Un voyage initiatique
Le mythe d'Alice
La presse
Alice, celle qui traverse les miroirs, nous enchante depuis plus d’un siècle. Chacun y trouve du grain à moudre. Elle inspire les peintres, les dessinateurs, les exégètes de tous poils et bien sûr les psychanalystes. Chacun la regarde et l’ausculte, se penche sur son berceau. Irréductible à la simplification, elle traverse le temps sans rien perdre de sa séduction et chaque génération la découvre avec le même éblouissement.
Rien, jamais, n’érodera la force subversive de cette gamine aussi innocente que rouée, sage que folle, sortie tout armée de rêves de la tête du diacre matheux, Charles L. Dodgson, alias Lewis Carroll qui emmenait les petites filles en barque pour leur raconter des histoires au fil de l’eau. Bien que destinée à une lectrice unique, les tribulations d’Alice ne sont pas réservées aux seuls enfants, mais aussi aux adultes à qui, nous dit Virginia Woolf, elles rendent leur âme d’enfant. Pour nous permettre de renouer avec cette part parfois trop délaissée de nous-mêmes et ravir en même temps les plus jeunes, Laurent Fréchuret a suivi les deux Alice, celle qui s’égare au Pays des merveilles et celle qui passe derrière le miroir. Il en est revenu les bras chargés d’aventures qui se jouent sur le grand échiquier du monde.
Accompagnés d’une claveciniste, les comédiens, raisonneurs et déraisonneurs, nous embarquent au cœur d’une prodigieuse promenade buissonnière, crépitante d’humour et de vertiges et qu’André Breton recommandait à tous ceux qui ont gardé le sens de la révolte. Revisitant un spectacle créé en 1997, Laurent Fréchuret nous offre une véritable friandise à déguster en famille.
On ne présente pas les mythes ; Alice en est un - peut-être même, après Dom Juan et Faust, le dernier en date de la littérature occidentale. Et en digne mythe qu’elle est, Alice reste inépuisable. Rien d’étonnant, donc, à ce que Laurent Fréchuret ait voulu la recréer, quelques années après sa très belle première version, toute en finesse et en drôlerie. Rien de surprenant, surtout, s’il choisit de la mettre au pluriel : ne la destine-t-il pas à tous les spectateurs de huit ans et plus ? A chacun son Alice.
La mention de son nom est inséparable du Pays des Merveilles, ou de l’autre côté du miroir, dont elle fut l’exploratrice polie, patiente et attentive. Tout le monde la connaît, ou croit la connaître. Mais son histoire - dont on ne se rappelle jamais tout à fait tous les détails - est de celles dont nulle relecture ne ternit jamais l’éblouissant éclat de nouveauté. Ce mythe-là, pour avoir une date et un lieu de naissance relativement aisés à situer, n’en est que plus énigmatique.
Il était une fois, disent les préfaces, un certain Charles Lutwidge Dodgson, qui entra à Oxford à 18 ans et y passa à peu près toute sa vie à y enseigner les mathématiques, puis la logique ; il était une fois, le 4 juillet 1862, une promenade en barque avec la petite Alice Liddell et ses deux soeurs, au cours de laquelle le gentil M. Dodgson improvisa au fil de l’eau, pour distraire les trois fillettes, une histoire si réussie qu’il dut promettre de la leur écrire dès le lendemain.
Trois ans plus tard, au jour anniversaire de la mémorable promenade, il en dédicaçait le premier exemplaire à son inspiratrice. Ainsi naquit Alice, par un saut dans l’inconnu dont celui qui signa les aventures « Lewis Carroll » se souvenait encore bien des années plus tard : « je me rappelle distinctement, à l’heure où j’écris ces lignes, comment, dans une tentative désespérée de trouver un nouveau filon de féerie, j’avais commencé par précipiter mon héroïne tout droit dans un terrier de lapin, sans la moindre idée de ce qui devait arriver ensuite ». Ce desperate attempt d’un conteur à court d’inspiration, jetant une petite fille (l’une de ses auditrices !) dans un trou noir, comme pour se contraindre à sauter à sa suite dans un monde souterrain, signe l’acte inaugural d’une extraordinaire insurrection de l’imaginaire, d’une déflagration onirique à peu près sans précédent.
Depuis, chaque lecteur en découvre les secousses à nouveaux frais - à moins plutôt qu’il ne les reconnaisse, car ainsi que l’a noté Virginia Woolf, « les deux Alice ne sont pas des livres pour enfants, mais […] des livres par lesquels nous devenons enfants ».
Pour traduire en termes théâtraux cette puissance miraculeuse d’enfance et de vertige, Fréchuret a conçu un espace scénique qui laisse chaque spectateur le soin de le rêver à son gré : calendrier de l’Avent, boîte à malices, échiquier ou table d’escamoteur, l’essentiel est qu’il offre sous nos yeux à toutes les Alices, fées tutélaires des rencontres imprévues et imprévisibles qui sommeillent en chacun, un terrain de jeu digne de leur jaillissante spontanéité. Grâce à lui, cent quarante ans après, le curieux professeur Dodgson nous convie à nouveau à une leçon particulière de liberté.
Le spectacle tout public est un petit bijou de subversion fantaisiste, foisonnant de trouvailles de mise en scène drôles et merveil-leuses, à déguster de toute urgence. Lyon Capitale (1997)
Avec beaucoup de subtilité, d’élégance et de drôlerie, Laurent Fréchuret a su rendre l’univers de fantaisie absurde, de non-sens qui est celui de Lewis Carroll. Lyon Figaro (1997)
Place de la liberté (Boulevard Foch) 57103 Thionville