Une semaine d'art en Avignon

du 15 au 20 mars 2012
2h (spectacle + conversation)

Une semaine d'art en Avignon

Qu’est-ce que se souvenir d’un spectacle ? En remontant le temps du Festival d’Avignon, Olivia Grandville propose un double et très émouvant hommage : à la longue histoire d’un festival et aux souvenirs d’une mère exceptionnelle, la danseuse Léone Nogarède.
  • Un double hommage à la danse et à la musique

Il y a très longtemps – 1947 – Léone Nogarède joua dans la Cour d’honneur du naissant Festival d’Avignon sous la direction de Jean Vilar. La pièce s’appelait Richard II. Bien plus tard, Olivia Granville, danseuse et chorégraphe, travailla aussi à la Cour d’honneur, en compagnie de Dominique Bagouet. C’était en 1993. Il se trouve que Léone est la mère d’Olivia et que les deux femmes se sont réunies pour évoquer leurs souvenirs d’Avignon. À elles s’est jointe Catherine Legrand, autre ancienne danseuse de la compagnie Bagouet.

Une semaine d’art en Avignon est donc un double et très émouvant hommage : à la longue histoire d’un festival et aux souvenirs d’une mère. Le spectacle démarre d’ailleurs, à tout seigneur tout honneur, par la voix de Léone qui raconte le passé. Et pendant ce temps-là Olivia Granville et Catherine Legrand évoquent d’un geste, d’une phrase, d’un saut, d’un s ouvenir, les fantômes de Cunningham, Bagouet, Pina Bausch, Béjart ou bien sûr Vilar.

Au final, la pièce composée par Olivia Grandville, résonne au-delà du contexte de sa création et de son inscription dans l’histoire du festival. Elle réactive l’histoire du spectacle vivant et l’aventure collective qu’elle permet, elle explore aussi, dans la sphère de l’intime, les liens qui se tissent entre les générations, la réalité des carrières de femmes artistes, la relation à sa mère et sa propre trajectoire.

  • Avignon, un théâtre pour tous ?

Dans le prolongement du spectacle, Olivia Granville propose une conversation avec différents invités autour d’extraits d’archives dont ceux du film Être Libre, tourné en 1968 à Avignon par un collectif d’étudiants. De la revendication de Vilar d’un théâtre pour tous, à l’accusation de « festival bourgeois » lancé par Julian Beck, Avignon reste aujourd’hui encore au coeur de la question d’un « art élitaire pour tous » dont les modalités restent sans cesse à réinventer.

Chorégraphie duo de Désert d'Amour de Dominique Bagouet, citations chorégraphiques de Maurice Béjart (Le Sacre du printemps, Messe pour le temps présent) et Pina Bausch (Le Sacre du printemps) avec les voix de Bartabas, Robert Cantarella, Jack Ralite, Claude Régy, Jean Vilar.

  • Entretien avec Olivia Grandville

D’où est venue l’idée de ce spectacle ?
C’est une drôle de coïncidence. À la faveur de la sortie du livre d’Antoine de Baecque et Emmanuelle Loyer sur l’histoire du festival d’Avignon, ma mère s’est retrouvée en couverture dans le costume de la Reine du Richard II de Shakespeare créé en 1947, lors du premier festival qui s’appelait alors « Une semaine d’art en Avignon ». En 2010, Vincent Baudrier, qui cette année-là programmait un Richard II, l’a appris et m’a alors demandé si je voulais faire quelque chose sur le festival, sur son histoire et mon histoire personnelle. Les bras m’en sont un peu tombés et puis j’ai dit oui.

Pourquoi oui ?
Le festival a beaucoup compté pour moi outre l’aspect « mythologie familiale ». J’y suis allé pour la première fois à 17 ans avec l’Opéra de Paris, c’était une porte ouverte tout à coup sur une culture contemporaine dont j’étais coupée. Au fil des années, j’y ai vu un certain nombre de spectacles marquant : Mnouchkine, Kantor, Pina Bausch. Et puis j’y ai dansé moi-même en 1993 dans So Schnell de Dominique Bagouet, et notamment avec Catherine Legrand, ce duo qui ouvre la pièce, cinq minutes dans le silence et dans la Cour d’Honneur…
Et puis l’idée de la forme est venue très vite : rapprocher ces deux moments de vie, d’une rare intensité : la découverte en 47, par les comédiens du premier festival, de ce lieu incroyable qu’est la cour d’honneur, et mon émotion plus de 40 après à danser sur ce même plateau un duo lui aussi mythique. À travers ces deux événements il s’agissait de croiser la mémoire de ma mère, l’aventure que ça avait été pour elle, ma mémoire de spectatrice, nos parcours d’interprètes et de femmes, et de faire coïncider cette histoire intime avec la mémoire collective du Festival, emblème à mon sens d’une certaine conception du spectacle vivant. C’est comme ça que je l’ai convoquée, ainsi que la danseuse Catherine Legrand, pour créer ce spectacle, qui s’est fabriqué dans une joie et un plaisir absolu.

