En arrivant au Kremlin en 2000, Vladimir Poutine avait promis d'instaurer en Russie la « dictature de la loi ». L'ancien agent du KGB s'engageait à mettre fin à la corruption, à ramener à la raison l'irrédentisme tchétchène, à offrir à chaque citoyen un niveau de vie décent...
Mais s'il y a bel et bien une dictature en Russie, c'est celle exercée par un pouvoir impitoyable qui ne se soucie de la loi que lorsque cela l'arrange, explique Anna.
Anna Stepanovna Politkovskaïa née le 30 août 1958 à New York et morte assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou, est une journaliste russe et une militante des droits de l'homme connue pour son opposition à la politique du président Vladimir Poutine, sa couverture du conflit tchétchène et ses critiques virulentes envers les autorités actuelles de la république caucasienne.
Poète, dramaturge, metteur en scène et acteur, Robert Bensimon porte en lui une jeunesse éternelle et une capacité rare dans notre monde de s’étonner et de s’émerveiller. Mais il ne serait pas ce qu’il est s’il ne savait aussi s’indigner, combattre et aimer.
Il y a eu déjà des pièces et des films consacrés à la journaliste russe assassinée, Anna Politkovskaïa qui, à elle seule, représente le plus grand symbole de la vraie Russie courageuse opposée au régime assassin de Vladimir Poutine. Cependant, la pièce écrite et mise en scène par Bensimon, en parfaite complicité avec Corine Thézier et Pierre Carteret, sous l’accompagnement musical de François Robin, est très différente de tout ce que nous avons pu voir jusque-là. Un texte poétique qui transmet des émotions, combiné avec des citations de textes d’Anna, mais aussi avec ceux de soldats et d’officiers entraînés dans le bourbier de la guerre de Tchétchénie.
Une mise en scène sobre, une musique qui permet de « digérer » l’intolérable, un jeu d’acteurs tellement fort qu’on ne pense même plus au théâtre. C’est un moment de vérité qui dépasse le cas d’Anna, qui dépasse même le cas de tous les journalistes assassinés dans le monde, et qui interroge notre rapport au monde : voulons-nous savoir où nous vivons ou préférons-nous de nous terrer dans notre confort ? Un spectacle dérangeant et exigeant qui réveille nos consciences.
Galia Ackerman, historienne, traductrice
Le spectacle commence par l’auteur sur la scène. Il s’adresse aux gens en face de lui, dans la salle : (...) « J’aurais pu choisir de jouer le tueur. Il est multiple. J’ai préféré être moi. Mais comment vous parler juste ? Et que voulez-vous que je vous montre ? Une flaque de sang, une gigantesque flaque de sang qui gagnerait les murs, le sol et jusqu’à la substance de vos nuits ? Nous avons préféré, mes camarades et moi, donner à penser. » (...) Et l’auteur s’efface peu-à-peu (mais jamais complètement) devant le personnage du lecteur français, joué par Pierre Carteret.
Dans un premier temps ses lectures font sortir de la nuit (et de la mort) l’apparition répétée de la journaliste russe Anna Politkovskaïa jouée par Corine Thézier. Passent en revue les atrocités de Tchétchénie, d’Ingouchie qu’Anna Politkovskaïa n’a jamais craint d’aller voir de près, sur le terrain, pour s’en faire la porte-parole. Le lecteur français est bien présent devant nous alors que Politkovskaïa n’est qu’une fiction, une apparition.
Et, comme les fantômes de Shakespeare, les apparitions doivent bien-sûr repartir, quand soudain le lecteur français apostrophe la journaliste : « J’aurais tellement voulu vous rencontrer. » Et voilà qu’au lieu de repartir, de disparaître, voilà qu’elle lui répond directement, au présent d’aujourd’hui : « Faisons déjà tout ce qui est encore possible. Si ma vie n’a pas suffi, que ma mort s’y mette ! Puisqu’ils n’ont pas craint la justice, c’est qu’elle est endormie. Réveillez-la ! Français, reprenez votre rôle. »
Et, à partir de là, et grâce au théâtre, ensemble, le vivant et la morte se donnent la main et s’encouragent à la lutte qui nous attend, nous, si nous ne voulons pas voir le XXIème siècle ressembler tragiquement au XXème.
Flûte et violoncelle (en alternance : Jean-Philippe Grometto et François Robin) soutiennent, accompagnent et prolongent ce qui se joue.
Robert Bensimon
41, boulevard du temple 75003 Paris