Ariane

• Un personnage emblématique de la littérature française

Belle du Seigneur, une oeuvre si dense et si changeante ! Albert Cohen y passe avec brio du monologue au récit, et de la ponctuation la plus ciselée à un flot chaotique de mots sans ponctuation. Romanesque, critique (nazisme, bourgeoisie, passion etc..) et non dénué d’humour, Belle du Seigneur est un roman phare de la culture contemporaine et de la langue française. L’histoire se passe en Suisse dans les années trente. Ariane d’Auble, une riche héritière genevoise et protestante est l’épouse d’un petit fonctionnaire arriviste, Adrien Deume.

Désespérée et solitaire, Ariane s’enferme dans un monde de rêves éveillés dont seule la rencontre de Solal, un haut dignitaire juif de la Société Des Nations, supérieur hiérarchique de son mari, va la faire sortir. Entièrement dévoués à cet amour, Ariane et Solal vont vivre une passion intense et destructrice, poussés par le fantasme d’une vie de perfection sublime. Albert Cohen raconte ici l’histoire d’une passion absolue poussée à l’extrême, qui va consumer deux amants, jusqu’au suicide. Nous n’irons pas jusque là dans notre adaptation théâtrale puisque nous nous intéresserons ici aux trois monologues d’Ariane au bain.

Placés dans le roman à des moments charnières de sa vie, ils nous font entendre son évolution, le passage de fantasmes naïfs et enfantins à une passion dévorante et sensuelle. Le spectateur sera invité à suivre l’évolution féminine et sentimentale d’une jeune femme, qui dans l’intimité du bain, nous fera partager ses rêves et ses obsessions.

Compagnie Samson

• Un flot d'idées et de sensations

« Ariane » se présente comme un seul en scène où, à travers trois monologues successifs, nous suivons l’évolution de la féminité et de l’amour passionné d’Ariane pour Solal. Si le premier monologue se révèle d’une drôlerie enfantine et cocasse, Ariane évolue pour ensuite dévoiler des pensées de plus en plus sensuelles et amoureuses. Le flot d’idées et de sensations qui la submergent alors s’entrechoquent parfois sans raison, créant des images d’un lyrisme débordant et parfois incompréhensibles ! Il faut suivre le fil d’Ariane, ne pas le perdre. C’est tout le défi du texte d’Albert Cohen : nous faire rentrer dans une imagination exubérante mais dans laquelle tout un chacun peut se reconnaître.

Nous garderons l’élément baignoire, où Ariane laisse libre cours à ses pensées. C’est l’endroit physique où elle se met à nu. La scénographie ne sera pas réaliste : il n’y aura ni salle de bain, ni même eau. Car l’histoire de Belle du Seigneur ne sera que l’arrière plan qui justifiera les pensées d’Ariane. C’est la mise en scène de ce personnage dans son intimité la plus totale, qui laisse libre cours à ses interrogations, ses découvertes, ses doutes, qui accorde à ces trois monologues une dimension universelle. Et c’est précisément notre sujet : l’éclosion d’une jeune femme à la passion et à sa féminité.

Guillaume Gras

• Note sur la scénographie

L’élément baignoire est surélevé sur une structure (à environ 1m30 du sol). C’est comme si la baignoire flottait. Les miroirs sans tain sont placés en trois points. Tout est reflet, transparence et jeux de lumières. C’est une atmosphère onirique que nous proposons à ce texte, rien n’est concret ni réel, nous sommes déjà dans les rêves et les fantasmes d’Ariane.

• Extrait
  

« Oh aimé l’autre jour je suis allée rendre visite à Pénélope Kanakis uniquement pour pouvoir parler de vous mais pour ne pas éveiller les soupçons j’ai dit du mal de vous ô aimé j’ai dit arrogant antipathique cruel alors la sale Pénélope a approuvé je l’aurais étranglée je suis partie après quelques minutes de conversation très froide.

Vous vous rappelez cette soirée chez vous avec un tas de gens moi censément une invitée comme eux.

Exquis de se vouvoyer en étrangers bien élevés et savoir qu’on serait nus bientôt nos yeux se tutoyaient je vous ai fait une moue de baiser sans que les autres s’en ddutent exquis d’être frôlée par vous quand vous m’avez offert une cigarette.

On était des élus devant cette bande de conjugaux.

Exquis de prendre congé de vous et de savoir que tout à l’heure quand les autres partis je reviendrais.

Oh serre moi fort je suis à toi purement toute.

Eh là toi la femme reste un peu tranquille.

Si jamais je suis enrhumée je ne lui dirai pas ainsi pas perte de prestige je lui téléphonerai que besoin de solitude non pas lui téléphoner lui écrire pour pas qu’il n’entende ma voix enchifrenée je regrette mais j’ai besoin de solitude ainsi il souffrira il m’aimera davantage ainsi mon malheur d’être enrhumée de pas le voir me servira Un autre bon truc serait quand je dois aller le voir au Ritz lui téléphoner au dernier moment que je ne pourrai pas venir ce soir ou encore arriver en retard et alors pour me forcer d’arriver en retard reprendre un bain au dernier moment.

Oh comme il souffrira.

Vous vous rappelez le jour ou je suis venue à une des commissions de la SDN pour vous voir en fonctions vous étiez impressionnant quand vous avez parlé en anglais vous vous rappelez je vous ai fait passer un billet d’amour vous l’avez lu sévère impassible et moi je mourrais d’extase de vous voir sévère impassible mais après vous avez parlé aimablement à ce Sir John tiens tiens je me suis dit il peut faire le gentil tiens tiens il a un supérieur enfin ce monsieur.

Et puis quand tu as parlé on t’a applaudi j’ai dit tout bas c’est mon homme pour moi seule ce visage de pierre s’anime.

Tout à coup une idée folle d’aller vers lui devant tous ces délégués lui demander un baiser fruit après tout ces gens si habillés si sérieux font surement un tas de choses la nuit.

Oui c’est vrai quand il n’est pas avec moi je l’aime encore plus parce que quand il est là il me gêne un peu je ne suis pas assez libre pour l’aimer et puis ça devient très vite sensuel quand il est là et alors je l’oublie un peu.

On gèle de l’eau chaude s’il te plait merci ça suffit. »

Adapté de La Belle du Seigneur d'Albert Cohen - Compagnie Samson