Best Of de l'humour noir selon André Breton
Liste des textes présentés
Extrait
Entretien avec Marc Goldberg
Une conférence sur l’art de bien assassiner, un éloge politique de l’anthropophagie, une méditation futuriste sur le parfum des morts, une enquête particulièrement scientifique sur le sentiment amoureux, d’effroyables aphorismes, etc. etc.
Trois personnages hauts en couleur s’approprient les joyaux d’une anthologie qui donna ses lettres de noblesse à un genre plein d’avenir : l’humour noir.
Par le Dive Théâtre. Adaptation théâtrale inspirée par l'Anthologie de l’Humour Noir d’André Breton (publiée aux Editions Fayard). Adaptation et mise en scène : Marc Goldberg.
Guillaume Apollinaire :
Dramaturgie
Jean-Pierre Brisset :
La Grande Loi et La Formation du sexe
Charles Cros :
La Science de l’Amour et Le Hareng Saur
Marcel Duchamp :
La Mariée mise à nu par ses célibataires même
Xavier Forneret :
Un Pauvre Honteux et Sans titre et encore un an Sans titre
Joris-Karl Huysmans :
En rade
Villiers de l’Isle-Adam :
Le Tueur de cygnes
Georg Christoph Lichtenberg :
Aphorismes
Thomas De Quincey :
De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts
Jacques Rigaut :
Papiers posthumes
Marquis de Sade :
Testament
Jonathan Swift :
Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande
d’être à la charge de leur pays et pour les rendre utiles au public et
Méditation sur un balai
Sur le choix des victimes d’un assassinat : « La victime doit être en bonne santé. En effet, il serait barbare d’assassiner des malades dans la mesure où ceux-ci n’ont généralement pas la force de le supporter. […] La victime doit aussi avoir une famille avec de jeunes enfants entièrement dépendants de lui. » Thomas de Quincey, De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts
« Le mérite est mince à railler la bonté, à berner la charité, et le plus sûr élément de comique c’est de priver les gens de leur petite vie, sans motifs, pour rire. Les enfants, eux, ne s’y trompent pas et savent goûter tout le plaisir qu’il y a à jeter la panique dans une fourmilière, ou à écraser deux mouches surprises en train de forniquer. » Jacques Rigaut, Papiers posthumes
D'où vient votre désir de mettre en scène l'Anthologie de l'humour
noir ?
D’une envie de rire, et de faire rire, mais d’une façon particulière. À mes yeux, l’humour noir tient du funambulisme. C’est un point
d’équilibre instable, improbable, contre-nature. Il flirte sans cesse avec
le tragique et avec le trivial, avec l’élégance et avec le cynisme. Le
moindre écart, et il se perd. Mais quand on le touche, un rire se
déclenche, irrépressible et déroutant. En 2006, après avoir monté une pièce particulièrement dense
(A Woman of Mystery de John Cassavetes) et une farce contemporaine
(Le Roux dans la Bergerie de Raphaël Scheer), j’ai eu envie de chercher
ce point d’équilibre. J’ai eu envie d’emmener une troupe et le public
vers un rire d’autant plus jubilatoire qu’il ouvre sur l’abîme. Un rire qui
naît de l’abîme et qui ne s’en détourne pas. Loin du boulevard et de la
satire, mais loin aussi des jérémiades, du glauque, ou de l’apitoiement. L’Anthologie de l’humour noir est le point d’origine, la ligne de fuite de
cet humour. Il était inévitable que je m’y replonge.
En la parcourant, je me suis aperçu que de nombreux textes (les
conférences de Swift ou de Quincey par exemple) étaient d’autant plus
drôles qu’ils étaient joués. Peu à peu, je me suis aperçu qu’il y avait là
matière à un spectacle singulier où je pourrai donner corps aux
multiples facettes de l’humour noir.
Comment avez-vous choisi les textes de l'Anthologie que vous
présenterez sur scène ? En avez-vous fait une adaptation pour le
plateau ?
