François Tanguy a créé un nouveau geste théâtral poétique et singulier. Le ballet des corps et des décors s’annonce millimétré, l’espace en perpétuel mouvement, et les mots transformés en sonorités. Littérature, poésie, essai et musique s’entremêlent pour donner à voir et à entendre un théâtre rare qui n’a jamais cessé de se réinventer.
Voyage dans un univers onirique, poétique et ludique que le Théâtre du Radeau construit comme un dédale de paroles et de musiques, qui se décomposent et se recomposent sans cesse, offrant un théâtre singulier et bouleversant, unique en son genre.
Tout peut advenir sur les planches de ce théâtre devenu un refuge pour prendre le temps de la pensée, de l’émotion, de la beauté face à notre monde agité, pressé, abîmé. Un théâtre intemporel qui fait confiance à l’imaginaire, celui de ceux qui hantent le plateau comme à celui de ceux qui regardent et se laissent entraîner dans une rêverie mouvante, délicate et troublante. Les mots des grands poètes, de Dostoïevski à Goethe en passant par Ovide, les musiques de Cage, de Bach, de Tchaïkovski et de Berlioz, se mêlent, s’opposent, s’accouplent avec bonheur, pour créer un désordre savamment organisé qui alterne chuchotements et proférations, pénombre et clarté aveuglante.
« Ce sont des sortes de fragments d’intensités qui nous traversent, des mondes qui se bousculent l’un dans l’autre, ou une vague inquiétude qui envahit le plateau et avec le plateau, nous autres, regardants, pendant un instant pour retourner à la conversation qui erre dans ce que nous ignorons de chercher. (...) En nous refusant le spectaculaire des grands mouvements de plateau, Tanguy tue définitivement le consommateur en nous, et nous pouvons enfin être devant la scène comme devant un paysage. » Malte Schwind, L'Insensé, 16 novembre 2019
« Telle est la force du Radeau. Elle naît d’une poésie nourrie d’images, de sons, de mots qui obéissent à une logique du décalage, du contraste et du lyrisme. Et elle touche chacun dans la salle d’une manière très personnelle. Cela, qui est souvent vrai au théâtre, l’est encore plus dans les spectacles de François Tanguy. » Brigitte Salino - Le Monde
« Item est un vagabondage poétique unique, une adresse à l’intelligence du spectateur. » Marie-Josée Sirach - L’Humanité
« Mais, d’un spectacle à l’autre, Tanguy et sa bande poussent le théâtre, cet art de l’espace, du temps, du mouvement, du son (mots, musiques) et de la lumière, à fond les manettes en jouant sur ce qui est propre au théâtre, à savoir la disparition inhérente à toute représentation, en la poussant dans ses derniers retranchements, en la démultipliant, en faisant de l’apparition/disparition le tempo du spectacle. » Jean-Pierre Thibaudat – Mediapart
« Une succession de mouvements, de mots, d’images, de musiques, de figures, de sons… Une plongée vertigineuse dans la densité de l’instant. » Manuel Piolat Soleymat - La Terrasse
« Probablement faut-il voir Item comme un chaînon du Radeau au sein de la génétique Tanguy, dont les spectacles se suivent à l’image d’un long kaléidoscope : aussi obscur semble-t-il encore à nos yeux inhabitués à sa lumière, le proscenium textuel d’Item est une clé à retardement pour le spectateur. » I/O Gazette
« Item (Radeaupéra). De celui-ci, il y aurait plusieurs façons d’en parler. Poétique. La quiétude d’une toile de Rembrandt. La lumière d’un Wermeer ! L’étrangeté d’un vieux film muet ! Ce spectacle est un poème visuel ! Une symphonie de l’instant ! » Mathieu Perez - Le Canard enchaîné
