Un texte dérangeant et oublié
Note d’intention de mise en scène
De l’intérêt de la vidéo
Note de l’auteur de l’adaptation
La presse
"Je suis l'aînée des soeurs Clamont. La vieille fille. Celle qui n'a pas trouvé de mari, qui ne connaît pas l'amour, qui n'a jamais vécu dans le bon sens du terme. J'ai trente-neuf ans et je suis encore vierge. Je suis la différente, celle qui ne ressemble à personne, la "mal sortie"..."
Claire, vieille fille à l’onanisme décrit sans détours, amoureuse ignorée de son beau-frère, rêve d’une sexualité libérée. Les intrigues qu’elle ourdit pour parvenir à ses fins aboutiront à un dénouement inattendu, mais synonyme de sérénité. Dans cette revendication de liberté individuelle, sociale, sexuelle, il n’y a de place pour aucun tabou.
Amour est le premier volet de l’adaptation théâtrale du roman Amour, Colère et Folie, oeuvre maîtresse de Marie Vieux-Chauvet, rédigée en Haïti, découvert par Simone de Beauvoir et publiée aux Editions Gallimard en 1968. Avant même sa parution en 1968, la charge subversive du roman suscite la fureur de François Duvalier le despote qui règne alors sur Haïti. L’époux de Marie Vieux-Chauvet se trouvant alors à Paris est prévenu des menaces de mort engagées à l’encontre de son épouse. Il se précipite chez Gallimard pour surseoir à la vente ; le roman est retiré des librairies et l’auteur contraint à l’exil.
Le livre devint un fantôme que, longtemps, seuls quelques initiés avaient lu… Cette destinée éditoriale donne la mesure de la subversion de ce roman qui ne trouva une seconde vie que lors de sa réédition en 2003 (éditions Voix de Femmes). Entre temps, il avait acquis la plus-value du mystère, du sulfureux et de l’interdit et il garde aujourd’hui la force de sa détermination. Un texte fondateur de la littérature haïtienne. Un texte dérangeant, oublié, qui resurgit comme savent le faire les grands textes qui sont ancrés au creux de la mémoire du temps.
D’après le roman de Marie Vieux-Chauvet Amour, Colère et Folie (Edition Zellige), adaptation pour le théâtre : José Pliya (Edition l’avant-scène théâtre).
Chorégraphie : Cyril Viallon
« J’assiste au drame, scène après scène, effacée, comme une ombre.
Je suis la seule lucide, la seule dangereuse et personne autour de moi ne le soupçonne. La vieille fille !
… J’ai trente neuf ans et je suis encore vierge
… Depuis son mariage avec ma soeur Félicia, personne n’existe au monde à part Jean Luze. Le beau Jean Luze ! L’intelligent Jean Luze ! Jean Luze l’étranger auréolé de mystère, d’exotisme.
… Mais Jean Luze ne désire plus Félicia, c’est à Annette qu’il pense, mon autre soeur,
… Annette à de l’or sous la peau.
La couleur de la peau exceptée, c’est une copie de moi d’il y a seize ans, retouchée.
Car ces deux mulâtresses - blanches sont mes soeurs. Je suis la surprise que le sang mêlé a réservée à nos parents.
C’est moi le metteur en scène du drame, je les pousse sur la scène, adroitement, sans avoir l’air d’intervenir et cependant, je les manoeuvre.
En quelques phrases « repiquées » au coeur du roman de Marie Vieux Chauvet, outre ce styleélégant, sulfureux et terriblement moderne ; il me semble que le décor est planté, le personnage dessiné dans une évidence fulgurante. Image imposante d’une femme terriblement belle, que le manque d’amour a flétrie avant l’âge. Une ordonnatrice qui fomente l’histoire familiale au gré de ses désirs sur le fil « pervers » de ses fantasmes. Qui sera-t-elle au moment précis du début de la pièce ? Une femme vieillissante, enlisée, empêtrée dans ses draps souillés, emmêlés au milieu de ses pulsions avortées…
Reine noire, au coeur de sa chambre, véritable empire des ténèbres « château de cartes » vacillant à l’image de cette société aristocratique haïtienne se consumant dans le reste de ses fastes. Vie en vestiges voilée, cachant une nudité, un dénuement, une aridité… Brûlure à fleur de peau d’un amour qui ronge de l’intérieur à force de n’être pas dit, pas dévoilé. Château de cartes dont les cartes sont pornographiques, images d’indécence à l’intérieur secret, déguisé d’une parure de « sainteté ». La bienséance extérieure fait contraste, donne le change. Chambre envoûtée d’une présence - absence celle de l’homme chéri, vénéré ; l’homme à la peau blanche, au sexe convoité mais interdit, destiné à une autre irrémédiablement ! Femme de peau noire, l’accident, ses rêves sont hantés par la blancheur de cette peau mâle, laiteuse…
Corps évanescent, obsédant, danseur qui s’ébroue, s’incarne et s’apaise au son des concertos de Beethoven. Une solitude à deux, dont le deuxième n’est qu’« esprit et chair », rêve éveillé poétique, romantique et terriblement trivial et sexuel. Il s’agit bien d’imaginer un univers fantasmagorique chimérique et contrasté : la noire et le blanc, comme les touches d’un piano égrenant les mélodies d’un passé révolu. Un univers pulsionnel, érotique où rien n’est consommé jamais, la suggestion même des désirs interdits réveillant la moiteur et l’étouffement des passions inassouvies.