Le collage est il un principe esthétique du spectacle ?
Il ne s’agit pas vraiment de collage mais plutôt d’un récit elliptique, puisque nous traversons soixante ans de manière chronologique, même si ces années sont évoquées sous forme de précipité. J’ai demandé à Karelle Ménine de réaliser une interview de ma mère, tandis que le festival et la maison Jean Vilar mettaient à notre disposition un certain nombre d’archives notamment sonores. J’ai également écrit un texte, une liste non exhaustive, d’événements, de spectacles, de rencontres, qui, d’une certaine manière, pour moi ou pour d’autres, ont fait date. Ces différents matériaux dessinent un réseau de correspondances, des parcours croisés, des récurrences. C’est ma méthode en fait, travailler en couches, en échos, en strates temporelles, en tuilages.

Est-ce que le spectacle est aussi une archive des corps ?
Il y a beaucoup de citations chorégraphiques. Avec Catherine Legrand nous nous sommes amusé à porter des styles qui ne sont pas les nôtres, des évocations des années 80, des fabrications à la manière de, des petits gestes, certaines phrases, comme des sortes de vignettes qui sont à lire par le spectateur avec sa mémoire personnelle. Il ne s’agit pas d’instrumentalisation, ou de jeu gratuit de reconnaissance savante. Tout ce que l’on rejoue est cité, donc facilement identifiables. Selon les générations de spectateurs, le spectacle ravive des mémoires ou éveille des curiosités. Mais il me semble qu’au-delà de cette dimension mémorielle, c’est aussi la sincérité du récit autobiographique qui parvient.

La danse vient donc par petits bouts ?
C’est plutôt une écriture générale du plateau, une organisation complexe qui s’articule entre les actions, les mouvements, les textes dits, lus ou enregistrés, les sons, la musique, nos déplacements. C’est tout cela qui est chorégraphique. Le chorégraphique, c’est peut-être avant tout une certaine musicalité des présences dans un espace qui est le plateau. Notre appui reste le corps, même pour dire un texte ou écrire sur un tableau une bombe à la main en reliant des noms les uns aux autres. Tout cela, c’est aussi une manière de danser.

Par rapport à la version présentée à Avignon, la nouvelle version présentée au TCI sera en quelque sorte élargie.
Au moment où j’ai fait ce spectacle pour Le Sujet à vif, je savais que ce serait un format court. Pourtant quand j’ai commencé à plonger dans les archives, j’ai eu envie de tirer d’autres fils, et notamment celui qui me semble relier les événements du festival en 1968 et ceux de 2003 au moment de la lutte des intermittents, parce qu’il existe une sorte d’effet miroir entre les deux. C’est dans les archives de la maison Jean Vilar que j’ai découvert le film Être libre tourné en 68 par des étudiants de l’Idhec, au jour le jour, à hauteur de rues. Outre son intérêt historique il met en jeu un certain nombres de questions, notamment celle qui était au coeur des débats de 2003 : jouer ou ne pas jouer en regard d’un engagement politique ? En 1968 Vilar est conspué par une partie du public rassemblé autour de Julian Beck, créateur avec Judith Malina du Living Théâtre. Beck voulais jouer Paradise Now programmé au Cloître des Carmes, hors des lieux institutionnels du festival, ce que Vilar refusa. Finalement une génération accuse l’autre d’interdire ou d’empêcher un accès populaire au théâtre, un comble pour le créateur du TNP ! Et pourtant ce n’était pas si simple. En 1967, Vilar avait ouvert le festival au cinéma en montrant La Chinoise de Godard, il avait accueilli la musique contemporaine, la danse. Déjà à l’époque Avignon n’était pas ce qu’on en a fait en 2005, lors de la grande polémique autour d’un festival trop axé sur le geste, qui aurait oublié le texte et la grande famille du théâtre. J’ai eu envie de creuser cette chose là, de convoquer des témoins importants de cette époque, notamment Jack Ralite que j’admire énormément, et de proposer moins des conférences que des rencontres libres pour prolonger le débat sur les enjeux du spectacle vivant, le statut des artistes, des interprètes, ce qu’il en est aujourd’hui d’un théâtre populaire qui ne serait pas populiste.

Propos recueillis par Stéphane Bouquet, janvier 2012

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Spectacle terminé depuis le mardi 20 mars 2012

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