit, au sens propre. Que ce soit à travers le contexte familial ou dans le noeud de la pièce, il s’agit bien là, pour l’Ogresse, de résistance et de résilience.
Le personnage de la mère, comme dans le conte de Perrault, se caractérise par sa position ambiguë, partagée entre sa volonté de protéger les enfants (elle accueille Poucet et ses frères) et sa soumission au mari (elle le laisse, au bout du compte manger les petits).
Cet aspect m’a particulièrement intéressé et j’ai voulu lui donner plus d’ampleur, plus de profondeur. La mère est avant tout une femme qui se bouche les yeux. Elle trouve dans cette maison un beau confort matériel grâce à l’argent que gagne le père. Le mari est aimant avec ses filles : tout va bien dans le cercle familial. La vraie personnalité de cet homme, ce qui se passe par ailleurs ne se dit pas : elle incarne la loi du silence et verrouille la parole de sa fille jusqu’au jour où Poucet et ses frères entrent dans la maison : le danger se rapproche. La situation de crise est là. Comme dans le conte de Perrault, mais d’une façon beaucoup plus directe et actuelle la pièce donne aussi à voir une situation de conflit familial.
Avec une soeur aînée détestable et si bête qu’elle réussit à nous faire rire, le tableau paraîtrait bien sombre s’il n’y avait Poucet. Même s’il n’est pas le personnage principal, et malgré une certaine pleutrerie, il reste le héro de notre Ogresse. C’est grâce à sa venue, donc presque par hasard, que l’Ogresse va réussir à s’extraire de cette famille et bâtir ailleurs une autre vie, une vie « de grande ». L’amour naît entre l’Ogresse et Poucet et l’amour les emporte. C’est donc aussi une pièce qui raconte un passage, celui des années où les enfants quittent le nid pour voler de leurs propres ailes.
Gilles Granouillet
23 rue de Bourgogne 69009 Lyon