Une première étape
par Michel Didym
Une forme de partage
par Emmanuel Darley
Trois aveugles cruels, les voix fantomatiques
et brutales des frères Chouard, lappel sensuel de Suzanne... Tandis
quil chemine les mains dans les poches, le jeune Badier Grégoire fait
des rencontres. Elles le mettent à lépreuve. Le monde est âpre,
la nature primaire, les éléments réduits à un état originel.
Le jeune Badier Grégoire avance à la découverte de sa vérité ;
mais de quelle vérité ?
Après deux romans parus aux éditions P.O.L. et Verdier,
Théâtre Ouvert publie la toute première pièce dEmmanuel Darley
en Tapuscrit. Le metteur en scène Michel Didym
fait un chantier autour de cette écriture qui a retenu lattention
des lecteurs de Théâtre Ouvert par son aspect
à la fois concret et raffiné.
Une première étape
par Michel Didym
Ce qui me touche dans cette première pièce dun jeune romancier, cest
lunivers de lenfance aux frontières du paradis perdu, une enfance qui se
cherche et une adolescence qui se révèle à elle-même.
Aussi faire prendre en charge deux des personnages - les frères Chouard - par de jeunes
adolescents mintéresse singulièrement. Pour les trois aveugles - autre repère de
la pièce - jaimerais travailler avec des acteurs dont le tempérament et le
parcours sont complémentaires. Comme si, avec eux, Emmanuel Darley réinventait la
fonction dun chur antique contemporain.
La mise en espace sera pour moi une période expérimentale, une étape de recherche
nécessaire pour la création dun spectacle à venir.
Une forme de partage
par Emmanuel Darley
- Comment avez-vous commencé à écrire, et surtout, à écrire du théâtre ?
Emmanuel Darley : Après le lycée jai entrepris de vagues études de
cinéma, pas très poussées parce que je ne suis pas très doué pour les études. Ce que
je voulais, cétait réaliser, faire des films : jai écrit quelques
scénarios qui sont restés dans mes tiroirs. Puis, en retravaillant lun de ces
projets, peu à peu jai bifurqué et cela sest transformé en roman, cela a
donné Des Petits Garçons qui montre quelquun dans une situation
denfermement. Je me suis tourné vers la littérature sans doute parce que jai
été élevé dans les livres, sans doute aussi parce que je travaillais en librairie à
cette époque. Je crois que ce qui me gênait avec le cinéma, cétait lidée
de travailler en équipe : devoir nécessairement diriger ou être dirigé, je ne crois
pas être fait pour ça. Je suis plus à laise en travaillant seul. Lécriture
de théâtre me paraît être un juste milieu : toujours la solitude, le face à face avec
les mots mais au bout une sorte de partage, de " cadeau " à un metteur en
scène, à des acteurs.
Le deuxième livre, Un gâchis, était comme le premier un récit à la première
personne. Quelquun qui quitte le domicile familial et se trouve dans une extrême
solitude. Une sorte denfant sauvage, sans repères, qui avance dans linconnu,
se cherche, essaie de revenir à la vie et trouve une petite fille qui pourrait le sauver
mais cest déjà trop tard. Ce fut un livre douloureux à écrire, remuant sans
doute beaucoup de choses autobiographiques. Jai eu envie décrire pour le
théâtre, pour ne plus porter seul les choses, pour sortir aussi de la première
personne. Il y a des similitudes entre Badier Grégoire et Un gâchis : on y retrouve
notamment le même univers rural et frustre ; mais la grande différence est là, dans la
disparition du " je " unique qui parle presque seul, intérieurement.
- Aviez-vous lexpérience du théâtre, au moins comme spectateur ?
E. D. : Pas réellement, en tout cas, pas la proximité que jai toujours eue avec le
cinéma par exemple. Cest depuis lécriture de Badier Grégoire que jai
commencé à voir des spectacles. A vrai dire, pendant longtemps, je nai pas été
persuadé que cétait vraiment une pièce de théâtre : jai procédé comme
pour les romans mais en choisissant la forme dialoguée. Cette démarche est assez
équivalente à celle que jai adoptée dès le premier livre : écrire avec le moins
de référent possible. Cest ce qui me gêne souvent avec les écrivains
daujourdhui, ce poids des références, des "à la manière de". En
revanche, je me sens une familiarité avec deux dentre eux invités cette saison à
Théâtre Ouvert : François Bon et Jacques Serena.
- Badier Grégoire comporte un certain nombre dénigmes. Il y a notamment
la présence de ces aveugles dont le jeune homme va porter la faute... Est-il utile de
chercher des significations précises, des résolutions à ce qui serait alors un texte à
clefs ?
E. D. : Je crois que la signification doit rester ouverte. De même que pour les romans,
jaime que les choses restent en suspens. Jaime que ne soient pas résolues
certaines questions, celles touchant à la culpabilité par exemple. Jai écrit
trois textes qui sont imprécis quant au temps, au lieu, à lépoque, à lâge
; ce nest pas ce qui pour moi a de limportance.
Limportant, ce sont les mots, la langue. La poésie, disons. Et puis ce qui se dit
au premier abord, le discours de "lHomme mort" dans Badier Grégoire, ce
quil dit de la solitude, de la destinée. En écrivant, jai cherché surtout
une ambiance, une proximité avec un aspect originel et primaire des éléments. Les
personnages sont plongés dans une nature qui se montre âpre et ils réagissent de
manière, eux aussi, primaire.
- Quattendez-vous de la mise en espace du texte ?
E. D. : Confronter le texte aux voix, aux corps et au mouvement. Je sens quil y a
des choses un peu bancales dans cette pièce, jai besoin de " voir en vrai
" avec Michel Didym afin daméliorer, de rendre Badier Grégoire plus fort
encore. Nayant aucune expérience du travail de la scène, ce chantier va être une
occasion de poser concrètement les questions décriture que je narrive pas à
résoudre.
Il me semble que lidéal pour un auteur serait de pouvoir travailler avec des
acteurs pendant le processus décriture. Mettre en danger ses mots grâce à la
présence du corps et de la voix avant darriver à une version définitive du texte
de théâtre...
(septembre 1999)
159 avenue Gambetta 75020 Paris