Afin de décrocher le prix Pulitzer, un reporter enquête sur un meurtre commis dans un hôpital psychiatrique. Comment ? En se faisant interner comme malade… Sa recherche progresse, mais son équilibre mental vacille. Mathieu Bauer adapte le film culte de Samuel Fuller, réquisitoire contre la guerre, la haine raciste et le délire nucléaire qui ravagent les États-Unis des années 1960.
Le spectacle dévoile aussi le hors-champ de l’écran de cinéma : le tournage, les choix esthétiques, le talent des acteurs dits de second plan, et la biographie de l’aventurier qu’était Samuel Fuller. On zigzague sans s’égarer, grâce à la partition musicale de Sylvain Cartigny, interprétée en direct sur le plateau. La rythmique fait monter la pression, les mélodies lancinantes nous entraînent, et les refrains repris en chœur pointent la brutalité du système. Un polar politique mené tambour battant par dix jeunes comédiens à l’unisson. Un hommage au cinéma et à l’un de ses esprits libres.
« Un spectacle très accompli, très riche, qui offre quantité de beaux moments. » Arnaud Laporte, France Culture
« Un art du montage, de la composition (...), jubilant ! » Fabienne Pascaud, Télérama
« Une proposition joyeuse et pertinente. » Marie-José Sirach, L'humanité
« L’émotion du spectacle Shock Corridor est moins celle que procure la rencontre entre tel et tel personnage [...] que l’émotion douce et diffuse que procure l’ensemble que forme les acteurs du groupe 42, chacun à sa place et tous dans la lumière. » Jean-Pierre Thibaudat, Mediapart
« Avec une intelligence et une virtuosité qui sont sa marque depuis ses débuts, Mathieu Bauer tresse plusieurs fils... » Armelle Heliot, Le Figaro
« Sur scène douze jeunes acteurs de l’école du Théâtre National de Strasbourg transforment un joyau du cinéma en théâtre et en musique. » Patrick Sourd, Les Inrockuptibles
Comment est venue l’idée d’un spectacle à partir de ce film si particulier ?
Il y a quelques années, j’ai eu envie de monter un Prométhée. Et il me semblait qu’on pourrait retrouver la figure de Prométhée dans une cellule de l’hôpital psychiatrique de Shock Corridor. Puis, j’ai abandonné. Mais Prométhée, sur lequel je travaille d’ailleurs aussi cette année, et Shock Corridor, sont restés comme deux amis, un film et un personnage sur lesquels je continuais à avoir envie de travailler. Puis, il y a eu cette proposition du Théâtre national de Strasbourg de travailler avec les élèves. Et là, j’ai pensé à Shock Corridor que j’ai eu envie de monter très rapidement.
À cela s’est ajoutée la lecture du livre de Philippe Garnier sur les Characters Actors, c’est-à-dire les seconds rôles dans le cinéma américain, tous ces acteurs qui ont l’habitude de travailler en bordure du projecteur, qui ne sont pas forcément au centre de l’image. Ces figures nous sont familières, mais on a souvent du mal à mettre un nom sur leurs visages. Le genre d’acteurs qui incarnent souvent des majordomes, des tueurs à gages, des prêtres, des banquiers. Je m’étais dit qu’avec des élèves qui se rêvent forcément en stars, et ils ont raison d’ailleurs, au centre de l’image, il pourrait être d’autant plus intéressant de travailler sur ces seconds rôles.
