D’après “Moi Franco” de Manuel Vazquez.
Une maison d’édition comme la notre a beaucoup de relations. Toute personnalité importante aspire à publier un jour ses mémoires chez nous. Nous payons et nous vendons mieux que les autres. Je viens de signer un contrat pour une autobiographie de Franco.
- Avec Franco ? Carvalho soutint son regard.
- Non. Avec un écrivain rouge, rouge écrevisse : je lui ai mis un chèque
sur la table, et tous ses préjugés ont volé en éclats.
Il m’a demandé toute liberté de traiter le sujet, accordé, on discutera des
allègements au moment du second chèque.
- Il y a toujours un second chèque ?
- C’est le meilleur système. Un chèque pour l’acheter et un autre pour
l’achever…
Manuel Vazquez Montalbán in Le Labyrinthe Grec
Marcial Pombo est bloqué. Il ne peut plus écrire sans un “signe” de son père mort il y a déjà seize ans…, juste après la mort de Franco en 1975. Pombo, au-delà de la mort, explique donc à son père : Comment le jeune éditeur Ernesto Amescua (fils de son ami de Parti Julio, un peu “Communiste Aristo”) lui a fait la commande “hallucinante” d’une biographie de Franco à la première personne…, pour les jeunes…
Comment il va raconter d’abord le point de vue de Carmen Polo (La fidèle éternelle épouse de Franco) à Juanito, le fils qu’Ernesto lui envoie pour le mettre au travail…
Comment, sous la pression de Fernando, le directeur littéraire, tout son travail pourrait basculer sexe !
Comment il faudra en venir à faire parler le Généralissime lui-même toujours accompagné de son épouse…
Et comment va s’y mêler inextricablement sa propre histoire, et celle de son
père et de sa mère… Celle des vaincus de l’histoire…
La pièce baigne dans un univers émotionnel tissé par les évocations
musicales du cante jondo avec guitare d’un côté, combattu par la zarzuela légère
avec accordéon de l’autre…
On peut aussi voir Signé Pombo comme la signature du pacte “Faustien” accepté par un écrivain cédant aux séductions d’un gros chèque… En viendra-t-il à écrire une, deux ou plusieurs “histoires” ? Laquelle sera donc retenue dans les futurs tuyaux de la communication ? Pourra-t-il prendre sa revanche sur les oubliés de l’histoire… ? Non sans humour, en viendra-t-il à rompre le silence des vaincus ?
Une nouvelle fois, Louise Doutreligne met l’auteur/écrivain et le processus même de l’écriture sur le terrain du théâtre. Elle souhaite montrer après la Thérèse de “Teresada”, après Goethe et Ambroise Toussaint Faustus de “l’Esclave du Démon”, le Mérimée de “Carmen la Nouvelle”, le Gaarder de “Vita Brevis”, Élise dans “Ses lettres”, etc… comment l’auteur articule “sa” propre réalité et sa mémoire au présent de la création littéraire ; se faisant, Louise Doutreligne fait œuvre elle-même, car c’est de l’intérieur de l’écriture que se définissent les béances de ses personnages : leurs contradictions si humaines, et le doute existentiel et créatif.
Dans “Signé Pombo”, Pombo donne vie à un Franco qui ressemble à s’y méprendre
au vrai, sauf qu’il s’agit bien “d’une marionnette”…, d’un
personnage de théâtre interprétant sa propre biographie édifiante… Il
laisse entrevoir aujourd’hui les tenants et aboutissants de la pensée réactionnaire,
fascisante, étriquée… qui guette et nous guette à tout moment.
Louise Doutreligne enfin, est une dramaturge de terrain, de plateau qui n’hésite
pas, lors des répétitions, à rectifier, rythmer, bousculer son écriture pour
la soumettre aux lois intangibles des contraintes de cet art encore Vivant… le
Théâtre…
Faire écrire l’autobiographie de Franco par un de ses irréductibles opposants, n’est-ce pas affirmer qu’un devoir de mémoire s’impose envers ceux qui ont vu leur vie inextricablement imbriquée au franquisme au point qu’on ne peut les évoquer aujourd’hui qu’en évoquant le franquisme… C’est dans “les silences” de Franco qu’on entend les bruits de ceux qu’il a précisément voulu faire taire, ces combattants anonymes de l’antifranquisme. Leurs voix émergent face à la parole du dictateur, mais face aussi à celle d’une historiographie aseptisée qui ne voudrait plus les connaître autrement que comme de vagues bruits, des sons parasites qui viendraient altérer fâcheusement le discours trop serein qui décrète le passé définitivement révolu. Pour Pombo, écrire la vie intime du franquisme sera alors, paradoxalement, la seule façon de les faire survivre à l’oubli auquel risque de les condamner une démocratie trop volontiers amnésique : “Nous sommes en train de vous oublier, Général, et oublier le franquisme revient à oublier l’antifranquisme, cette exigence culturelle, éthique, pleinement généreuse, mélancolique et héroïque…”, écrit Pombo sur ses dernières pages.
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