S'affranchir du quotidien
La presse
Extrait
Note de mise en scène
Ce qui est bref dans les rêves peut être long et ce qui est long dure infiniment. Cette histoire se passe aux confins de la vie, aux abords de cette frontière où le rêve capture la réalité. C’est l’histoire de Vlad, un comédien et de sa sœur Sacha. Endeuillée par la mort de leurs parents, leur relation s’enlise dans un fonctionnement fusionnel. C’est l’histoire de Vlad et de la femme de sa vie qu’il va laisser s’en aller. C’est le soir où il est poussé à identifier et à exprimer ses désirs : vivre dans l’exaltation, s’affranchir de la complexité des femmes, se débarrasser des moments d’ennui.
Il est alors embarqué dans un voyage onirique, né de sa lassitude. Il quitte la réalité, ses imprécisions et ses moments de flottement. La femme de sa vie lui apparaîtra encore et encore, deviendra tour à tour le sexe, l’amour, la folie… et la mort. Et pourtant, il ne pourra plus l’atteindre, ni la toucher.
Riton et Lucien, employés émérites, de l’entreprise Stock’carton, répertorient, classent et stockent les souvenirs. Petit à petit la scène est envahie de cartons. Vlad oublie : « si les souvenirs sont dans les cartons c’est qu’ils ne sont plus dans sa tête ». Vlad devient vieux, sa mémoire ne lui appartient plus, elle a été privatisée ! Face à l’inconnu de la mort il aura droit pour unique réconfort, à une seule pensée familière. Où se trouve la limite entre le rêve et la réalité dans un monde libéré des contingences matérielles, un monde où le temps devient malléable ?
Vlad a reçu le prix d’encouragement jeunes auteurs du Ministère de la Culture 2005 (DMDTS) pour la qualité de son texte.
"Ce bien joli texte donne la chaire de poule tant ses mots sont subtilement choisis." Le Point
"Avec beaucoup d’humour , le passée de Vlad s’accumule sur le plateau (…) La finesse d’écriture permet aux émotions d’émerger et de faire écho avec les réflexions métaphysiques de chacun." Théâtrale Magazine
"A 27 ans, Frédérique Würz et Thalia Rebinsky signent une jolie première pièce récompensée par le prix d’encouragement jeunes auteurs du ministère de la culture." 20 Minutes
[…] tu es partie alors que tout est encore si léger. Avant que tu t’appartiennes à ma vie, avant que tu sois ternie par mon ennui. Je t’aimerai donc par ton absence, mes bras se refermeront sur ton souvenir. Mon amour n’est pas un filet assez solide pour te retenir. Qu’est ce qu’il me reste ? Regarde-moi miroir imperturbable et intransigeant : Si je pouvais me débarrasser de l’ordinaire, de l’inutile, de l’attente. Si la vie pouvait être aussi claire dans mon cœur que dans le sien ! Les femmes sont des êtres joliment compliqués ! La simplicité des éléments ! N’y a-t-il rien de plus absolu, de plus réducteur ? Je ne me laisserai pas pétrifier, prendre vivant par l’ennui.
La pièce nous raconte la vie et la mort de Vlad, dans un temps qui n’est autre que celui de la représentation. Celle-ci perd tout réalisme vérifiant ainsi que « ce qui est bref dans les rêves peut être long ». Est-ce un rêve, un fantasme ? Est-ce le réel ? Il appartiendra au spectateur de répondre… ou pas. Au long du parcours émotionnel et intellectuel de Vlad le spectateur traverse avec lui les questionnements existentiels présents en chacun de nous. Comment accéder au bonheur, à l’amour ?
Mais Vlad est en quête d’absolu, tellement passionné qu’il ne se passionne de rien, éprouvant un tel besoin d’amour qu’il ne sait pas aimer et s’abandonne à l’étouffante présence de sa sœur. Enfermé dans cet engrenage, il est incapable de voir sa vie et ce qui la constitue. Ce qui est mis en question par la pièce est pour moi tout d’abord la notion de seuil. A quel moment n’est-il plus possible de continuer comme avant ? Quel courage, quelle lucidité faut-il pour accepter de faire ce qui nous rend heureux ? La notion de regard ensuite. Que voit l’autre quand il nous voit ? Une succession de souvenirs, une multitude de possibles, une image immuable qui freine toute évolution ?
Une tension s’ajoute, celle qu’amène la présence à la fois gaie et déroutante des déménageurs, chargés de stocker les souvenirs dans des cartons. Que faire si notre vie ne se résume qu’à une pile de carton ? Vlad cherche désespérément le moyen de sortir de l’ordinaire. Des femmes lui apparaissent et lui parlent de sexe, d’amour, de folie, de mort. Et son regard change. Déplacer notre regard, l’aiguiser, là est pour moi la fonction du théâtre.
Caroline Arrouas
53, rue des Saules 75018 Paris