Toute l’adaptation de José Pliya est centrée sur l’alternance des « séquences » de regards de Claire sur le monde qui l’entoure et de séquences plus intimes, intimistes sexuellement troublantes et dérangeantes où son malaise de vivre sa condition de femme se révèle dans toute sa douleur, sa perversité, son désarroi. Les premières séquences concernent donc plus une certaine vision politique, celle, sans concession d’une aristocrate déchue. Le regard lucide de Claire sur l’évolution de cette société haïtienne qui change de repères et dont les donnes politiques changent de main. Elle est l’observatrice consciente et impuissante de ces bouleversements.
J’ai demandé au vidéaste guadeloupéen, JanLuk Stanislas, de prendre le relais de l’actrice lors de ces périodes de description comme une mise en perspective de ses propos, de ses visions dérobées à l’ombre des persiennes de la demeure coloniale. A partir d’images d’archives, mais aussi en cherchant une correspondance avec cette société haïtienne d’aujourd’hui où la condition du peuple n’a guère évolué, où la tension et l’électricité des esprits sont encore perceptibles, oscillant entre soumission et révolte. Un monde coloré et bigarré fait de mouvements de foule et de croisements des regards élargira l’espace scénique comme une ouverture au monde. En effet, ce qui frappe le plus quand on débarque à Port-au-Prince, c’est cette impression de multitude, de jeunesse à l’énergie débordante, comme une source tumultueuse, anarchique, et prête à déborder au moindre remous, à se soulever…
Pour les séquences d’intimité, il s’agira pour le vidéaste de voler, de dévoiler l’impudeur des sentiments et des émotions qui submergent l’héroïne. Claire si chaste et bien élevé, la vieille fille sans problème, si timorée, effacée à tel point qu’on oublie qu’elle peut voir, penser, manipuler. Ses fantasmes mis à jour, l’obsession du sexe révélée ; c’est une femme aux spasmes dérangeants au regard lubrique et impudique, des effleurements de la peau au trivial de la pilosité suintante qu’il s’agira de suggérer dans un noir et blanc érotique et sensuel. Opposition des couleurs, d’une foule à une solitude, de la vitalité à l’enfermement, la caméra aura à rendre compte de ces antagonismes de ces contradictions, qui sont l’essence même de toute cette première partie de la trilogie de Marie Vieux Chauvet.
Vincent Goethals
C’est un ami haïtien qui, lors de mon installation dans la Caraïbe m’a parlé de ce roman. Il m’en a parlé comme on parle d’un objet rare et précieux. Rare parce que l’exemplaire qu’il détenait lui avait été volé ; précieux parce que le récit qu’il me faisait de son contenu m’a immédiatement fait rêver.
En 2005, le roman est réédité. Je l’achète. Je le lis. Le coup de foudre est instantané. Dès la première phrase, dès la première ligne. Il y a une langue, une âme, une poétesse. A l’instar des grands romanciers, je songe à Dostoïevski ou Faulkner, chaque page suinte l’humanité. Coupable et rédemptrice chez l’un, poisseuse et animale chez l’autre, elle est, cette humanité, tragique, pudique et révoltée chez Marie Vieux-Chauvet. Je le relis. J’en achète tous les exemplaires disponibles en Guadeloupe. Je le fais lire à des amis, des collaborateurs. L’émotion est unanime. Au nom de l’Artchipel, j’en achète les droits. Ce sera le premier projet de création théâtrale de la Scène Nationale. J’ai le désir d’adapter ce roman comme on relève un défi. Défi pour l’homme de théâtre qui s’aventure pour la première fois dans la complexité du romanesque. Défi pour l’adaptateur d’opérer des choix et des choix radicaux : face au foisonnement et à la choralité des personnages, n’en retenir qu’un seul pour aborder, en tant qu’auteur dramatique, mes premiers monologues.
Défi enfin pour l’inventeur de langue que je m’évertue d’être au fil de mes pièces, qui se voit obliger à l’effacement, à l’humilité au service d’une autre écriture, si loin de la mienne et qui pourtant me bouleverse. Chez elle, point de pathos identitaire, point de sempiternelles accusations de l’autre, point de longs sanglots de l’éternel opprimé. Il n’est que question d’hommes et de femmes responsables, résolus dans la révolte malgré les tourments et les contradictions du passé, malgré l’injuste violence du présent et qui ne désespèrent pas d’écrire pour eux et leurs enfants un avenir moins ensanglanté. Cet écrivain a su saisir l’âme d’un peuple. C’est rare et précieux.
José Pliya
« La comédienne oscille entre pudeur et exhibition avec majesté (…) Diaboliquement intense. » D.D., Pariscope, 9 - 15 avril 2008
« Une création qui honore le théâtre français tel qu’on l’aime : pas frileux. » Odile Quirot, Le nouvel Observateur, 27 mars 2008
« Amour adapté en un monologue saisissant pour la scène par José Pliya, est porté de bout en bout par l’interprétation superbe de Magali Comeau Denis. Elle incarne avec une puissance allant crescendo cette voix immense de la littérature universelle. » V.M.L.M., Le Point, 10 avril 2008
« Une excellente adaptation scénique de cet ouvrage foisonnant (…) un spectacle prenant et captivant, où Magali Comeau Denis, en grande prêtresse d’un sabbat torride, est éblouissante de justesse et de fougue. » Catherine Robert, La Terrasse, 1er avril 2008
Parc de la Villette 75019 Paris