Le poème de l’air

Paris 18e
du 25 au 28 octobre 2000

Le poème de l’air

CLASSIQUE Terminé

D’après Le parti pris des choses et Pièces de Francis PONGE, La Course, un tableau de Pablo PICASSO et Le dialogue des Muses de Jacques DOR.

Garance Dor - Portrait
Sur le regard de PICASSO
L’émerveillement
Extrait de " Le dialogue des Muses " de Jacques DOR
Claire Le Michel par Jacques Dor - Regard

D’après Le parti pris des choses et Pièces de Francis PONGE, La Course, un tableau de Pablo PICASSO et Le dialogue des Muses de Jacques DOR. Si je devais parler du Poème de l’air à un enfant, je dirais : " Comment d’un tableau et d’un galet faire naître une étincelle ? " Le tableau est de Picasso. Il a pour titre La Course : deux personnages gonflés à bloc, de liberté, de joies intenses, semblent s’envoler dans un bleu tout aussi intense. Comme s’il suffisait de regarder le ciel pour l’atteindre. Le galet " appartient  " à un poète, Francis Ponge. Ce poète observe le réel, les petites choses aussi bien que les grandes. Les choses à propos desquelles on pourrait penser qu’il n’y a rien à dire. Rien de plus que ce qu’on en voit. Et pourtant il en livre " la part belle " , la part de merveilleux ? Comme s’il suffisait de regarder pour s’émerveiller. L’étincelle est un spectacle comme un moment d’enfance idéale, où tout est jeu, sensation, découverte.

Claire Le Michel

Garance Dor - Portrait

Il y a une chose très curieuse avec Picasso. C’est quelqu’un que j’ai admiré d’emblée dès que j’ai connu sa peinture, dès que j’ai vu ses œuvres et finalement maintenant, je l’aime un peu moins… maintenant que j’ai vu d’autres choses.

C’est une figure de pionnier, Picasso, il a fait un travail incroyable au niveau de la production, il n’arrêtait pas, il était dans l’action. Il a affirmé une façon de regarder le quotidien, complètement décalée. Ou comment faire de son quotidien une grande rêverie. Sur le spectacle, on a surtout travaillé sur la transformation des matières, puisque Picasso était quelqu’un qui récupérait beaucoup, qui utilisait tout ce qui lui tombait sous la main pour créer. C’était pas quelqu’un qui travaillait un matériau noble, Picasso travaillait tout, tout était sujet, matière, et ce qui est vraiment formidable dans son œuvre, c’est qu’elle est diverse. C’est un art vraiment ludique, c’est quelqu’un qui s’amuse, Picasso, qui est comme un enfant, on sent beaucoup de plaisir dans toute sa création.

(…)

Dans le spectacle, la relation Ponge / Picasso se fait au niveau des objets et du quotidien. Ponge est quelqu’un qui regarde et qui décrit ce qu’il voit, on est parti de ça, de choses très simples comme un galet, une crevette, enfin des choses de la vie qu’on peut regarder et transformer, comment s’accaparer son quotidien pour en faire une chose exceptionnelle. Je reconnais surtout à Ponge cette qualité d’observation, c’est un observateur fou, dans les moindres détails, quelqu’un qui a un acharnement incroyable, qui va au bout de son désir.

(…)

Le spectacle, on l’a créé de toutes pièces, il n’y avait pas de texte, au sens d’une pièce, d’un auteur. Il y avait des matériaux divers, du coup il a fallu que Claire structure entièrement l’ensemble. On est parti beaucoup sur la peinture, j’ai des pinceaux dans le spectacle, ce qui me fait bien plaisir parce que je peins pendant le spectacle. C’est un drôle de mélange, une partition composée de plusieurs matières que j’aime.

(…)

Propos recueillis par Marie Raymond

Sur le regard de PICASSO

Voici ce qu’en dit le photographe Brassaï : " J’étais fasciné par ses yeux braqués sur moi… diamants noirs, yeux de braise, yeux de jais... contrairement à ce qu’on dit, à ce qu’on croit, ils ne sont ni anormaux, ni anormalement sombres. S’ils paraissent énormes, c’est qu’ils ont la curieuse faculté de s’ouvrir tout grands. C’est l’œil d’un visuel fait pour un perpétuel étonnement. " 

Sans doute le poète Francis Ponge écarquillait-il aussi les yeux.

L’émerveillement

Une même capacité à se laisser surprendre par le réel unit ces deux artistes. C’est là qu’ils puisent pour créer. Tous les leur matériaux sont bons et toutes les libertés permises. Pourquoi pas un galet ou une crevette comme sujet de poème ? Quant à Picasso, c’est " le Roi des chiffonniers " d’après Cocteau. Il récupère tout, même ce que les autres jettent. Ainsi il a créé de nombreuses sculptures comme cette tête de taureau fabriquée à partir d’une selle et d’un guidon de vélo. C’est de cet émerveillement qu’est né Le Poème de l’air. Ce n’est pas un conte pour s’endormir, ni une histoire à dormir debout , mais un spectacle " d’éveil " du regard.