Le troisième élément qui s’est ajouté aux deux premiers, c’est la vie de Samuel Fuller qui est assez fascinante. J’avais envie de rendre justice à son côté Blaise Cendrars, à son côté aventurier. Il a traversé un nombre de situations absolument incalculables ! À 14 ans, il était copy boy dans les journaux américains. À 17 ans, il était déjà reporter dans la section criminelle. Il a travaillé dans les bas-fonds. Il s’est engagé dans l’armée. Il a fait toutes les campagnes de la Seconde Guerre mondiale. Il a pris des positions radicales et personnelles sur la ségrégation raciale. En tant que cinéaste, il a eu un parcours en dents de scie. Il a fait peu de concessions. Ce qui lui a valu quelques démêlés avec les studios. Donc, le personnage traverse tout le spectacle. On n’hésite pas à interrompre le récit pour donner un éclairage sur tel ou tel épisode de sa propre vie. Au même titre que les seconds rôles qui viennent eux aussi interrompre le déroulé du spectacle pour faire un pas de côté. C’est une façon de parler du cinéma mais également de rendre hommage aux laissés-pour-compte, à ce peuple figurant, ce peuple fantôme dont parle si bien Georges Didi-Huberman. Des corps, des figures, des tronches qui ont un peu disparu du cinéma contemporain. Derrière tout ça, il y a aussi quelque chose d’un peu politique et qui pose la question suivante.
Qu’est-ce qu’être à la marge ?
Pour finir, le dernier élément qui s’est ajouté, c’est le premier film de Frederick Wiseman, Titticut Follies, qui travaille sur un pénitencier dont la spécificité est d’être réservé à des aliénés. C’est un film qui a été interdit pendant trente ans et qui pose la question de savoir comment notre société prend en compte la folie. Au sein de ce film très violent, il y a des choses étonnantes, assez douces. Il commence par une représentation, une revue organisée pour le Nouvel An à l’intérieur de l’institution dans laquelle les patients chantent et dansent.
Tout le film est d’ailleurs traversé par des tas de musique. Il y a des patients qui se mettent d’un seul coup à chanter des chansons folk américaines… C’est un élément que j’ai eu envie d’amener dans le spectacle. D’autant plus qu’une des spécificités de mon travail c’est précisément de travailler avec la musique. Il y avait ce désir de faire un projet avec les élèves sur une matière musicale. J’ai donc constitué l’orchestre de Shock Corridor, l’orchestre d’aliénés qui habite l’espace.
Ce sont donc ces quatre éléments qui m’ont permis de construire, avec les élèves, cette aventure de Shock Corridor. Ça devait être un exercice d’élèves mais on a finalement monté le spectacle. À en croire les retours, les spectateurs étaient très heureux. Ça a été un vrai bonheur car les élèves m’ont aussi mis à un endroit que je ne connaissais pas si bien que ça, celui de la transmission. On a beaucoup parlé de cinéma, vu beaucoup de films ensemble, des films de genre, des burlesques, des muets comme ceux d’Erich von Stroheim. Eux m’ont amené une vitalité, une énergie de troupe. Ce sont 12 comédiens, 6 garçons, 6 filles. C’est une très belle promotion, très musicienne. Chacun d’entre eux avait un rapport assez évident à la musique. Ce qui est loin d’être toujours le cas. Donc, on s’est vraiment rencontré ! Pour moi qui vient d’un collectif, il y avait aussi le plaisir de travailler à nouveau avec du monde sur scène, avec une troupe en quelque sorte. Ce qui est de plus en plus rare car souvent, on essaie de limiter le nombre d’interprètes pour des raisons bêtement économiques.
Comment s’est passé la transposition de Shock Corridor à la fois du cinéma vers le théâtre et surtout, dans la mesure où les problématiques du film sont très américaines, des États-Unis vers la France ?
