En entomologiste de ses congénères, l’écrivain Fabienne Renault épingle dans Mémoires d’une teigne une série de modèles de la banalité. Madame Gilbert, Jésus, Camille… Tous sont laids, bêtes, méchants ou doux, fous, aimants sous le regard cruel et attendri de la portraitiste. L’actrice Évelyne Bouix donne sa voix aux figures croquées. Récit d’une enfance à la campagne, ponctué de tirs de rafale sur les gueules d’antan ; elle répond aux questions, seule en scène.
Elle témoigne, raconte ses voisines de classe, ses copines d’école, ses premières amours, les personnages pittoresques du village, le train-train du quotidien de sa province. La voix de Jean-Louis Trintignant interrompt, fait reprendre le cours des confessions. Et la comédienne apparaît bientôt comme acculée, contrainte.
Dans une combinaison qui évoque l’univers carcéral de Guantanamo, l’actrice est installée sur une table en mouvement, questionnée par la voix, rappel de la Stasi. Les images et les sons fusent, l’épouvante affleure. Les souvenirs, les restes mémorisés des moments essentiels de l’existence peuvent-ils devenir des produits soumis à la validation des autorités ?
Pour la première fois metteur en scène, Enki Bilal se saisit de cette comédie humaine, lui confère ses obsessions, ses oppressions. Il dessine les costumes et l’espace. Scénariste, peintre, réalisateur de Bunker Palace Hôtel, de Tykho moon ou de Immortel, créateur de la Trilogie Nikopol, de la Tétralogie du Monstre, Enki Bilal associe son univers aux portraits savoureux de Fabienne Renault ; mariage de l’anticipation effroyable et de la nostalgie mordante.
Dans un écrin d’une noirceur envoûtante, Évelyne Bouix, menacée par la voix inquisitrice de Jean-Louis Trintignant, dresse des portraits de fantômes du passé, et déballe sous une torture absurde des joyaux d’humanité.
2 bis, avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris