Bartleby

Fontenay-aux-Roses (92)
le 8 novembre 2005
1H45

Bartleby

Un avoué du quartier de Wall street engage un nouveau copiste, Bartleby, exemplaire dans sa tâche… mais être énigmatique qui, à la plus ordinaire des demandes, invariablement répond : « I would prefer not to, je préférerais ne pas  ». Sa taciturne obstination provoque haine et compassion ; elle appelle aussi chacun à la révélation de soi-même.

"Rien n’exaspère autant une personne sérieuse que la résistance passive." Herman Melville

Résumé
« je préférerais ne pas »

La résistance et la révélation
Ecrits autour de Bartleby
La presse

Un avoué du quartier de Wall street engage un nouveau copiste, Bartleby, exemplaire dans sa tâche… mais être énigmatique qui, à la plus ordinaire des demandes, invariablement répond : "I would prefer not to, je préférerais ne pas". Un homme maigre et livide prononce la formule qui affole le monde. Sa taciturne obstination provoque haine et compassion ; elle appelle aussi chacun à la révélation de soi-même.

"Je ne connais pas d’histoire plus bouleversante, qui nous saisisse, nous étreigne à ce point et nous laisse aussi désemparés, que celle de Bartleby. Une histoire qui fait basculer tout langage dans le silence et précipite la pensée, progressivement prise de vertige, dans le vide " J.-B. Pontalis.

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Dans cette nouvelle écrite en 1853 et qui a pour cadre le Wall Street des affaires, Herman Melville confie le récit à un avoué, "homme de loi sans ambition" qui voit sa situation prendre de l’envergure et engage un nouveau clerc, Bartleby, "silhouette lividement soignée, pitoyablement respectable".

Satisfait, voire émerveillé par la méticulosité de son nouveau copiste, mais intrigué par sa froideur, il découvre bien vite l’étrange personnalité de Bartleby : le scribe irréprochable refuse de participer à la vie de l’étude. Le greffier lui propose-t-il une relecture collective des documents, il s’entend invariablement répondre : "je préférerais ne pas".

Fasciné par la douceur et la candeur de son employé, et malgré les remous que ce refus génère dans ses bureaux, étonné de sa propre faiblesse, il respecte le désir de Bartleby et le laisse dans son isolement méditatif ou dans son "incurable solitude".

Le désordre s’installe provoquant des réactions en chaîne qui menacent de paralyser le bon fonctionnement de l’étude et confrontent le greffier à sa propre impuissance. Depuis quelque temps Bartleby n’écrit plus, il reste planté des journées entières à regarder une fenêtre aveugle, hante le bureau, en fait même son logis…

L’avoué lui ordonne de quitter les lieux mais la réponse est toujours la même : "je préférerais ne pas". Désemparé mais ne pouvant se décider à l’expulser, il se résout à déménager son étude pour laisser Bartleby seul dans les bureaux déserts.

Les nouveaux locataires, encombrés par l’indéracinable Bartleby, demandent l’intervention de l’avoué qui cette fois s’entend répondre : "je préférerais ne pas bouger du tout".

Les forces de l’ordre évacueront Bartleby et l’incarcéreront aux Tombs, prison new-yorkaise à l’architecture inspirée des temples égyptiens. Il n’en sortira pas.

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"Ce qui compte pour un grand romancier, Melville, Dostoïevski, Kafka ou Musil, c’est que les choses restent énigmatiques et pourtant non-arbitraires : bref une nouvelle logique, mais qui ne nous reconduise pas à la raison, et saisisse l’intimité de la vie et de la mort. Le romancier a l’œil du prophète, non le regard du psychologue." G. Deleuze

Il y a quelques années, une amie m’offrait ce petit livre de Melville : Bartleby, que je ne connaissais pas. "Texte violemment comique", selon Gilles Deleuze. Je n’avais jamais éprouvé un tel vertige. La tentation d’adapter et de mettre en scène cet indéniable chef-d’œuvre fut présente dès la première lecture. Elle ne m’a plus quitté.

Nombreux sont les penseurs qui se sont penchés sur Bartleby et sa formule énigmatique… nombreux les questionnements et les lectures possibles ; mais le mystère qui entoure le personnage n’est pas pour autant dissipé.

Melville livre une matière propice à la réalisation d’un spectacle comique : des figures très dessinées, l’inversion du rapport maître-valet, le patron chassé de ses murs par son étrange employé ; mais peu à peu la machine grippe, le comique se fait grinçant… et le vertige nous prend. Qui est Bartleby (Bartle : barreau, by : par) ? Que veut-il ? Que signifie son silence rompu par cette seule phrase : "Je préférerais ne pas" ? S’agit-il d’un message politique ? De la proposition secrète d’une autre vie et d’une nouvelle fraternité ?

Alors Bartleby, individu dépressif ou figure christique, corps étranger au monde ou corps rebelle, impassible stoïcien ou fervent opposant, figure de la passion ou de la passivité ?

Des images m’apparaissent que je veux peindre sur un plateau de théâtre. La nouvelle de Melville résonne aujourd’hui comme un appel lancé à un monde ivre de vitesse, où la loi du marché domine et asphyxie les rapports humains. L’auteur situe significativement sa nouvelle à Wall Street, cœur battant des milieux d’affaires et de la finance.

