Avant que j'oublie

Richard Brunel dirige Vanessa Van Durme dans cette œuvre déchirante, dialogue pour la vie, lutte pour la reconnaissance.
Le combat acharné d'une femme qui entend préserver le sens et les signes d'une existence dont la mémoire efface tout. Richard Brunel dirige l'extraordinaire Vanessa Van Durme dans cette œuvre déchirante, dialogue pour la vie, lutte pour la reconnaissance.
  • Quelque chose qui ressemble à un être humain à qui on a volé la vie.

La mère et la fille, opposées, se parlent, se souviennent. Elles s’affrontent dans un duel essentiel, un duo au sommet. Elles se déchirent ou se retrouvent, car la mémoire s’épuise, se délite. La maladie entre en jeu. « Cette ombre est ma mère », dit la fille. Alzheimer, le déficit de mémoire intervient entre elles deux. « Heure après heure, une main douce et invisible efface tout souvenir, tout événement ». Seule en scène, la comédienne et auteure belge Vanessa Van Durme interprète les deux entités bouleversées. Elle dit l’effroi de la fin, la colère, l’impuissance. Elle joue les peurs de la perte de toute trace de l’existence. Elle raconte la disparition de la cohérence, des mots, de la vie même, de l’identité. Égarée, la mère « confond les livres avec ses chaussures, qu’elle veut mettre à ses pieds ».

Vanessa Van Durme débute au Conservatoire royal de Gand en tant qu’acteur, jeune homme de la troupe NTGent. Années soixante-dix, le garçon devient une femme, puis une écrivaine de pièces radiophoniques, et une actrice pour Alain Platel notamment, dans Gardenia et Tous des Indiens. Elle écrit Regarde maman je danse, conçoit White Star puis Avant que j’oublie. La tolérance, l’acceptation de l’autre et de soi, l’identité perdue ou retrouvée, sont ses thématiques essentielles. Directeur de la Comédie de Valence, Richard Brunel présentait en 2005 L’Infusion de Pauline Sales au Rond-Point. Il dirige Vanessa Van Durme dans cette œuvre déchirante, dialogue pour la vie, lutte pour la reconnaissance. C’est le combat acharné d’une femme qui entend préserver le sens et les signes d’une existence dont la mémoire efface tout.

« Ces yeux ne regardent plus, ils sont dans le vague. Elle ne marche plus, elle se traîne, pas à pas. Elle ne rit plus, mais ne connaît pas le chagrin non plus, deux choses qu’elle a probablement oubliées comme tant d’autres choses. Cette ombre est ma mère. Petit à petit la vie l’abandonne. Jour après jour, heure après heure, une main douce et invisible efface tout souvenir, tout événement. Tout sera inexorablement vidé. Tout ce qui va rester c’est quelque chose qui ressemble à un être humain à qui on a volé la vie sans la tuer. »

Vanessa Van Durme

  • La presse

« Cela, Vanessa Van Durme l’interprète avec une délicatesse, une émotion, une vérité absolument bouleversantes. La mise en scène de Richard Brunel, sobre et précise, offre les conditions d’une écoute absolue. Chaque inflexion, chaque geste, chaque posture sont travaillés comme les plus belles compositions du Nô. (...) Telle est Vanessa Van Durme : une magnifique, impressionnante, prodigieuse actrice. » Catherine Robert, La Terrasse, 13 janvier 2014

  • Entretien avec Richard Brunel

Comment avez-vous rencontré Vanessa Van Durme ?
Je l’ai découverte comme comédienne dans le spectacle Kijk mama ik, dans ( Regarde maman, je danse) dont elle a écrit le texte. C’est un monologue qu’elle joue dans le monde entier depuis 7 ans et ce dans trois langues. Nous avons fait particulièrement connaissance quand je l’ai invitée à présenter son spectacle dans le cadre de la Comédie itinérante que le CDN de Valence organise pour les communes de Drôme et d’Ardèche. Ce fut une aventure humaine et artistique forte. J’ai été touché par le sujet autobiographique de son texte et par son travail d’actrice. Je lui ai donc proposé de la mettre en scène dans un nouveau projet pour la Comédie itinérante. Elle a accepté bien volontiers en me proposant de bâtir le spectacle à partir d’un nouveau texte qu’elle écrirait. Dans le processus de création, le texte se nourrit des répétitions, il dialogue avec elle dans un va-et-vient permanent. C’est la première fois que je mettrai en scène un solo. Je peux compter sur sa présence scénique, sa force de caractère, son humour corrosif, son désir d’atteindre le public, de faire entendre profondément ses histoires, sans exhibitionnisme, simplement par humanité.

En quoi cette histoire s’est-elle imposée à vous ? L’histoire d’une passion dévorante entre une mère et sa fille ?
Avant que j’oublie évoque la vie d’une femme dont la mémoire est altérée. Cette femme, atteinte d’un déficit de mémoire, était mère de deux garçons. L’un d’entre eux était persuadé d’être une petite fille enfermée dans un corps de garçon. Et cette fille a décidé de « montrer à l’extérieur ce qu’elle est à l’intérieur » et de devenir physiquement la femme qu’elle a toujours estimé être. Elle est transsexuelle et, des années plus tard, la voilà confrontée à sa mère qui a plus ou moins accepté ce changement d’identité. Leurs souvenirs mêlés se complètent et parfois se contredisent. Peu à peu, se fait jour une blessure, un manque, une fracture. Au moment où l’une affirme son identité, l’identité de la seconde disparaît. Ce sont deux identités à réconcilier. Au fond, c’est la relation mère-fille qui est en jeu. L’actrice joue les deux rôles, interprète un dialogue intérieur, peut-être même imaginaire, entre mère et fille.Ce projet interroge ces deux vies passées. La perte est au centre : perte de mémoire, de dextérité, de parole, de langage, perte d’identité. C’est notre désir commun de travailler sur ces pertes qui nous unit et nous porte dans cette aventure théâtrale.