Shock Corridor c’est une radiographie des peurs qui secouaient les États-Unis dans les années 60. Il y a évidemment le péril rouge omniprésent, la bombe atomique et la ségrégation raciale qui a très profondément divisé le pays. On en voit d’ailleurs bien les conséquences encore aujourd’hui, avec le retour du suprématisme blanc. Il peut y avoir aussi des échos avec la France contemporaine. Par exemple, un des personnages de Shock Corridor décide de rejoindre les communistes en Corée parce qu’il se sent, dans son propre pays, déclassé, déconsidéré. Il suffit de faire un pas de côté pour voir des similitudes avec une situation pleinement contemporaine, celle de ces jeunes gens qui, pour des raisons similaires, peuvent être tentés de rejoindre Daech. Mais je n’ai pas non plus eu envie de resituer tout cela dans un contexte trop franco-français. Les parallèles se font d’eux-mêmes. Je pense que nous sommes dans des situations qui, sans être identiques, peuvent faire écho. La France glisse peu à peu vers la peur. Et, précisément, le film de Fuller dénonce les peurs en tout genre, les peurs qu’on peut avoir les uns des autres. Fuller en parle également très bien. Il a beaucoup voyagé dans le sud des États-Unis où ce racisme latent est là depuis très longtemps. J’ai utilisé aussi des textes dans lesquels il parle de l’horreur de la guerre. Ce qui nous ramène également à notre situation contemporaine où la guerre est très présente.
Vous avez évoqué un orchestre composé d’acteurs et d’actrices présent sur scène. Quel genre de musique interprète-t-il ? Y a-t-il de l’improvisation ? Comment se manifeste cette dimension musicale ?
C’est surtout une tradition américaine qui est revisitée. Celle des revues musicales, des comédies musicales, des chansons folk, country. Il y a du Patsy Cline, du Gershwin, du Billie Holiday et, en particulier, la chanson Strange Fruit, une des premières protest-songs. Il faut comprendre que ces fruits qui se balancent aux branches des arbres ne sont rien d’autre que les noirs qui ont été pendus par le Ku Klux Klan. C’est une chanson de 1937 qui répond au discours d’un des personnages du film, un Noir qui se prend pour un membre du Ku Klux Klan. Il y a également le matériau musical original amené par Sylvain Cartigny avec qui j’ai l’habitude de travailler. C’est une matière musicale qui entre en relation directe avec certains textes. En France, les acteurs ont l’habitude de penser qu’ils doivent tout prendre en charge, le sens, le rythme, la tension, l’émotion… Ça fait beaucoup pour une seule et même personne ! L’avantage d’avoir des musiciens avec soi sur un plateau, c’est qu’il y a une partie de ce dont on veut témoigner par le texte qui peut être pris en charge par la musique. Donc, ça permet à l’acteur de se concentrer sur autre chose, d’alléger son jeu car il est dédouané d’un certain nombre de choses par la musique. Ça participe d’un travail que je fais depuis pas mal d’années avec Sylvain Cartigny. Parfois la musique vient même couvrir le texte. C’est Heiner Müller qui disait « Quand tout a été dit la musique peut commencer. »
Beaucoup de spectacles théâtraux s’emparent aujourd’hui du cinéma. Est-ce que ce spectacle autour de Shock Corridor s’inscrit dans un mouvement contemporain ? Ou est-ce le fruit d’une passion personnelle qui n’a rien à voir avec le contexte d’aujourd’hui ? Pourquoi le théâtre a-t-il aujourd’hui autant besoin du cinéma ?
Je ne sais pas. Pour moi, c’est vraiment une passion personnelle. Dès le début, avec ma compagnie, nous avons monté Les Carabiniers de Jean-Luc Godard. Ensuite, j’ai travaillé sur Serge Daney, critique, passeur, joueur de tennis, quelqu’un qui a été important pour moi, pour lire le monde, qui m’a emmené sur des territoires que je ne connaissais pas et qui s’est lui-même aventuré sur des territoires inconnus. Plus tard, j’ai monté Les Chasses du comte Zaroff, un travail sur la série B mêlé à l’univers et à la réflexion d’Elias Canetti. Depuis le début, le cinéma a traversé beaucoup de spectacles que j’ai montés. Ça a jalonné mon trajet. Pas dans le désir de singer le cinéma, mais plutôt de le décortiquer, d’en voir sa grammaire, sa spécificité. Il y a également la question du montage qui me semble être une chose essentielle que le théâtre n’a pas, les ellipses, le montage parallèle, toute une écriture… J’ai essayé de mettre ça sur un plateau en me demandant comment coexistent la musique, le texte, une image, un comédien, comment ça s’agence, qu’est-ce que cela crée comme frictions, comme possibles, comme ouvertures.
