Une tragédie athénienne
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L’Orestie d’Eschyle à l’ERAC
Notes éparses au cours du travail
Les tragédies athéniennes se jouaient par trois (trilogie), chaque année, aux fêtes des grandes Dionysies. L’Orestie est la seule trilogie qui nous soit parvenue entière. C'est l'une des plus grandes oeuvres poétiques de l'Antiquité. Elle comporte :
Agamemnon : où l’on voit, dix ans après que l’armée grecque ait quitté Argos pour attaquer Troie, Agamemnon, chef suprême des grecs, revenir chez lui après avoir écrasé les troyens. Là, il est attendu par Clytemnestre (son épouse, l’anti-Pénélope) et par Égisthe (son cousin) qui vont le massacrer dans son bain suivant l’ancienne loi du talion - car Clytemnestre et Égisthe ont de vieilles raisons de lui en vouloir à mort. La pièce a pour centre l’inexorable progression vers ce crime, sous les yeux du choeur, des citoyens d’Argos qui commencent à penser que les vieilles lois sont décidément insoutenables.
Les Choéphores (Les porteuses de vases) : où l’on voit, huit années plus tard, le jeune Oreste, le fils exilé, revenir à la maison, retrouver sa soeur Électre, pour organiser le meurtre de sa mère et de son oncle Égisthe. Nouvelle vengeance, mais cette fois commandée par le jeune dieu Apollon. Oreste tombe ensuite dans la folie, assailli par les Érinyes de sa mère, antiques et monstrueuses déesses vengeresses.
Les Euménides (Les bienveillantes) : où l’on voit les Érinyes pourchasser Oreste (pour le meurtre de sa mère) jusqu’au sanctuaire de son complice Apollon à Delphes. Le dieu aide Oreste à s’enfuir à nouveau jusqu’à Athènes, où les harpies le suivent encore. Là, Athéna, la jeune déesse tutélaire du lieu va organiser un procès en bonne et due forme, transformer le système sanguinaire de la vengeance en justice démocratique argumentée, et changer du même coup les Érinyes en Euménides : ouverture vers l’avenir de l’humanité…
Avec les élèves de l'ERAC. Version de Peter Stein traduite de l’allemand par Bernard Chartreux.
Les 20, 22, 27, 29 mars à 20h : Agamemnon
Les 21, 23, 28, 30 mars à 20h : Les Choéphores, Les Euménides
Intégrales le week-end les 24, 25, 31 mars et le 1 avril à 16h : Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides
Durée : Agamemnon (2h) , Les Choéphores (1h30), Les Euménides (1h30)
Le voyage avec une promotion d’école.
C’est le quatrième « spectacle de sortie » que nous faisons avec l’ERAC, après les
Pièces de Guerre d’Edward Bond (Nanterre 1996), Le Fou et sa Femme ce soir dans Pancomedia de Botho Strauss (Avignon 2002), La Mort de Danton de Georg
Büchner (Marseille-La Criée 2004).
Souvent, au moment de ces choix, nous avons pensé monter L’Orestie. Mais cela ne
correspondait pas aux forces spécifiques de ces groupes précédents. Avec l’Ensemble
15, l’aventure nous est apparue évidente.
Nous travaillons avec chaque groupe sur trois années, de façon progressive. Avec cet
Ensemble 15, j’ai mené en première année un atelier sur La furie des nantis (seconde
des Pièces de Guerre) : histoire de se frotter à une poétique moderne héritière de la
tragédie grecque et à une méthode de travail. Puis, l’an dernier, nous avons réalisé
une « mise en espace » rudimentaire de L’Orestie, dans la traduction de Paul Claudel :
confirmation de notre choix avec ce groupe, et mise à l’essai d’une distribution
possible des rôles.
Et cette année, nous aurons travaillé neuf semaines, entre Marseille et la
Cartoucherie, pour mener à bien ce travail.
Un spectacle de sortie d’école : pourquoi et comment ?
Il est nécessaire que la fin de la formation de l’acteur (à supposer que cette formation
soit jamais finie…) passe par la problématique de la représentation publique, et par
celle d’un certain nombre de représentations (la constance, la répétition du même).
C’est ainsi, aussi, que ce même groupe a présenté et présentera à nouveau (au CDN
de Montreuil) son travail sur Troïlus et Cressida de Shakespeare.
Il s’agit aussi de se confronter avec la totalité d’une oeuvre importante, et avec tous
les éléments qui concourent, artistiquement et professionnellement, à la
représentation : décor (avec les moyens de l’école), costumes, lumières, son, etc.
