Présentation
Ce n'est pas un récital Shakespeare comme il y a des récitals Schubert
Les Sonnets ont une réputation et un mystère
Interprète Norah Krief
Adaptation et conception Pascal Collin
Composition musicale Frédéric Fresson, Norah Krief
Musiciens Philippe Floris, Frédéric Fresson, Daniel Largent
Le spectacle est présenté au CDN de Normandie au 32, rue des Cordes à Caen
Alors elle a commencé à chanter. Elle est au travail. Elle ne chantonne pas, elle chante. Devant moi. Derrière elle, deux musiciens ont surgi, elle a attrapé le micro, pantalon de cuir noir et tee-shirt délavé et elle a balancé un sonnet. Direct. Puis deux, trois, quatre. J'avais le pied qui battait la mesure et puis envie de lui dire " vas-y continue, continue, n'arrête pas " . C'était pas un rôle, pas un personnage, c'était elle. Jamais je ne l'avais vue comme ça. Et Frédéric au piano et Yao à la guitare, ensemble la portant elle, et elle, les portant eux. Une énergie de groupe. Un plaisir collectif. Je ne savais plus s'ils étaient en studio, en concert, en répétition, en représentation, et à la fin des quatre morceaux, j'avais envie de leur dire tout ce que j'avais vu, entendu, ressenti, j'étais déjà au travail, moi aussi avec eux.
Eric Lacascade
Ce n'est pas un récital Shakespeare comme il y a des récitals Schubert
Ce n'est pas un récital Shakespeare comme il y a des récitals Schubert. Ce n'est pas un tour de chant. Ça pourrait s'appeler Cabaret mais ça n'en est pas un. C'est du théâtre. Ce n'est pas une pièce de théâtre. Ce n'est pas un concert rock.
Ce n'est pas non plus un objet étrange, puisque c'est du plaisir. Si donc il y a un sens profond à ce projet, c'est qu'il est assez amoral. Et donc qu'il n'y a pas de sens profond.
C'est une excroissance imprévue du Henry IV de Shakespeare monté par " La Nuit surprise par le jour " , mis en scène par Yann-Joël Collin.
Auparavant, il y avait eu un accueil en Normandie, à la Comédie de Caen.
Norah Krief et Pascal Collin ont des attaches, anciennes et fortes, avec l'équipe du CDN de Normandie. Il était logique que ce soit là que le projet voie le jour, devienne une réalité et pour cela, les Sonnets de Shakespeare délivrés avec agressivité, splendeur humour et désespoir sont devenus une parole, une voix. Celle de Norah. Une femme. Alors qu'on sait que les Sonnets de Shakespeare déclarent l'amour d'un homme pour un autre homme. Mais pour nous, ce n'est pas de sexe au sens de genre qu'il s'agit, mais au sens de tremblement et de volonté. D'Eros.
Et Norah est une actrice qui ici devient chanteuse. Le spectacle voudrait, à chaque représentation, raconter cette métamorphose. Que le chant naisse de la force et de la fragilité conjuguées de l'actrice, capable dans le même mouvement d'affirmer une résolution sans faille et de laisser paraître une déchirure profonde, toutes deux déjà inscrites dans les Sonnets de Shakespeare .
Et surtout, on voudrait que cette voix poétique trouve son accomplissement, c'est-à-dire son destinataire. Car cette parole de Shakespeare, sur le plateau, n'est déjà plus de lui, mais de l'interprète. Qui aussitôt n'est plus seulement l'interprète. Mais devient, dans la relation avec le public, l'inventeur de cette parole.
Les Sonnets ont une réputation et un mystère
La réputation, justifiée, de célébrer un grand amour homosexuel, dans ses douleurs et ses joies, ses élans les plus vifs. Et, comme pour rendre cette parole amoureuse encore plus troublante, il y a ce mystère entretenu, voluptueusement conservé même, autour du destinataire... (Certes on n'a pas autant glosé sur " le vrai " dédicataire des sonnets que sur le " vrai " William Shakespeare, qui aurait écrit les pièces de l'histrion illettré nommé également William Shakespeare. Mais pas loin. Et on continue aujourd'hui : qui est ce W. H., the begetter ? C'est amusant de chercher, et ça n'aurait absolument aucune importance, si ça n'évitait de parler du vrai mystère : le sonnet lui-même.)
On dit de lui qu'il est raffiné précieux codé rhétorique artificiel ampoulé. Bref : relevant tout de même, dans sa beauté, d'une pratique un peu surannée. Peut-être. Mais alors cette vieille poétique est mise au service d'une terrible et spectaculaire déchirure, qui tous les jours nous sépare : celle entre un érotisme sans complexe, débarrassé de tout honteux détour, et la chair qu'il prononce, et qui est inconsommable. Entre un vrai désir de peau et de sueur, et l'impossibilité déclarée, assumée dans le même temps, de tout espoir : jamais la peau ne sera embrassée ni la sueur bue.
Et avec ça le sonnet est jaloux, et voudrait que l'autre soit aussi chaste, qu'il est lui-même gonflé d'une fière libido. Le sonnet est une contradiction, et c'est une tragédie. Le sonnet est une parole, et c'est une joie pure : le bonheur d'enfin exiger ce corps, dont on n'attend, dès le départ, plus rien.
Le corps : cette partie manquante du texte, qui le constitue et auquel il s'adresse, et que le plateau va restituer. Le sonnet parle à la beauté physique, à la jeunesse, autrement dit à l'indécence et à l'injustice, glorifiées, de cette beauté. Ou encore, plus simplement : une voix obstinée du désir s'adresse au corps jeune, dans la claire conscience de l'échec de sa tentative. Car la jeunesse est prise dans son plus manifeste mépris pour ce qu' elle n'est pas, c'est la jeunesse qui bande sans malice, qui séduit puis qui s'en fout. D'où le recommencement (il y a 154 sonnets, on en présente une vingtaine).
D'où notre volonté de marquer, d'incarner, cette parole qui repart obstinément, cette forme calibrée, pleurante et malicieuse, brève et recommencée, du désir de ce corps. Cette élégie encadrée dans quatorze vers, cette parole épanchée et retenue, ce je t'aime je te veux ton corps toi si beau je ne t'ai pas reviens j'écris sur le sable c'est parti soufflé volatilisé je reprends...
D’où, donc la chanson, car les sonnets seront chantés comme d’autres bonheurs voués à une fin tragique.
magique ! du début à la fin, on est séduit par ce spectacle qui offre un genre nouveau, pas près d'être égalé.
magique ! du début à la fin, on est séduit par ce spectacle qui offre un genre nouveau, pas près d'être égalé.
13, rue Maurice Labrousse 92160 Antony
Voiture : par la N20. Après la Croix de Berny suivre Antony centre puis le fléchage.
15 min de la porte d’Orléans.
Stationnement possible au parking Maurice Labrousse (gratuit à partir 18h30 et les dimanches), au parking du Marché (gratuit pendant 3h après validation du ticket de parking à la caisse du théâtre) et au parking de l’Hôtel de ville (gratuit pendant 1h15).