Mettez-vous en scène une folie, une maladie ?
Une folie, non pas du tout, ni même une maladie. Ce n’est pas la maladie elle-même qui nous intéresse. Le propos n’est pas de savoir quelle partie du cerveau est endommagée ou non, si cette maladie est génétique ou héréditaire. Il s’agit plutôt de faire du théâtre et de construire une fiction sur le comportement d’une malade, sur sa relation à ses proches, sur le sens de leurs gestes, de leurs paroles et sur la façon dont leurs consciences réciproques s’effacent un peu plus chaque jour, l’une de l’autre, l’une pour l’autre… Cela me fait penser à Mon dernier soupir de Luis Buñuel qui écrivait à propos de sa mère : « Notre mémoire est notre cohérence, notre raison, notre sentiment, et même notre action. Sans elle, nous ne sommes rien (…) Je ne peux qu’attendre l’amnésie finale, comme cela s’est passé pour ma mère… »

Comment éviter que la scène ne devienne un espace d’exhibition ?
Si Vanessa Van Durme a une vie particulière dans laquelle elle puise sa nécessité artistique, c’est d’abord avec l’actrice que je travaille. Pour la mise en scène, ce qui se joue ici c’est avant tout l’émergence d’une forme de poésie. Cette mère devient « poète », en se perdant dans le présent immédiat, elle se joue du langage parce que son présent immédiat s’est joué d’elle. Son présent s’est dérobé devant elle et n’a jamais, croit-elle, coïncidé avec elle. Le langage n’en laisse que davantage voir la détresse de celle qui est contrainte de se prouver qu’elle existe au moyen même de son langage et de crier son identité. La mère comme la fille voient le langage les tromper. Plus il est précis plus il s’éloigne de qui le parle. Chaque spectateur, chaque lecteur s’est un jour trouvé dans la situation ponctuelle mais angoissante de l’oubli, de la perte de mémoire. La direction d’acteur cherchera ce point précis où l’identité localisée de façon vide est reconnaissable pour chacun. Travailler sur l’oubli, n’estce pas un joyeux paradoxe pour une actrice. Ce personnage de la mère est comme celui d’une ombre que la vie abandonne petit à petit, jour après jour, heure après heure. Pour elle, tout sera inexorablement vidé par une main douce et invisible. Et ce qui reste, c’est quelque chose qui ressemble à un être humain à qui on a volé la vie sans la tuer.

Propos recueillis par Pierre Notte

Sélection d’avis du public

Remarquable Le 1er février 2014 à 11h01

C'est un texte remarquable, servi par une actrice d'une grande vérité et d'une formidable humanité, qui nous dévoile tout en finesse ces deux vies qui se frôlent, s'entrechoquent, s'accompagnent et se perdent... Un très beau moment de théâtre. Grand merci à Mademoiselle Van Durme de nous l'avoir fait partager.

Magnifique spectacle Par Ludovic M. - 11 janvier 2014 à 10h32

J'ai vu avant hier ce spectacle, j'en ressors bouleversé... J'y ai pensé toute la journée. Bravo à elle et au metteur en scène. C'est d'une subtilité ! C'est très beau, intelligent, tendre et noir, tout est tellement sensible et d'une finesse, son jeu et son parcours. C'est vital, et puissant. Merci.

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Remarquable Le 1er février 2014 à 11h01

C'est un texte remarquable, servi par une actrice d'une grande vérité et d'une formidable humanité, qui nous dévoile tout en finesse ces deux vies qui se frôlent, s'entrechoquent, s'accompagnent et se perdent... Un très beau moment de théâtre. Grand merci à Mademoiselle Van Durme de nous l'avoir fait partager.

Magnifique spectacle Par Ludovic M. (1 avis) - 11 janvier 2014 à 10h32

J'ai vu avant hier ce spectacle, j'en ressors bouleversé... J'y ai pensé toute la journée. Bravo à elle et au metteur en scène. C'est d'une subtilité ! C'est très beau, intelligent, tendre et noir, tout est tellement sensible et d'une finesse, son jeu et son parcours. C'est vital, et puissant. Merci.

Informations pratiques

Théâtre du Rond-Point

2 bis, avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Champs-Elysées Librairie/boutique Restaurant Vestiaire
  • Métro : Franklin D. Roosevelt à 148 m, Champs-Élysées - Clemenceau à 216 m
  • Bus : Rond-Point des Champs-Élysées à 74 m, Rond-Point des Champs-Élysées - Franklin D. Roosevelt à 203 m, Rond-Point des Champs-Élysées - Matignon à 214 m, Palais de la Découverte à 237 m
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Plan d’accès

Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 8 février 2014

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