Un itinéraire exemplaire et original
Entre mots et choses
Matérialisme et humanisme
Classicisme et modernité
L’inachèvement perpétuel
Bibliographie
- Principales publications
Montpellier, 1899 - Bar-sur-Loup, Alpes-Maritimes, 1988.
Francis Ponge a donné l’exemple d’une démarche créatrice parfaitement indépendante et cependant toujours au cœur des préoccupations de ses contemporains ; d’une fidélité à soi qui n’a jamais exclu le mouvement ni l’évolution. Ayant anticipé quelques-unes des modes littéraires du siècle, il s’est laissé rejoindre, mais rarement enfermer par elles, préférant les contradictions conformes à son génie et à la complexité des enjeux de toute écriture. Il a pu ainsi échapper à toutes les réductions, et maintenir un heureux équilibre entre une pratique inventive et une réflexion rigoureuse. C’est ce qui lui vaut d’être aujourd’hui reconnu, en France et à l’étranger, comme l’une des figures majeures de la poésie du 20ème siècle.
Né à Montpellier dans une famille protestante, et ayant vécu son enfance à Avignon, Ponge dit avoir gardé de ses premières années une « double imprégnation », sensible et intellectuelle, au contact de la nature méditerranéenne et des monuments de la culture latine. Il a découvert très tôt dans la bibliothèque de son père le Littré, qui restera pour lui un instrument de travail privilégié. Après une scolarité secondaire classique au lycée Malherbe de Caen, il a entrepris à Paris des études supérieures, interrompues par un double échec à l’oral du concours de l’École normale supérieure et de la licence de philosophie. Il conçoit dès lors une certaine répulsion pour le langage des idées et de la communication, et s’adonne à partir de 1920 à une violente satire sociale et à une écriture virtuose et hermétique, notamment dans ses Douze Petits Écrits (1926). Son incapacité à exprimer les sentiments intimes à la mort de son père en 1923, aggrave sa méfiance envers le langage.
Ayant trouvé à la Nouvelle Revue française un lieu d’accueil, et en Jean Paulhan, dès 1923, un véritable mentor, il parvient à leur imposer son style et ses convictions, tout en se montrant parfois critique à l’encontre d’un certain académisme de la revue. Ponge, qui s’est marié en 1931 avec Odette Chabanel, vit de petits métiers, découvre les dures réalités de la société, et s’engage, syndicalement d’abord à la C.G.T., puis politiquement au Parti communiste (de 1937 à 1947). C’est cette prise de conscience politique qui le conduit à se rapprocher un moment des surréalistes « au service de la Révolution » (1929) ; il a toujours cependant gardé ses distances vis-à-vis de leur culte de l’irrationnel et de l’automatisme, exigeant quant à lui de l’écrivain la plus grande vigilance critique.
La parution du Parti pris des choses (1942) le fait connaître, et attire notamment l’attention de philosophes comme Sartre et Camus. De plus en plus passionné par les problèmes de l’expression, il associe étroitement à ses poèmes une réflexion sur le processus créateur (La Rage de l’expression, 1952), et il développe dans son Pour un Malherbe (rédigé entre 1951 et 1957) un véritable art poétique. Cette attention croissante à l’écriture lui vaut d’être reconnu en 1960 comme un précurseur par les jeunes animateurs de la revue Tel quel, qui lui donnent une place d’honneur dans leurs sommaires. Mais, après 1968, Ponge rompt avec eux, en raison de leurs prises de position politiques ; devenu gaulliste, il estime que le rôle révolutionnaire de l’artiste consiste exclusivement dans l’invention de formes nouvelles, qui n’exclut pas une certaine fidélité à la tradition. C’est ce qui ressort aussi du dialogue qu’il poursuit depuis la guerre avec les peintres, notamment à l’occasion d’éditions illustrées par Braque, Vuillamy, Kermadec, Herold, et à travers les textes qu’il consacre à Giacometti, Fautrier ou Picasso (L’Atelier contemporain, 1977). Il reprend pour l’essentiel, à la fin de sa vie, des textes anciens ; mais en publiant, parfois intégralement, leurs brouillons et versions successives (La Fabrique du pré, 1971 ; La Table, 1982), il contribue de façon décisive à la valorisation contemporaine de l’« avant-texte ».