Quel type de scénographie, de lumière, de décor utilisez-vous pour Shock Corridor ?
Il y avait un désir de noir et blanc. Une des forces de Shock Corridor c’est la lumière de Stanley Cortez, grand chef opérateur qui a fait aussi La Nuit du chasseur ou Le Secret derrière la porte. Il y a quelque chose de très tranché dans le noir et blanc de Shock Corridor. Il y a ce désir de reproduire quelque chose d’équivalent. Mais c’est plus difficile sur un plateau de théâtre. Il n’y a pas de gros plans. C’est difficile d’isoler un détail ou d’avoir la moitié du visage dans l’ombre et l’autre moitié dans la lumière. Mais on est tout de même parti de ce noir et blanc très tranché. Pour les costumes, il y a un côté récup’. On est allé faire un tour au magasin des accessoires, c’est-à-dire dans le stock costumes du Théâtre national de Strasbourg. On a également ramené des fragments de décor glanés dans le stock décor. C’est un assemblage de différents éléments qui donne aussi à voir le côté décati qu’il peut y avoir dans certains hôpitaux psychiatriques. Ce sont souvent des lieux à l’abandon, mal entretenus, très froids, un peu durs. Il y aussi des pantalons récupérés qui sont trop grands, trop courts, que les comédiens sont obligés de serrer avec une ceinture. C’est très joli car ce sont des costumes récupérés à l’opéra de Strasbourg mais qui demandent une certaine adaptation. Ça fait des silhouettes, des dégaines que j’aime assez.
Entretien réalisé par Thierry Jousse
Tous les films de Fuller tournent, en fait, autour d’une même idée, le héros, le personnage masculin, se lance dans une aventure plus ou moins crapuleuse ou violente pour des motivations personnelles qui, toujours, recouperont un événement historique précis ou la description d’une société bien établie, la capitulation du sud et la conquête de l’ouest Le Jugement des flèches, le monde de la pègre qui domine la société Les Bas-fonds new-yorkais, l’invention de la linotype Park Row et, enfin, tous les problèmes de l’Amérique moderne Shock Corridor.
Shock Corridor, c’est tout cela. Du cinéma-dynamite qui pulvérise la symbolique du film, lui donnant un côté exemplaire : cette enquête menée par un journaliste arriviste nous entraîne dans un monde terrifiant, où tout peut arriver. Et c’est nous qui, peu à peu, sommes démystifiés, nous qui, comme le héros, poursuivons souvent de misérables enquêtes tandis que le monde se déchire sous nos yeux. Ce détective improvisé ne veut pas abandonner cette poursuite dérisoire. Il se refuse à entendre tout ce qu’on dit autour de lui, tous les crimes que l’on dénonce, les violences commises par le K.K.K., par la bombe atomique.
Samuel Fuller est un lyrique. Un poète lyrique. À partir d’une base solide, dont il faut tenir compte, son style peut se développer en de fulgurants mouvements, en d’admirables images. Quand il veut s’attaquer aux sentiments qu’il déteste, racisme, hypocrisie, amour de la violence, il transforme ses critiques en réquisitoire, en pamphlet apo calyptique.
Voilà la véritable clé de Fuller, celle qui permet d’éclairer son œuvre, de comprendre certains de ses partis-pris, sans pour autant être d’accord avec eux. Cet auteur n’est un réaliste qu’au niveau de l’écriture du sujet. Au-delà, qu’il s’agisse du dialogue ou de l’image, c’est un visionnaire, un poète.
Bertrand Tavernier, « Quelques notes sur un visionnaire », L’Avant-scène Cinéma
Bonne transposition d'un film vers la scène, avec l'énergie de la jeune troupe, et un propos original.
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Bonne transposition d'un film vers la scène, avec l'énergie de la jeune troupe, et un propos original.
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