Il n’était évidemment pas question de monter l’Anthologie dans son
intégralité. J’ai choisi ce qui me fait le plus rire et ce qui me semble le
plus théâtral - en l’occurrence, le plus théâtral n’était pas à mes yeux
les extraits de pièces cités par Breton. Coupés de l’oeuvre original, ces
extraits me semblent en effet intéressants à lire, mais pas à monter. J’ai
aussi cherché à donner une place aux différentes veines d’humour noir
décelées par André Breton : l’aristocratique (de Quincey), la surréaliste
(Duchamp, Forneret), la littéraire (Villiers de l’Isle Adam), l’aliénée
(Brisset), la macabre (Swift), etc.
En parallèle, j’ai travaillé sur l’adaptation. Bien sûr, il ne s’agissait pas
de créer artificiellement une continuité dramatique. Mais je voulais à
tout prix éviter la lassitude d’un spectacle qui ne serait au fond qu’une
lecture mise en espace. Aussi, j’ai totalement changé l’ordre des
textes : André Breton a suivi la chronologie, tandis que j’ai cherché des
alternances, des changements de rythme et de couleur. Certains textes
ont aussi été théâtralisés : j’ai créé des dialogues à partir d’aphorismes
de Duchamp et Lichtenberg, ou écrit à deux voix un texte
d’Apollinaire. J’ai aussi inventé trois personnages, qui interagissent
sans cesse.
Que représentent les trois personnages que vous avez créés ?
Comment interviennent-ils ?
Les trois personnages du spectacle représentent trois manifestations
fondamentales de l’humour noir. Le premier, que j’appelle le
Conférencier, incarne à mes yeux la quintessence de l’humour noir.
Conscient de ce qu’il dit, dandy, provocateur, raffiné et désabusé, son
mode d’expression naturel est la conférence. Lui revient par exemple
le fameux texte de Swift dans lequel il explique que la meilleure façon
de remédier au problème de la pauvreté et de la mendicité, c’est de
manger les enfants lorsqu’ils cessent d’être nourris au sein. Le second
personnage, le Scientifique, est un myope existentiel, un acharné de la
logique. Il obéit à un pur esprit de sérieux, et par là même flirte sans
cesse avec la plus radicale folie. Il en souffre atrocement, nous en rions
délicieusement. Ces deux personnages dérivent naturellement des
extraits rassemblés par André Breton. Mais j’ai rajouté un troisième
personnage, inspiré par deux figures présentes dans l’Anthologie,
Arthur Cravan et Jacques Rigaut, dont on pourrait dire que la vie a été
un chef d’oeuvre d’humour noir, davantage que leurs rares productions
littéraires. Il s’agit d’un personnage burlesque et muet (même s’il joue
un texte de Rigaut à la toute fin du spectacle), un clown sans nez rouge
qui cherche perpétuellement à se suicider, mais auquel la mort semble
se refuser.
Ces trois personnages créent une forme de continuité, mais ils
engendrent surtout du jeu. Le Conférencier et le Scientifique parlent
entre eux, s’affrontent ou tournent le Clown en dérision. Le Clown
intervient au milieu d’une Conférence, ou sert d’acolyte du
Scientifique à diverses reprises. Le Conférencier décrit une aventure du
Scientifique, qui l’incarne en parallèle sur le plateau etc. Au fond, c’est
l’existence de ces personnages qui permet aux textes de s’incarner
véritablement et au spectacle de se renouveler sans cesse.