« Le théâtre de Tanguy est un théâtre en lévitation, un théâtre poétique d’une beauté fulgurante qui vous transperce de part en part ; un théâtre joyeux, débridé, libre de toutes conventions, de tous faux-semblants et autres artifices. » Théâtre(s)
« Comme les marins, nous sommes de ceux qui doivent transformer leur bateau en pleine mer sans jamais pouvoir le démonter en cale sèche et le remonter avec de meilleurs morceaux… La voile colorée et puissamment gonflée se prend pour la cause du mouvement du bateau alors qu’elle ne fait que capter le vent qui à tout instant peut tourner ou retomber… » Hans Blumenberg – Naufrage avec spectateur. Ed. L’Arche – Traduction Laurent Cassagnau
« Peut-être est-il possible que les éveillés soient considérés par ceux qui dorment comme somnolents. » Minotaurus de Robert Walser in “Danser dans les marges” de Peter Utz – Ed. Zoé
Printemps 2019. À la périphérie du Mans, en montant une petite route bordée de lotissements, on tourne à droite et là, dans un espace plat pouvant tenir lieu de parking, se dresse sur le côté, la tente blanche du Radeau. C’est là, depuis longtemps, que le Radeau créé ses spectacles, et non plus dans le lieu premier, la Fonderie où, dans ses vastes espaces, se succèdent des compagnies en résidence, des associations, des rencontres, etc. Avant d’aller à la tente, le lieu de rendez-vous, dès l’heure du premier café, reste la Fonderie où l’on s’attarde jusqu’au déjeuner, pris à la grande table commune de la cuisine. Près de la tente du Radeau, c’est une table plus modeste qui, les jours de beau temps, voit se réunir autour d’elle, l’équipe du futur spectacle, dans la clairière Grüber, ainsi surnommée, de son vivant, du nom du metteur en scène Klaus Grüber qui aimait cet endroit. C’est le temps du commencement, des premiers balbutiements d’un spectacle encore dans les limbes. La lumière est douce, les oiseaux, très nombreux, chantent. Au fil des années, tout autour, les lotissements se sont multipliés.
Quand on vient assister à un spectacle du Radeau sous la tente, on ne soupçonne pas que derrière les fourrés, les arbres et les bosquets, un sentier mène jusqu’à cette clairière où trône une table familiale, agrémentée de deux bancs et deux ou trois chaises. Autour de la table en bois délavé par les intempéries, prend place l’équipe restreinte du nouveau spectacle autour de François Tanguy : Frode Bjørnstad, Laurence Chable, Erik Gerken, Vincent Joly (jeu) et Eric Goudard (son). C’est un temps de lecture. Non celle d’une pièce nouvelle ou ancienne - ce n’est pas dans les habitudes du Radeau de monter des pièces dans leur entièreté. Cependant, les spectacles sont souvent traversés de bouffées de textes arrachées à des pièces, des romans, des essais d’hier et d’aujourd’hui. C’est un temps de « constructions parallèles » dit François Tanguy, maître d’œuvre et metteur en scène des spectacles du Radeau.
Des livres jonchent la table, certains ouverts, d’autres pas, et des pages photocopiées. Tanguy tend un livre ouvert à Frode qui lit : « L’espace scénique devait faire à peu près vingt mètres de haut, ce qui donnait l’impression d’une colossale aspiration à la culture. En ce qui me concerne, je dirai très humblement que je me retrouvai au beau milieu de l’estrade reluisante en tant que maître à danser, dans l’état d’un enfant de onze ans environ ». C’est le début d’un des nombreux récits réunis dans Le Territoire du crayon de l’auteur suisse Robert Walser. Le Maître de danse parle d’une jeune femme, Preciosa : « Personne sans doute, à part moi, ne comprenait qu’elle se laissait convaincre, de toutes les fibres de son être, que je l’aimais et n’étais que son serviteur, et que toute mon intransigeance n’était au fond rien d’autre qu’un hommage ».