Claire Le Michel

 " Les tableaux, c’est comme les paysages lointains, tu regardes, tu regardes et à un moment tu tombes dedans . Tu en fais partie. On en sort comme on est entré, sans s’en rendre compte, comme on sort du sommeil, comme on entre dans un rêve, comme on sort d’un livre. " 

Extrait de " Le dialogue des Muses " de Jacques DOR

Si je devais parler du Poème de l’air à un enfant , je dirais : " Comment d’un tableau et d’un galet faire naître une étincelle ? " Le tableau est de Picasso. Il a pour titre La Course : deux personnages gonflés à bloc, de liberté, de joie intense, semblent s’envoler dans un bleu tout aussi intense. Comme s’il suffisait de regarder le ciel pour l’atteindre. Le galet " appartient " à un poète, Francis Ponge. Ce poète observe le réel, les petites choses aussi bien que les grandes. Les choses à propos desquelles on pourrait penser qu’il n’y a rien à dire. Rien de plus que ce qu’on en voit. Et pourtant il en livre " la part belle " , la part de merveilleux, comme s’il suffisait de regarder pour s’émerveiller. L’étincelle est un spectacle comme un moment d’enfance idéale, où tout est jeu, sensation, découverte.

Claire Le Michel

Claire Le Michel par Jacques Dor - Regard

Claire Le Michel, j’étais là quand elle est née. Je m’en souviens, et Claire, aussi sûrement se souvient.. De ce vaste plateau où elle avait planté, d’un tabouret bleu et d’une bougie, l’âme russe en plein XVIIIème… l’arrondissement. Encore fallait-il y accéder. C’était l’hiver et c’était les grèves, pas facile, à pieds de naître quand il faut traverser Paris et jouer des coudes avec les motos qui roulent sur les pieds des trottoirs. Il lui fallait une heure et demie de marche avant de prononcer (pieds nus indemnes) sur le plancher glacial du Lavoir Moderne Parisien, le premier mot de ce tout premier spectacle.

Oui, il faudrait toujours se souvenir du commencement de tout, c’est beau les commencements, il y a tant dans le commencement des choses et des êtres… et il faut parfois une telle volonté pour oser naître. Claire avait traduit Marina Tsvetaeva, elle l’interprétait et c’était sa première mise en scène.

La première image de ce spectacle faisait penser à un retour d’exil. Je me souviens de la douceur musicale des phrases et des pas qui s’avançaient vers nous… Claire avait choisi de donner des passages entiers en russe : quel régal ! C’était comme au concert ! Les poèmes nous parvenaient, comme Tsvetaeva se les récitait à elle-même, à haute voix. Des poèmes intacts, sans une once de manipulation traductrice, des poèmes comme débarqués directement d’une solitude ancienne, d’un froid ancien, d’une non-reconnaissance ancienne. Et les deux femmes rassemblées faisaient corps, malgré la distance les séparant, avec cette même difficulté, cette même exigence : mettre à jour… sa raison d’être. Et Claire, chaque soir, l’espace d’une représentation, relançait de mémoire l’œuvre de Tsvetaeva, vers d’autres, qui à leur tour…

Peu d’entre nous naissent dans la résistance, dans le maquis déjà, dans l’idée de défendre, quoi qu’il en coûte, la parole d’un poète. Naître avec cet appétit féroce qui donne le premier cri…

Comme elle était proche de Tsvetaeva cette Claire en révolte contre les événements contraires. Rageuse, intransigeante, c’est à dire magnifique, elle ne lâchait pas un seul mot, un seul silence, et ne renonçait à rien, pas une seconde. Je me souviens d’un soir de panne d’électricité où Claire avait joué quand même : sans lumière et sans bande sonore, sans repère aucun. Elle avait joué le texte seul, à voix nue, là, tout près, à deux pas d’un public rescapé, transi de froid mais ravi. J’aime ce courage qui chez elle n’est même pas de l’inconscience, cette absence d’inconscience qu’elle dissimule derrière une timidité, cette timidité qui ne s’efface qu’à l’approche d’un plateau… ça doit venir de ses racines terriennes. Claire, elle a ce plus : elle est une des rares personnes de théâtre que je connaisse qui sache conduire un tracteur et planter un arbre.

Quand je remets le nez dans les débuts de mes artistes préférés, je m’aperçois que leur première tentative, la plus petite de leur esquisse première ne me laisse pas indifférent, plus encore, elle m’apparaît comme une fondation émouvante et à coup sûr essentielle.

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Spectacle terminé depuis le samedi 28 octobre 2000

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