Dans Aquarium se fait jour une tension nouvelle, une inquiétude accrue : celle de se sentir vivre à présent dans un monde sans espoir, où les rêves eux-mêmes sont traqués, où c’est l’esprit que l’on veut, bien plus que le corps, anéantir. Cauchemar sans acte et sans fin, tel est le sous-titre de cette pièce évoquant le monde des camps, face cachée et meurtrière de la Yougoslavie de Tito. De la seconde guerre mondiale à la guerre froide, le pays n’aura fait que changer de geôliers à casquettes. Le voici en proie à une langue de bois dont la pièce va nous fournir une très curieuse démonstration.
Car cette langue tyrannique et vide, Radovan Ivsic, loin de la calquer va nous en donner l’équivalent, en nous faisant assister à son autogénération aussi monstrueuse que drôle dans la bouche de chacun des officiers et des soldats de la pièce. Langue prête à tout pour camoufler l’horreur dont elle se nourrit, il lui suffit du plus dérisoire point d’ancrage- de l’ail aux échecs, du football à la philatélie- pour proliférer en intarissable discours d’ornement monomaniaque.
C’est ainsi que telle la peinture qui ne saurait reproduire la réalité, le théâtre ne saurait reproduire la réalité, le théâtre ne doit pas non plus se préoccuper de réalisme, fût-il socialiste, ni de mimétisme. Et l’auteur prend soin de fuir tout pathétique. Rien de commun donc, avec un certain théâtre de démonstration militante. Nous sommes dans le cauchemar des mots, celui là même où s’est débattu tout le XXème siècle et on nous nous débattons encore aujourd’hui.
Par la compagnie Bastions Pirates.
157, rue Pelleport 75020 Paris