Au sujet de ce texte, François Tanguy dit : « Robert Walser a des prouesses lexicales qui crochètent à l’imprévu d’autres parcours, notre constellation. Si tu remplaces Preciosa par l’objet même de l’attente, ce que la lecture et le narrateur peuvent en attendre, on peut y déceler la langue du théâtre, la scène, la femme, l’aurore... C’est une description qui attend une attention. Il y a des connections. Comment on va s’y prendre ? On est dans ce trou qui est un levier. On ne peut pas savoir ce qui s’assemblera. Ce n’est pas un bric à brac, c’est un taillis. Hier, on était dans Le Carnet du sous-sol de Fédor où il y a un effondrement du narrateur et à la fin il ne reste qu’une phrase : « Fouette cocher ». Après Fédor [Dostoïevski, Tanguy aime appeler les auteurs par leurs prénoms, comme on le fait avec des amis], on a basculé dans un fragment dialogué de Gogol, Le Procès, où deux types qui ont pris une cuite la veille n’ar-rêtent pas d’avoir le hoquet et cela fait sans cesse diversion sur l’objet, un soulèvement de forces hors de la procédure ». À la demande de leur metteur en scène, Eric et Vincent réitèrent pour le plaisir la lecture hocquetée.
François Tanguy bifurque ensuite vers Leibnitz avant de reve-nir en Russie par un livre sur le siège de Leningrad racontant l’histoire d’une jeune fille qui a besoin d’un chapeau. « Il n’y a rien à bouffer mais elle a besoin d’un chapeau. Il y a là une façon d’ajuster les parties les plus inconciliables ». Une dernière phrase qui clignote vers les spectacles du Radeau « Ça va perler, poursuit Tanguy. Nous tentons de saisir un présent... non c’est pas ça. ». Long silence. On entend le chant des oiseaux. François Tanguy reprend : « Cet instant là, on va pas le faire, pfuiiit, entrer dans la boite. Ce sont des opérations délicates. Robert [Walser] va-t-il plus vite ou moins vite ? Et en rapport à quoi ? Ce sont des collations subreptices. Le premier jour, on a lu des pages des du Cardinal de Retz et quelques fragments du livre d’André ». André Bernold, qui a écrit un important livre sur Beckett, est là depuis le début du travail avec les acteurs, entamé quelques jours auparavant. François s’arrête sur une page et tend le livre à Laurence. Il est question du ballet royal de la nuit dansé par le jeune Louis XIV le 23 février 1653 : « L’événement est légen-daire. On sortait de la Fronde et le jeune roi danse devant la cour qui danse aussi. Bien danser était indispensable, c’est une partie essentielle de la haute politique, ni plus ni moins que dans une tribu africaine. Encore une chose dont on n’a plus la moindre idée. Ces danses sont d’une sophistication rythmique invraisemblable. Cela s’écrit en équation au tableau noir. Le moindre courtisan les possède toutes, hors de là point de salut. Elles se dansent en solitaire. » Laurence poursuit la lecture, on s’enfonce dans Saint Simon, puis on passe au Cardinal de Retz.
Que restera-t-il de cela dans le futur spectacle ? Personne ne peut le dire. Tout, rien peut-être, des lambeaux. C’est un temps de fondation, de sédimentation. Dans les fondations d’une maison il y a des gravats, des détritus, des objets perdus que l’on ne soupçonne pas. Tanguy revient à Walser. « Ça se déboîte constamment » constate-t-il en parlant de l’écriture de l’écrivain suisse. Les spectacles du Radeau font de même. Les textes vont se succéder en s’entrelaçant de plus en plus, comme s’ils dialoguaient entre eux par delà les siècles, les langues et les frontières. Ivanov de Tchekhov (« mais les ouvriers, il faut les payer... »), L’Idiot de Dostoïevski (« la générale était jalouse de ses origines.. »), Walser (« Madame Rondelette avait une statue splendide... »)... quelque chose germera.
Les heures passent, les oiseaux n’ont jamais cessé de chanter. François lit d’une voix bien timbrée une page d’« André » où ce dernier établit un passionnant parallèle entre Walser et Gogol, puis, tend le livre ouvert à Frode : « La cendre est le parfait symbole de l’humilité, de l’insignifiance et de l’inutilité. Et ce qu’il y a de plus beau : elle est elle-même persuadée qu’elle n’est bonne à rien. Peut-on être plus inconsistant, plus faible, plus misérable que la cendre, c’est sans doute difficile. Y a-t-il chose plus patiente et plus accommodante qu’elle ? On cherchera longtemps (...). Mets ton pied sur de la cendre et c’est à peine si tu remarqueras que tu as marché sur quelque chose ». Les spectacles du Radeau s’écrivent sur des cendres. Celles des précédents spectacles, mais pas seulement.
