En voulant résilier son abonnement internet, Emmi se trompe d’adresse mail et rentre en contact avec Léo. Ce dernier lui signale son erreur. Ce sera le début d’une série d’échanges par courrier électronique.
Au fil du temps, leur relation virtuelle se tisse, s'étoffe et ces deux inconnus vont se mettre à éprouver l’un pour l’autre une réelle fascination. Les mails anodins se transforment en correspondance, indispensable, attendue, espérée.
Emmi est mariée et conçoit des sites sur internet. Leo est psychologue du langage et se remet difficilement d’un chagrin d’amour.
Pourront-ils sortir de ce cocon virtuel et se rencontrer pour de vrai ? Est-ce une véritable histoire d’amour qui prend corps sous nos yeux ?
D’après le roman Quand souffle le vent du nord de Daniel Glattauer.
L’écriture d’aujourd’hui déconstruit souvent les personnages et supprime l’intrigue considérée comme un peu vulgaire. Daniel Glattauer est absolument contemporain, mais il sait faire vivre des personnages et composer une intrigue, une tension, un suspense. Plaisir de se reposer la question adressée chaque jour à Shéhérazade dans Les Mille et Une Nuits : Elle s’appelle Emmi Rothner, est mariée, a deux enfants. Elle conçoit des sites sur Internet. Il s’appelle Léo Seigné, vit seul. Il est conseiller en communication et assistant à l’Université en psychologie du langage. Au moment de l’action, il collabore à une étude sur les e-mails comme véhicule des émotions. A la suite de l’erreur de saisie d’une adresse mail, ils vont entrer en contact. Une relation épistolaire, faite d’échanges de mails, se crée. D’abord un peu superficielles, leurs rapports vont devenir plus tendres. Vrais sentiments, manipulation ? Et si Léo utilisait Emmi pour faire avancer son étude ? Et si Emmi se servait de Léo pour s’évader d’une vie familiale un peu ennuyeuse ? Ou alors, est-ce un véritable amour qui prend corps sous nos yeux ? Et dans ce cas, comment passer du virtuel au réel ? Pourront-ils même se rencontrer pour de vrai, au Grand Café par exemple ?
Voilà, tout est fragile, suspendu à une phrase, à un mot de trop ou bien un mot attendu et pas dit, un silence, une pudeur, une gêne, un rire, un départ en vacances... La relation qui se construit de mail en mail, pourrait se détruire en quelques phrases. La pièce se passe entre novembre et août. Elle agence une succession de petites séquences saisies entre les autres moments de leurs vies que l’on ne voit pas. Il y a quelques indices dans le dialogue de ces autres moments. A chaque nouvelle scène, les personnages sont dans un nouvel état qui témoigne et de ce qu’il leur est arrivé dans l’entre-deux et de ce qui se passe, s’est passé entre eux deux juste avant. L’homo numericus peut-il encore être romantique ? demande la pièce. Transposer le mail, outil à l’origine professionnel, dans la sphère de l’intime change-t-il l’intime lui-même ? Le médium modifie-t-il la nature du message ? Sans doute puisque, note Glattauer, « la teneur de ce qu’on dit dépend de la vitesse à laquelle on réagit. » L’outil informatique, ce qu’il induit, la façon dont cet homme et cette femme réagissent aux messages de l’autre, tout cela provoque des contretemps, des erreurs de jugement, des malentendus, des suppositions qui ne s’avèrent pas, des attentes déçues, des bonheurs aussi, des joies subites et fugaces. Et puis, avec le temps, chacun se construit une représentation de l’autre et investit cette image d’émotions, d’espoir, de projets.
C’est donc bien une comédie sentimentale qui se joue devant nous : parler de l’amour aujourd’hui via Internet n’empêche pas la légèreté, la drôlerie, au contraire. On peut même dire que ce nouveau moyen de communication provoque des situations inédites dont Glattauer exploite tous les ressorts, jusqu’à leurs conséquences les plus burlesques. Le décor : murs et sol blancs, aux lignes affirmées, mobilier coloré et très contemporain, une longue fenêtre au fond comme un épais trait de lumière. C’est froid, un peu impersonnel, comme les photos des magazines de décoration, mais c’est aussi un écran sur lequel les images et les phantasmes des personnages et des spectateurs vont pouvoir se projeter sans être contrariés par rien d’anecdotique.
Tout va se vivre entre les personnages, l’espace ne fait que recevoir. Espace en apparence réel (il y a une table, des chaises, des lits de repos, etc.), mais en réalité virtuel : dans la fiction, Emmi et Léo vivent chacun chez soi ; sur scène, ils partagent le même lieu qui est à la fois chez elle et chez lui, mais, évidemment, sans se voir : ils se croisent, pourraient parfois presque se toucher, mais ne se regardent jamais. Il y a une expression dans le jazz : Alone together, seuls ensemble. Seuls ensemble… Comme une succession d’instants privés, d’instants à soi, pour soi, au plus près du secret, de l’intime, mais d’un intime qui appartient à tous… Mettre ce scène ce texte sera tenter de nouer tous ces fils, du contemporain et de l’éternel, de l’homme et de la femme, du singulier et du général, des larmes et des rires.
Hervé Dubourjal et Alain Ganas
4, rue Monsigny 75002 Paris