" Je saurai quand commencera le tic-tac de la déconfiture. "
Synopsis
Note d’intention
Projet
Mise en scène/direction d’acteurs>
Parfait bonheur, parfait amour… Joyeux Noël, joies domestiques… C’est ce qu’il semble… Pourtant, trois jours vont suffire à faire voler en éclats le foyer modèle des époux Helmer.
Sur le fil tendu d’une intrigue à suspens, Henrik Ibsen déploie toutes les subtilités d’une minutieuse étude psychologique. Amours contrariées, aveuglement, mensonges… Sa Maison de poupées abrite les faux-semblants d’une bourgeoisie qui se nourrit d’apparences, de mesquineries, de petits et de grands arrangements.
Devenue un emblème du féminisme, la pièce raconte d’abord le trajet de son héroïne, Nora, femme-enfant et femme-poupée, tour à tour manipulée et manipulatrice. Mais on avait peut-être oublié qu’elle révèle également les mécanismes économiques et sociaux qui acculent à la trahison, au renoncement, à l’illégalité.
" Mon objet est de peindre l’être humain " , affirmait Ibsen, qui fait ici tomber les masques avec autant de violence que de compassion.
Avec Une maison de poupées, créée en 1879, Henrik Ibsen a le génie de nous atteindre aujourd'hui et de nous offrir un « thriller » de l'intime et du quotidien. L'intrigue ciselée met en scène cinq individus aux liens plus ou moins secrets qui, dans la douceur angoissante des soirs de Noël vont se trouver traqués par un enchaînement d'événements inattendus. C'est là qu'ils se révèlent à eux mêmes et à ceux les entourent. Le dénouement est fatal : chacun basculera dans une « autre » vie.
Ce qui fascine, surtout, c'est l'étude anthropologique que l’auteur suggère en creux, l'image qui se dessine en contre jour de la société des hommes et particulièrement celle du couple.
Ibsen opère en visionnaire. La révolution annoncée aura lieu, la bombe a éclaté. Nous sommes les héritiers de cette histoire là et pour moi incarner ces personnages c'est oser la mise à nu, radicale. Pousser l'authenticité du jeu jusqu'aux confins de l'intime et jouer la spirale de ce compte à rebours inéluctable dans une douceur inouïe pour mieux mettre en valeur la violence d'une détonation. Mais aussi ponctuer la crudité des situations par la poésie de l'image en se jouant de l'espace et du temps, et rendre toute sa place à la théâtralité, c'est dans ce climat là que je l'imagine.
Plonger au coeur du couple, dans son intimité ; en faire une radioscopie, observer les équilibres et les forces en présence, scruter les lois qui le régissent, l’espace de liberté ou d’aliénation que chacun y trouve. Chercher comment les sentiments profonds s’expriment et sous quels masques ; révéler les petits moments de bonheur, de joie et de communion profonde ou bien de tension et de crise. Etudier les arrangements, les mesquineries, les intérêts personnels, l’ordre social qui le régit. Et surtout comment l’amour y existe ou subsiste et quel en est sa véritable nature : sincère ou factice, altruiste ou égocentrique. Prendre comme grille de lecture notre environnement personnel et social : une société bourgeoise, instruite, issue des révolutions contemporaines, cherchant l’émancipation individuelle. Des personnes ayant vécu la généralisation et la banalisation du divorce, consciente des dysfonctionnements de la relation de couple, tentant d’y remédier, tout en reproduisant malgré elles des schémas ancestraux. Aspirant au bonheur et le trouvant par moment, mais cherchant essentiellement une satisfaction personnelle…
Si les personnages d’Ibsen ne sont pas de plain-pied dans cette société-là, ils en sont à la naissance et en contiennent l’essence et les germes.
Aborder la pièce d’Ibsen comme un scientifique qui serait lui-même le sujet de son étude et son propre cobaye : amener le spectateur à se trouver tout à la fois en position de voyeur et d’exhibitionniste. Oser la mise à nu, la nôtre. Oser regarder ces êtres et l’image qu’ils nous renvoient.
Cette « chronique de la vie conjugale », dirais-je en regardant du côté de Bergman, s’articule autour du couple Nora/Torvald, mais nous chercherons un point d’équilibre pour mettre tous les personnages à même hauteur.
Kristine, Rank et Krogstad interrogent tout autant les notions du couple, du positionnement social, de l’individualité et de l’amour. Il faut arriver à transcender les archétypes que chacun des caractères représentent, qu’ils soient particuliers tout en restant exemplaires. Eviter ainsi l’écueil du stéréotype qu’Ibsen ne cesse de dégoupiller par touches subtiles, omissions et énigmes. Dépeindre ces cinq individus avec attention, nuance, et tendresse (même dans leurs aspects les moins reluisants), leur donner le relief et l’ambiguïté liés à la nature humaine et les rendre ainsi équivoques et protéiformes. Il s’agit presque de réaliser une étude comportementaliste de cet échantillon sociétal et questionner ainsi nos propres agissements quotidiens et modernes.
Pour révéler l’impudeur des situations que propose Ibsen, il faut, a contrario, les traiter avec la plus grande des pudeurs. Discrétion et retenue dans le jeu sont nécessaires. Les quelques rares moments de réelles mises à nu des êtres et l’expression soudaine de leur vérité profonde pourront ainsi prendre toute leur ampleur.
La forme du documentaire, souvent plus bouleversante et stupéfiante que la fiction, est pour moi une belle source d’inspiration. Il s’agit de personnes ordinaires à qui il arrive des choses extraordinaires.
Nils Öhlund
Square de l'Opéra-Louis Jouvet, 7 rue Boudreau 75009 Paris