Ponge a su résister à la tentation fréquente de dissocier le travail sur la langue du travail sur le réel. Alors que les modes exaltaient unilatéralement tantôt l’un (surréalisme) tantôt l’autre (existentialisme, marxisme), il a toujours soutenu que le parti pris des choses était pour le poète inséparable du « compte-tenu » des mots. Si Ponge a mis d’abord l’accent sur les choses, c’est par méfiance à l’égard des idées et des idéologies, et du langage qui les véhicule. Il cherche à surprendre un ordre des choses indépendant des significations culturelles. Il recourt délibérément à la prose, pour se soustraire aux conventions du vers, et il se plaît à réhabiliter des objets méprisés par la société et par la tradition poétique, comme le cageot, la cigarette ou le galet.
Mais cet intérêt pour « le monde muet » n’implique nullement une abdication des pouvoirs du langage. Dans la mesure où elle échappe aux prises des codes constitués, la chose en appelle à un renouvellement de la langue. Elle oblige le poète à réinventer le lexique. Au lieu de s’arrêter à la signification que véhicule habituellement le nom de la chose, Ponge le fait jouer.
Un des aspects majeurs du travail de Ponge consiste précisément à traiter les mots comme des choses : il réactive leur « contenu imagé », en rendant par exemple aux métaphores d’usage leur sens concret (dans l’huître, on trouve « à boire et à manger »). Cette attention prêtée à la matière verbale ne vise pas à l’élaboration d’un langage clos sur lui-même : il s’agit plutôt pour Ponge de rendre compte de la profondeur du monde.
Le matérialisme revendiqué par Ponge répond à un certain rejet de la tradition poétique. Ponge entend décrire les choses « de leur propre point de vue », et non « du point de vue de l’homme seulement » ; il lui est arrivé de se réclamer d’une objectivité quasi « scientifique », qui donne parfois au poème l’allure d’un compte-rendu d’expérience ou d’observation.
Ce que Ponge rejette, c’est une conception classique du sujet. La catastrophe des deux guerres mondiales a ruiné cette prétention à la plénitude et à la souveraineté : « L’homme non seulement n’a plus rien, mais il n’est plus rien que ce « je ». Ça n’a plus de nom... qu’un pronom ! » Mais, ayant dû faire table rase de ses illusions d’autonomie, la conscience contemporaine peut trouver dans son ouverture aux choses une chance unique de se reconstruire et de se renouveler. À chaque objet s’attache « un complexe de sentiments particuliers » ; le décrire, c’est élucider l’« émotion » qu’il nous procure.
Il existe donc aussi un humanisme de Ponge ; mais il repose sur une conception nouvelle de l’homme. Dans sa confrontation avec les choses et les animaux, l’homme apprend qu’il n’est pas ce pur esprit ou cette belle âme dont la poésie lui renvoyait complaisamment l’image, mais « quelque chose après tout de plus matériel et de plus opaque [...], de mieux lié au monde ».
Ce travail sur la matière des mots et du monde s’accompagne d’une remise en cause des représentations et des formes poétiques traditionnelles. Selon lui, le « maintien » d’un certain patrimoine linguistique et littéraire est « l’un des devoirs qui s’imposent » à l’écrivain contemporain, tout autant que « la création de valeurs nouvelles». Et il se réclame aussi bien d’Horace, de Malherbe, de La Fontaine, de Rameau ou de Chardin que de Mallarmé, de Rimbaud, de Roussel, de Stravinsky ou de Picasso.