François Tanguy revient sur tous ces textes lus dans la clairière en cet après-midi de printemps qui s’achève : « Fédor, André, Gogol, Robert... je ne dis pas qu’on va les foutre dans le sac à dos et comme ça s’en tirer dans l’expédition. On fait relâche sur les circonstances et on sait que les tendeurs qui, en nous, provoquent cette comparution, ne sont pas déterminants. C’est comme quand on est devant une nature morte. C’est quoi ? Une pomme, une cruche et deux écrevisses. Ah c’est joli ! Ce qui compte, c’est la façon dont le contraste produit cette ap-parition autrement que si c’était un alignement... On ne peut pas dire qu’on monte sur la baudruche et qu’on cavalcade. Il y a une absence, un retrait dus à la probité de chacun. De cela on ne peut pas parler. Qu’est ce que cela traverse, perfore ? ».
Texte écrit par Jean-Pierre Thibaudat, avril 2019
Minotaurus de Robert Walser, traduction Colette Kowalsk, Édition Zoé
Sur les délais de la justice divine de Plutarque, traduction Jacques Amyo, tÉdition Babel Actes Sud
L’Idiot de Dostoïevski, traduction André Markowicz, Édition Babel Actes Sud
Les Métamorphoses, Livre VIII Ovide, traduction Olivier Sers Édition Les Belles Lettres
Le Territoire de crayon de Walser, traduction Marion Graf Édition Zoé
Orlando Furioso de L’Arioste, Édition du Seuil
Les Rédactions de Fritz Kocher de Walser, traduction Jean Launay Édition Gallimard
Les Carnets du sous-sol de Dostoïevski, traduction André Markowicz Édition Babel Actes Sud
Faust « Prolog im Himmel » de Goethe, traduction par Jean Amsler modernisée par Olivier Mannoni, édition Gallimard folio bilingue
Die Ballade von der Judenhure Marie Sanders de Brecht
Ce spectacle peut dérouter le-a spectateur-ice d'aujourd'hui, habitué-é-s que nous sommes aux pièces narratives, avec un début clair, des rebondissements et une fin identifiable, même ouverte. En effet, il s'agit d'une sorte de traversée onirique à travers des extraits de textes très différents mais qui dialoguent ensemble quand on se laisse porter. Pour moi, la meilleure façon d'apprécier le spectacle est d'en partie déconnecter son cerveau, arrêter de chercher un sens à tout prix, et accepter de simplement voyager, se laisser emporter. François Tanguy a offert une esthétique théâtrale chargée d'une poésie immense qui se déploie dans tous les éléments scéniques, de la superbe scénographie aux costumes exotiques (dans le sens où ils sont originaux et semblent parfois venus d'Ailleurs, d'un autre monde), jusque dans le jeu des comédiennes et comédiens. Un spectacle que je conseille vivement si vous vous sentez suffisamment disponibles pour l'accueillir, le recevoir.
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Ce spectacle peut dérouter le-a spectateur-ice d'aujourd'hui, habitué-é-s que nous sommes aux pièces narratives, avec un début clair, des rebondissements et une fin identifiable, même ouverte. En effet, il s'agit d'une sorte de traversée onirique à travers des extraits de textes très différents mais qui dialoguent ensemble quand on se laisse porter. Pour moi, la meilleure façon d'apprécier le spectacle est d'en partie déconnecter son cerveau, arrêter de chercher un sens à tout prix, et accepter de simplement voyager, se laisser emporter. François Tanguy a offert une esthétique théâtrale chargée d'une poésie immense qui se déploie dans tous les éléments scéniques, de la superbe scénographie aux costumes exotiques (dans le sens où ils sont originaux et semblent parfois venus d'Ailleurs, d'un autre monde), jusque dans le jeu des comédiennes et comédiens. Un spectacle que je conseille vivement si vous vous sentez suffisamment disponibles pour l'accueillir, le recevoir.
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