Mais l’expérience m’a appris une chose importante : il est nécessaire et fort louable
d’entourer les jeunes acteurs de tout ce qui fait théâtre, mais il est essentiel de ne pas
accumuler sur leur tête un fardeau esthétique qui masquerait leur être particulier
d’actrices et d’acteurs. C’est aussi eux que l’on vient découvrir : il faut qu’ils soient
visibles et en pleine forme.
Dans cette Orestie, l’objectif pour nous est donc double :
- clarifier avec ce groupe le texte lui-même et notre rapport à lui. Et donc mettre
l’oeuvre au centre de nos préoccupations. Employer tous les moyens, même
fragiles, pour qu’un public d’aujourd’hui puisse s’y trouver concerné.
- Placer chaque jeune acteur ou actrice au coeur du développement du spectacle :
que l’oeuvre mette l’acteur en valeur, et vice-versa.
Il y aura peut-être ce qu’il est convenu d’appeler une « lecture », mais notre visée
réelle est de montrer que nous avons appris à lire ce chef d’oeuvre et que nous
sommes en mesure de le transmettre avec engagement, émotion, talent, rigueur et
liberté…
La version de Peter Stein
Nous ne manquons pas de traductions de l’Orestie. Pourquoi donc aller chercher le
texte allemand que Stein avait élaboré pour sa mise en scène ? Nous avons travaillé
l’an dernier cinq semaines sur la traduction de Paul Claudel. Elle comporte des
instants de génie et d’une grande beauté. Mais elle comporte aussi - ce n’est pas
cruel de le dire - des passages strictement indéchiffrables à l’oreille, on peut s’y
perdre. C’est un texte souvent écrit pour être lu, et non dit/écouté sur l’instant (en
particulier Agamemnon). Les autres traductions sont de la même eau (fort belles
parfois, savantes et terriblement sophistiquées le plus souvent), ou bien réalisées
pour des projets de mise en scène précis.
Peter Stein a fait un travail énorme avec des spécialistes, mais en faisant ses choix de traductions, il a pensé au spectateur d’aujourd’hui. Il a trouvé les moyens pour ne rabattre en rien de la complexité mythologique, par exemple, tout en la rendant claire. Cette façon de présenter le texte d’Eschyle, ainsi que le souvenir de sonéblouissante réalisation à la Schaubühne de Berlin, nous ont porté durant tout ce travail. Qu’il en soit remercié.
Et puis, sur l’Orestie, que voulez-vous que je vous dise en quelques mots ?
Il y faudrait un livre.
Nous allons raconter une histoire qui apparaît d’abord dans des mots. Les images
physiques que l’on peut créer ne sont rien à côté de la richesse évocatrice de la poésie
d’Eschyle et de sa force dramatique (imaginaire et émotionnelle). Le jeu d’acteurs s’y
réalise dans un art bien spécifique : jouer une action et en même temps raconter un
morceau d’une histoire plus large. Où en est-on du temps ? Raconter d’abord, faire
confiance aux mots, au voyage qu’ils font vers l’oreille et le cerveau du spectateur :
trouver l’économie juste, celle qui vous donne la vraie force de vous lover dans cette
poésie universelle.
On remonte là aux balbutiements sanglants de l’humanité, au temps où hommes et dieux fricotaient ensemble. Cela commence au moment où les hommes s’arrêtent un instant pour se gratter la tête (le choeur d’Agamemnon), pour se demander s’il n’y avait pas mieux à faire que de s’entretuer. Cela finit par l’invention des règles démocratiques à l’aurore de la civilisation athénienne, dont nous sommes - espérons le encore un peu - les descendants. Et cela passe par une myriade de conflits, de gestes sanguinaires, d’hésitations, de décisions difficiles, d’apparitions miraculeuses, d’évocations légendaires et historiques. Tout cela est enfoui quelque part dans notre structure mentale : nous y assistons, et nous le reconnaissons, et cela nous émeut. C’est en tout cas tout le mal que je souhaite à nos spectateurs d’aujourd’hui.
Jean-Pierre Vincent, février 2007
Agamemnon
« Aux dieux je demande un changement… ».
Quel beau début ! même si le texte de Stein est un peu forcé par rapport au grec… Il va falloir
trois histoires et 3785 vers pour parvenir à ce changement. La trilogie est l’histoire de cette
transformation. Les dieux vont y jouer leur rôle, certes. À la fin, les humains ne seront plus les
mêmes, du moins ils l’espèrent. Cela dépend d’eux… Au commencement, le veilleur n’en peut
plus : le changement, il en a besoin. Il raconte ça : que ça ne peut plus durer. Couché comme
un chien, connaissant par coeur les étoiles et pas grand-chose d’autre, vivant sur le toit d’une
maison maudite, ayant peur de mourir dès qu’il s’endort, pleurer au lieu de chanter, c’est sa
vie, sa survie. Il faut changer.
