Ruy Blas est un drame romantique en cinq actes publié en 1838 : nous voyons des héros soumis à un destin fatal, et qui tentent vainement d’y échapper. L’action se déroule dans l’Espagne de la fin du XVIIe siècle, sur plusieurs mois.
La disgrâce de don Salluste est prononcée : il doit quitter la cour car il a fait un enfant illégitime à l’une des suivantes de la reine. Obsédé par sa vengeance, il rencontre son neveu César et lui demande de l’aider à l’accomplir, mais ce dernier refuse.
Don Salluste va donc faire appel à son valet, Ruy Blas, amoureux de la reine, et lui ordonne de devenir son amant. Commence alors un jeu de séduction qui intrigue et charme cette dernière, délaissée par son époux. De son côté, Ruy Blas gravit les échelons et devient ministre...
« Au cœur de Ruy Blas résonne un aveu encore anonyme à valeur de paradigme : « Ver de terre amoureux d’une étoile ». Comment l’entendre ? En conte de fée : un valet aime la reine et devient son premier ministre. En mélodrame : deux cœurs purs saisis d’amour fou succombent à un serpent machiavélique. En tragédie sociale : malgré sa valeur, un prolétaire meurt victime de la tyrannie des Grands. En comédie de l’aliénation : puisque le titre seul fait la valeur, un laquais ne peut faire (re)connaître son talent qu’en se faisant passer pour noble. En drame romantique : puisque l’homme du peuple a le génie pour couronne, sa place n’est plus dans les marges ou les bas-fonds, mais au sommet de la société.
De fait, avant la Révolution Française, sous l’Ancien Régime, la naissance assignait une condition au point de signer un destin. Les ordres ne se transgressaient pas (ou peu), et chacun était fils de sa classe – autant dire, pour l’homme de la rue, fils de personne. Mais si la lignée disait l’essentiel – bon sang ne saurait mentir -, elle ne déterminait pas tout : le nom imposait le renom. Au gentilhomme de tenir son rang, de se montrer digne de son sang, de confirmer par ses actes son essence supérieure. Faute de quoi, l’homme de qualité tombait dans la déchéance. Et sans nul doute, contrepoint de cette descente aux enfers de la bonne société, le mouvement inverse, ascentionnel, était-il lui aussi réalité. Dans le droit fil des affranchis antiques, des annoblis médiévaux et des parvenus classiques, le roturier moderne pouvait bien, par une extraordinaire industrie et à la faveur d’une grâce inouïe, s’élever pour atteindre les sommets du grand monde et du pouvoir. Telle fut la destinée de maints favoris, à la Cour des Habsbourg ou des Bourbons.
Mais dans cette galerie des hommes d’exception, hissés hors de leur condition à la force de leur extrême singularité, Ruy Blas fait figure d’archétype révolutionnaire. Derrière son Espagne décadente de 1699 transparaît la France abâtardie de 1838 : sous le crépuscule du Siècle d’or espagnol perce le désenchantement né d’une révolution deux fois confisquée, en 1830 encore par une monarchie bourgeoise, orléaniste, qui a pris pour credo l’injonction de Guizot : « Enrichissez-vous ». Troquant l’honneur pour le profit, l’aristocratie sombre dans la corruption – « Bon appétit, messieurs ! ». Elle y perd le monopole de la définition de la valeur, qui n’est plus, désormais, la naissance, mais le mérite. Mérite qui, porté à son incandescence et à sa quintessence, se transmue en génie, cet élitisme du peuple magnifié par la vision du poète. Bien qu’advenue en ce dix-neuvième siècle croissant, la Révolution Française reste encore à réaliser – Français, encore un effort et vous serez républicains – 1848 n’est pas loin. Aux antipodes de Musset, pour qui l’Histoire n’a aucun sens, la Révolution aucun espoir, l’action aucune portée et le peuple aucune existence, quatre ans après Lorenzaccio, Hugo fait surgir, sur la scène agonisante de la monarchie et les ruines de la tyrannie, le héros du peuple en marche vers l’avenir.
« Ver de terre amoureux d’une étoile » : d’une contradiction jadis insurmontable, la dialectique hugolienne crée une dynamique révolutionnaire qui, par l’éclair du génie et l’élan d’amour, permet le dépassement de la fatalité sociale, la transmutation des valeurs et l’espérance d’un progrès historique. Désormais, pour être un héros souverain, régnant sur les cœurs et sur ses sujets, un valet n’aura plus à se prétendre grand seigneur. Il pourra quitter l’imposture et l’anonymat pour assumer, à travers son nom, son identité : Ruy Blas – « Merci ! ».
Gérald Garutti
« Qui d’autre que Schiaretti, cet apôtre du verbe, aurait osé s’attaquer à Ruy Blas (1838), romantique en diable, parfois ridicule, sans espérance aucune. (...) Jérôme Kircher et Robin Renucci incarnent à merveille cette poésie hybride où grotesque, délicatesse et tristesse se mêlent. » - Fabienne Pascaud, Télérama
« Christian Schiaretti signe un grand spectacle de facture classique en donnant à entendre le fameux souffle hugolien, en ce qu'il implique de surabondance et de lyrisme emphatique, un spectacle d'une intelligence et d'une rigueur remarquables, respectueuse du texte et de l'auteur, dans la grande, et jamais désuète ni poussiéreuse, tradition du théâtre de répertoire. » Froggy's Delight
« Une troupe électrifiée par la verve hugolienne, portant son verbe haut et clair, pour l’offrir avec clarté à un large public. » - Hélène Kuttner, Première
« En confiant les rôles-titres de la pièce aux jeunes comédiens de la troupe du TNP, et en réservant ceux de Salluste et de César aux magnifiques Robin Renucci et Jérôme Kircher, Christian Schiaretti fait mieux que mêler sur scène maîtres et débutants : il illustre théâtralement la portée politique de Ruy Blas. » Catherine Robert, La Terrasse
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