Ponge fait siennes les exigences classiques de rationalité, de clarté et d’harmonie. Son souci de l’objet le conduit à se méfier de la métaphore qui recouvre les différences sous le voile trompeur de l’analogie et à rechercher la propriété et la précision des termes. L’idéal d’une adaptation de la forme au fond sous-tend l’ambition d’inventer « une forme rhétorique par objet » : ainsi l’orange appelle « une étude rondement menée ». Le poème en prose fournit à Ponge un cadre assez souple pour s’adapter à la diversité des choses, mais assez fermement délimité pour leur donner une forme et un contour.
Néanmoins, l’objet ne saurait être emprisonné dans une définition ni dans une formulation adéquate. Entre mots et chose, il y a du jeu ; et, se situant dans cet écart, le poème ne peut être qu’une expression toujours provisoire et susceptible d’être remise en jeu. Ponge a pris de plus en plus délibérément, mais toujours avec humour, son parti de cette approximation et de cet inachèvement perpétuels. À l’idéal du texte bref, clos sur lui-même, qui présidait au parti pris des choses, il a substitué le « proême », poème en quête de lui-même, qui associe à son élaboration sa propre critique et sa poétique ; puis le « carnet », et les brouillons eux-mêmes, publiés tels quels dans leur intégralité, en un geste qui confère à la « fabrique » du texte une dignité égale à celle de son état ultime. Il rejoint ainsi toute une tendance de l’art moderne, qui valorise l’« œuvre ouverte » et le « work in progress ».
Les reprises obstinées et les corrections minutieuses qui ponctuent les versions successives du texte témoignent chez Ponge d’un effort constant pour atteindre une formulation plus proche de la vérité de l’objet ou de la pensée. Les différents états du texte sont autant d’épreuves où se révèlent, partiellement, les traits d’une réalité fuyante mais unique. La loi de l’écriture pongienne, c’est une sorte de « rigueur variée », cette « folle rigueur » dont parlait à son propos Marcel Arland.
Oeuvres complètes, Tome II, de B. Beugnot. Paris. Gallimard. Bibliothèque de La Pléiade, 2002
Oeuvres complètes, Tome I, édition établie par M. Collot, G. Farasse, J.M. Gleize, J. Martel,
R. Melançon et B. Veck, sous la direction de B. Beugnot. Paris. Gallimard. Bibliothèque de La Pléiade, 1999
Nouveau recueil, édition établie par J. Thibaudeau. Paris. Gallimard. 1992. 3 tomes
Pratiques d’écriture ou l’inachèvement perpétuel. Paris. Hermann. 1984
La Table, édition établie par B. Beugnot et R. Melançon. Montréal. Éditions du Silence. 1982
Comment une figue de paroles et pourquoi. Paris. Flammarion. 1977
L’Atelier contemporain. Paris. Gallimard. 1977
La Fabrique du pré. Genève. Albert Skira. 1971
Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers. Paris. Gallimard - Éditions du Seuil, 1970
Le Savon, Paris. Gallimard. 1967
Pour un Malherbe. Paris. Gallimard. 1965
Le Grand recueil. I Lyres, II Méthode, III Pièces. Paris. Gallimard. 1960
La Rage de l’expression. Lausanne. H.L. Mermod. 1952
Le Carnet du bois de pins. Lausanne. H.L. Mermod. 1947
Dix courts sur la méthode. Paris. Pierre Seghers. 1946
Le Parti pris des choses. Paris. Gallimard. 1942
Douze petits écrits. Paris. Éditions de la Nouvelle Revue Française, 1926
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Reine Blanche, Paris
Avec la parole de Francis Ponge est apparu très vite le plaisir pour Yann-Joël Collin de partager les problèmes existentiels que se posait Cyril Bothorel. Dans la confrontation de cette parole et ce corps, de l’un à l’autre ou de l’une à l’autre, se révélait leur présence singulière, tragique et comique.
Comédie-Française - Salle Richelieu, Paris
Théâtre IVT - International Visual Theatre, Paris
Lucernaire, Paris
TGP - CDN de Saint-Denis, Saint-Denis
Théâtre de la Cité Internationale, Paris
L'étoile du nord, Paris
Théâtre-Studio à Alfortville, Alfortville