Choéphores
Oreste et Pylade au tombeau.
Le texte grec que nous avons des 10 premiers vers de la tragédie, il faut le savoir, est
incertain ; mais on peut suivre le fil. Il y a prise de possession rituelle du tombeau du père : la
boucle de cheveux, l’empreinte laissée. Oreste, avec Pylade, n’est pas un errant démuni. Il a
un projet, qui lui vient d’une injonction extérieure (d’Apollon). Les difficultés qu’il rencontrera
ensuite, dans la décision ultime de passer à l’acte face à sa mère, c’est autre chose. Et c’est ce
qui nourrit le drame. Pour l’instant, il est celui qui n’était pas présent pour pleurer sur le corps
de son père. Il doit réparer cela. Il ne sait pas encore que son père a été « mal enterré ». Le
choc d’apprendre cela sera décisif pour lui. Ce rituel de prise de possession du tombeau ne
sera pas joué comme « religieux », mais très concrètement comme le premier moment d’un
plan. Même si Oreste, comme souvent, est agité d’appréhension, il est décidé.
Palais et tombeau : deux « maisons »
La vraie et la mystérieuse, l’habitée et l’inhabitée. Agamemnon ne répondra pas, car il n’est
pas vengé. Il n’a pas reçu les honneurs funéraires normaux. Électre et le choeur vont
constituer une « maison des morts » autour du tertre d’Agamemnon. Le choeur vient pour
calmer le mort, sur ordre de Clytemnestre, mais pas seulement. Ce tombeau n’est pas un vrai
tombeau. Il est incomplet ; il lui manque quelque chose.
Choéphores
Électre et Oreste, enfance et gémellité.
Ils sont souvent dépeints comme des enfants. C’est ici leur fonction. Plus ils seront enfants (et
non infantilisés), plus le poids du rapport avec les parents sera présent, et lourd : le père
injoignable, la mère « intuable ». Et les moments où Oreste devient un adulte entreprenant
seront d’autant plus spectaculaires. La pièce raconte un rituel de passage, pour Oreste, de
parthénos (non adulte) à anèr (adulte).
De plus, les deux enfants sont jumeaux : rien ne les distingue, ni les cheveux, ni la forme des
pieds. C’est un conte pour enfant, mais c’est vrai. Parthénos, Oreste est semblable à sa soeur,
aussi démuni sinon plus. Anèr, il se séparera d’elle : elle disparaît de l’action, aussi pour cela.
Euménides
Aréopage et Conseil Constitutionnel.
J’écoutais un débat l’autre matin sur France-Culture. Le prochain renouvellement partiel de
notre Conseil Constitutionnel était en discussion. On trouvait les nominations de plus en plus
politiques, et pas seulement juridiques. C’est un peu ce qui, apparemment, est arrivé à
l’Aréopage athénien peu avant la conception de la trilogie par Eschyle. Il semble aussi qu’à
Athènes, ce soit les démocrates qui aient voulu cette limitation des pouvoirs des « vieux
sages », trop liés sans doute aux intérêts des familles aristocratiques. Consacrer à nouveau
l’origine des pouvoirs juridiques de l’Aréopage, était donc, de la part d’Eschyle, une façon de
prendre parti dans ce débat (pour les démocrates ?...).
Religion.
Même si certains personnages (Clytemnestre, Égisthe) ont rarement les dieux à la bouche,
toute la trilogie est baignée d’appels aux dieux pris collectivement ou individuellement, de
prières et de sacrifices. C’est un monde très religieux, avec cette particularité que donne le
polythéisme : une religion du quotidien, avec des gestes prosaïques, et une réflexion
continuelle pour se frayer un chemin dans la forêt des attributions diverses - et parfois contradictoires - de chaque divinité. Nous devons être vigilants à ne jamais laisser virer cette
religiosité à l’emphase (« monothéique »). Tout cela tient les personnages ensemble (religion),
quelles que soient les tensions entre eux. C’est dans les Euménides que cette re-ligion
se coupe en deux. Entre vieilles déesses et jeunes dieux, c’est une guerre à mort, qui se
termine par une révolution. La coupure est surtout entre religion et droit : par le « coup
d’Athéna », le droit prend son indépendance par rapport au religieux, antérieurement seule
source du droit.
Euménides
Procès utopique.
Euripide (dans Oreste) met en scène un procès populaire, mené par des « orateurs,
démagogues sévères que le peuple écoute sans grand jugement » (Jacqueline de Romilly). À la
fin du V° siècle, Euripide met en lumière les problèmes dégénérescents de la Démocratie.