L
e choix des comédiens était donc déterminant. D’ailleurs, je n’ai pas
rédigé l’adaptation avant de les avoir trouvés. Il me fallait un maître du
décalage, un artiste insaisissable et imprévisible pour le Conférencier :
dès la première rencontre, j’ai été convaincu que Bernard Menez
saurait incarner les nuances et les méandres de ce personnage. En face,
il fallait un enragé, un bulldozer, un monstre au bord de la folie : pour
l’avoir vu dans Torquemada de Victor Hugo sous la direction de
Christian Fregnet, et pour avoir travaillé avec lui, j’ai immédiatement
pensé à Patrick d’Assumçao. Enfin, il fallait un Clown avec un vrai
talent de comédien, à cause du texte qui lui est réservé à la fin du
spectacle. Roland Timsit, qui donne vie à un Clown plein d’invention
et de poésie depuis des années, en parallèle de sa carrière d’acteur, était tour indiqué.
La définition même de l'humour noir a-t-elle beaucoup évolué depuis
qu'André Breton a réuni les textes de l’anthologie en 1939 ?
André Breton donne une définition essentiellement négative de
l’humour noir, dans la préface de l’Anthologie : « Pour prendre part au
tournoi noir de l’humour, il faut en effet avoir échappé à de nombreux éliminatoires. L’humour noir est borné par trop de choses, telles que la
bêtise, l’ironie sceptique, la plaisanterie sans gravité… (l’énumération
serait longue) mais il est par excellence l’ennemi mortel de la
sentimentalité à l’air perpétuellement aux abois – la sentimentalité
toujours sur fond bleu – et d’une certaine fantaisie à court terme, qui se
donne trop souvent pour la poésie. »
Il ne faut pas oublier, à cet égard, que Breton avait tout bonnement
inventé la notion même d’humour noir en publiant son anthologie, en
1939. Comme il l’écrit en 1966 : « Qu’il suffise de rappeler qu’à son
apparition les mots « humour noir » ne faisaient pas sens (quand ils ne
suggéraient pas une forme de raillerie qui serait propre aux « nègres » !) ».
Depuis 1939, l’humour noir s’est développé tout azimut. Un
développement foisonnant, qui a vite débordé le champ littéraire : la
bande dessinée (Les Idées Noires de Franquin, les revues Fluide Glacial ou Hara Kiri), le cinéma (belge en particulier, avec C’est arrivé près de
chez vous par exemple), la télévision (notamment sur Canal +) se sont
emparés du genre.
Or, à la lecture de cette anthologie fondatrice, on ne peut qu’être
frappé de la façon dont le genre a dérivé. L’humour noir est souvent
devenu “trash”, frontal, brut. Celui qu’évoque André Breton, au
contraire, a quelque chose de détaché, d’élégant, de raffiné. Il relève
d’une attitude métaphysique face à l’existence. Il s’élève sur fond de
désespoir (face à la mort, la misère, ou l’absurde) et, sans renoncer un
instant à une lucidité absolue, il impose au monde sa logique (folle,
souvent) pour réaffirmer in extremis, dans un éclat de rire salvateur, la
supériorité de l’homme sur le destin.
J’ai justement envie de revenir aux sources de l’humour noir, pour
raviver ce rire jubilatoire.
J'ai vu le spectacle grâce aux invitations Theatreonline, que je remercie. L'humour noir est bien le thème de la pièce, et bravo à la mise en scène (avec une vidéo surprise). Quant aux acteurs, Bernard Menez, qui récite des textes très longs, bafouille trop souvent. Heureusement que les deux autres acteurs font diversion, toujours avec des jeux de mots, parfois grinçants, mais qui font sourire la salle (oui !) Au total, au bout de deux heures de spectacle, je suis un peu déçue : il manque quelque chose pour meubler les "moments lourds
J'ai vu le spectacle grâce aux invitations Theatreonline, que je remercie. L'humour noir est bien le thème de la pièce, et bravo à la mise en scène (avec une vidéo surprise). Quant aux acteurs, Bernard Menez, qui récite des textes très longs, bafouille trop souvent. Heureusement que les deux autres acteurs font diversion, toujours avec des jeux de mots, parfois grinçants, mais qui font sourire la salle (oui !) Au total, au bout de deux heures de spectacle, je suis un peu déçue : il manque quelque chose pour meubler les "moments lourds
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