Grande Guerre, mobilisation générale. Anthime quitte son poste de comptable dans une manufacture de chaussures. Il incorpore le 93e régiment d’infanterie, matricule 4221. À ses côtés, son grand frère Charles, ses camarades Padiolau, Bossis et Arcenel. Les cinq hommes partent mettre la pâtée aux Allemands en trois semaines. Blanche se réveille seule. Sa famille dirige l’usine Borne-Sèze. Fille unique, elle est enceinte de Charles, abattu bientôt dans son avion de reconnaissance. Le frère du mort, Anthime, rentre seul, amputé d’un bras. Entre-temps, une petite fille est née, Juliette, et les camarades fusillés, disparus, ou gazés. Anthime se rapproche de Blanche, amoureux depuis toujours, tandis que l’usine de la famille Borne-Sèze prospère dès la guerre achevée.
Entourée de trois comédiens dont son fils Pierre Rochefort, qu’elle dirigeait récemment au cinéma dans Un beau dimanche, Nicole Garcia donne vie au récit. Elle traverse les émotions d’un roman documenté, éclaté comme une Europe en guerre, à l’écriture musicale, sidérante. Les quatre acteurs font entendre les mots de gens simples, qui aiment, attendent, souffrent et meurent, perdus dans l’absurdité d’une catastrophe qui les dépasse. Dans son quinzième roman, Echenoz se fait l’observateur d’une épopée industrielle, intime et historique. Il compose une anatomie des années de guerre, étrangement drôle et tendre, fuyant l’opéra sordide et puant mille fois décrit. Il dresse le portrait d’individus ordinaires pris dans les mailles tragiques de l’Histoire.
Pierre Notte
Comment avez-vous découvert ce texte de Jean Echenoz ? Le désir de vous en emparer a-t-il été immédiat ?
Je connais l’oeuvre de Jean Echenoz. J’ai naturellement porté mes regards sur ce 14 qui m’a émue. La relation entre les deux frères et cette femme a suscité un désir de lire haut.
Votre lecture du roman a-t-il modifié votre vision de la guerre de 14-18 ?
L’approche d’Echenoz est particulière : ni somme sur le conflit, ni miniature littéraire, il parvient à dépeindre, avec rigueur et virtuosité un monde précipité dans l’enfer. Dans une langue concise et brutale, il traverse, comme hébété, quatre années de martyr collectif. Le passage sur les animaux par exemple, que nous avons dû couper pour la lecture, est très frappant. Il évoque avec un esprit quasi encyclopédique, quoique toujours distancié, une population à laquelle on ne pense pas immédiatement, mais qui est elle aussi bel et bien prise dans la guerre. C’est aussi quand Echenoz évoque le piège des tranchées et l’opéra « sordide et puant » de la guerre qu’il propose par la littérature une approche si singulière du conflit.
S’agit-il pour vous d’une commémoration obligée ? Un devoir de mémoire ? Ou le récit simple d’une histoire intime ?
Comme dans tous les grands romans, c’est la rencontre entre un contexte historique, une époque, et un personnage, son inscription problématique dans ce temps de l’Histoire. Comment un être accompagne la fin d’un monde, comment il fait face à l’inédit, comment il parvient ou non à survivre à ce qui reste en notre mémoire comme un absurde et interminable massacre ? Une curiosité fondamentale : comment vit-on en période de guerre ?
Quelle histoire vous touche le plus, parmi toutes les histoires de 14 ? Celle qui motive le projet de ce spectacle ?
C’est le regard d’un jeune homme sur son frère aîné, l’absence d’évidence sentimentale entre eux, et la dureté de l’un contre l’autre, notre surprise à les découvrir frères. Cette exploration du lien fraternel est très belle, dure, et c’est dans cette âpreté qu’elle se mesure à l’Histoire.
Savez-vous comment va s’organiser la parole sur le plateau ? Comment sera-t-elle distribuée ? Dans quel écrin la faire entendre ?
Nous avons choisi de donner à entendre quatre voix pour un roman qui possède pourtant une grande concentration narrative et peu de dialogues. Nous voulions incarner le trio amoureux de 14 et confronter ce trio pudique à une voix narrative plus ample, qui pourrait être la guerre elle-même, le temps du conflit, prenant les personnages dans une dynamique tragique. Qu’il puisse y avoir un véritable dialogue entre les personnages et la voix qui les raconte, un écho, une dialectique entre ces quatre instances romanesques.
Vous êtes plus rare au théâtre, pourquoi ? Vous mettez en scène au cinéma, vous n’avez jamais mis en scène au théâtre. Pourquoi ?
J’ai toujours trahi les lieux d’où je venais. Et le théâtre est ma terre première.
Propos recueillis par Pierre Notte
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