Eschyle, plusieurs décennies auparavant, en exprime le rêve fondateur, et les règles
scrupuleuses de procédure. Nous sommes bien plus loin de lui qu’Euripide, 2500 ans de
démocratie plus tard. La dégénérescence, nous en sommes témoins tous les jours. C’est
justement à ce moment-là, au moment du péril, qu’il est salutaire de se remettre, autant que
possible, dans la peau volontariste d’Eschyle, de rappeler les fondamentaux, fussent-ils de
l’ordre du rêve. On dit qu’on ne fait pas le monde avec des « si ». Mais bien sûr que oui ! On
fait le monde avec des « si ».
Le jeu assis sur le texte
C’est la nature ancienne du texte tragique (et des représentations athéniennes du V° siècle)
qui détermine l’énergie de jeu. On joue et on raconte en même temps. Les questions de mise
en place et de gestuelle, si complexes et épineuses parfois, sont ici réduites - si l’on peut dire
- au plus simple, au plus pur. En jouant, on raconte la pièce, chaque moment de la pièce : où
on en est de la pièce et de son raisonnement. Il y a bien sûr aussi sentiments, suspense,
horreurs, etc.. Mais tout cela est comme filtré par le style « épique » (raconter-jouer). À
chaque instant de la progression, celui/celle qui parle/joue prend en charge un moment de
l’énergie de la pièce. Edward Bond a beaucoup repris en main ces questions-là. Les
manifestations de « jeu détaillé », les comportements, les effets de jeu ont une amplitude
réduite par rapport à d’autres dramaturgies. Dans la tête, beaucoup de choses surviennent.
Dans le corps, beaucoup moins. École de la simplicité, de la concentration, et du « une chose
après l’autre ».
Nous jouons sans masques, mais le masque qui neutralisait le visage des acteurs athéniens est
toujours présent, en creux.
Clytemnestre et le Héraut.
Il se confirme de façon intéressante que Clytemnestre croit aux mensonges qu’elle profère ; ou
plutôt qu’elle dit la vérité, sa vérité (pas toute la vérité). En fait, on en est venu à se
demander ce qu’elle vient faire là, à ce moment-là. Elle sort du palais pour maîtriser ce qui se
passe sur la place. Elle a appris qu’un messager était arrivé et que les vieux traînent toujours
là. Il faut que personne n’aille sur la route, raconter à Agamemnon des choses gênantes pour
son projet. Elle vient imposer la vérité officielle, qui comme souvent est un mensonge éhonté.
Plus le mensonge est éhonté, plus il s’impose. Le choeur est estomaqué. Et d’affirmation en
affirmation, Clytemnestre peut finir par y croire, entre ruse diabolique et auto-conviction.
Tension et rythme, le temps du voyage
Il doit y avoir tension et suspens continuels, mais jamais par un « pressing » du rythme. Si
c’est trop lent, la tension se relâche ; si c’est trop rapide, la tension est bousculée, disparaît.
D’une certaine façon, dans le passage entre un locuteur et l’autre - que ce soit choeur ou « personnages » - il doit y avoir un mini espace-temps qui entretient notre voyage (d’acteurs
et de spectateurs) entre Athènes hier et ici aujourd’hui. Il y a des passages évidemment
rapides, paniques, mais nous devons les limiter au maximum : c’est rarement la solution. Pour
tout ce qui est des nombreuses prières, par exemple : ne jamais se dire que c’est long et
chiant, ou bien que c’est « angoissé/haletant ». Les prières racontent une religiosité qui fonde
le monde, un rapport très familier aux dieux, éloigné de nos conceptions monothéiques, une
omniprésence au monde très intéressante.
Jean-Pierre Vincent, pendant les répétitions avec l’ensemble 15 de l’ERAC, janvier 2007
j'ai adoré ! j'ai passé une merveilleuse soirée pleine d'amour, de haine , de vengeance , de justice et tout cela grace à l'interprétation très professionnelle de ces jeunes acteurs, au texte (très compréhensible) , aux costumes et à la mise en scène un grand coup de chapeau à tous pour cette superbe performance! pour ceux qui hésitent encore... allez-y! vous allez vous régaler!!!!!!
j'ai adoré ! j'ai passé une merveilleuse soirée pleine d'amour, de haine , de vengeance , de justice et tout cela grace à l'interprétation très professionnelle de ces jeunes acteurs, au texte (très compréhensible) , aux costumes et à la mise en scène un grand coup de chapeau à tous pour cette superbe performance! pour ceux qui hésitent encore... allez-y! vous allez vous régaler!!!!!!
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