La formule I would prefer not to ne laisserait-elle pas entrevoir une ouverture sur  un espace infini, vertigineux, sur une autre loi que l’homme sous les traits de l’avoué ne peut que s’empresser de refuser ? Et l’étrange relation qui se noue entre les deux hommes, celui qui raconte, se raconte, et l’autre qu’il place tout près de lui, hors de son regard, ne préfigure-t-elle pas le dispositif que la psychanalyse a mis en place ?

Bartleby ou le symptôme, anorexique face à un monde d’obésité : "Bartleby n’est pas le malade mais le médecin d’une Amérique malade" (G. Deleuze).

David Géry

  • Ecrits autour de Bartleby

Le rôle du théâtre : l’impresario distribue les premiers et les seconds rôles, plante le décor des quatre murs de l’étude, et octroie à chacun un rôle qui sera lu à haute voix dans la pièce.

Le comique de situation est évident : typologie accusée de personnages à la forte présence physique ; jeu scénique à partir des entrées et sorties du premier rôle caché derrière un paravent ; goût de la réplique... Le ressort comique essentiel est l’inversion connue du couple maître-valet : le propriétaire des murs est expulsé de ses murs, le copiste dicte la conduite au patron, l’avocat n’est plus le maître...

Les acteurs ici sont des rôles, ils sont étroitement codés par une fonction déterminée : l’employé insolent et le maître pusillanime. Or Bartleby refuse théâtralement de lire son rôle puis de tenir tout rôle dans cette mise en scène, étroite. En tombant dans le mutisme et l’anorexie, il figure dans un réel illusoirement en représentation, l’homme sans réplique et sans rôle.

Dans la théâtrologie, la formule sans réplique de Bartleby se nomme l’idiolecte du personnage : un langage singulier qui marque l’étrangeté et la distance. L’idiolecte de Bartleby ne signifie pas l’infériorité linguistique comique du personnage, mais suggère la présence d’un objet parlant original et doucement terrifiant. (...)

La statue céphalophore du copiste apparaît sur scène comme la mort en personne : un mur aveugle (dead wall) qui ne cesse de fixer, un mur de brique aveugle, puis la muraille nue (dead wall) des Tombes. Ainsi le rôle de théâtre écrit après la mort du copiste est-il une prosopopée : un texte qui fait parler la mort et nous confronte à ce que les Grecs appelaient le prosopon ce qui est offert à la vue, à la fois le visage et le masque. (...)

Qui est là ? Personne. Qu’est-ce qui arrive ? Rien. Le copiste, toujours là debout préfère ne pas bouger du tout, dressé puis couché là-bas. En somme un revenant, ce qui ne veut rien dire et ne peut-être comparé à rien : un cadavre.

Le texte nécrologique, en se théâtralisant, nous livre une spectaculaire autopsie : pour trouver la cause, pour trouver la forme sous l’informe, l’avocat devient un médecin légiste qui analyse, tranche, ouvre. La dissection de la chose est un déboîtement infini qui permet de ne rien déduire. Entreprise caduque (cadere, tomber), l’informe pour y trouver un sens, une forme.

L’autopsie consiste à vouloir faire parler le mort depuis la mort : I would prefer not to... Jadis on a essayé de regarder les choses en face, on disait nécropsie (la vue d’un cadavre) pour autopsie (voir de ses propres yeux...). Cette syncope du mort -nekros- remplacé par soi-même -autos- produit un (doux) euphémisme : autopsie, voir de ses propres yeux : quoi ?... le dead wall, l’employé au « Dead letter Office », le cadavre ambulant. Le récit de l’autopsie renferme un obituaire, le registre des morts.

Bernard Terramorsi,
Bartleby or the Wall

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"(...) la formule bourgeonne et prolifère. À chaque occurrence, c’est la stupeur autour de Bartleby, comme si l’on entendait l’Indiscible ou l’Imparable. Et c’est le silence de Bartleby, comme s’il avait tout dit et épuisé du coup le langage. (...)

(...) La formule est ravageuse, parce qu’elle élimine impitoyablement le préférable plutôt que n’importe quel non-préféré. Elle abolit le terme sur lequel elle porte, et qu’elle récuse, mais aussi l’autre terme qu’elle semble préserver, et qui devient impossible. En fait, elle les rend indistincts : elle creuse une zone d’indiscernabilité, d’indétermination qui ne cesse de croître entre des activités non-préférées et une activité préférable. Toute particularité, toute référence est abolie. (...)

(...) Ce qui compte pour un grand romancier, Melville, Dostoïevski, Kafka ou Musil, c’est que les choses restent énigmatiques et pourtant non-arbitraires : bref une nouvelle logique, mais qui ne nous reconduise pas à la raison, et saisisse l’intimité de la vie et de la mort. Le romancier a l’œil du prophète, non le regard du psychologue. (...)"

Gilles Deleuze

(...) Dieu ne se révèle pas sous ses propres traits mais par personne interposée. Se pourrait-il que contre toute attente il préfère s’annoncer sous l’aspect insolite d’un obscur employé parfaitement excentrique ? Quel sens donner à la venue (the advent) de Bartleby ?

(...) Le bruit court que Bartleby aurait été autrefois employé à la division des lettres au rebut (Dead letter Office). Bartleby est lui-même une lettre en souffrance vouée à rester morte. (...)

Michel Imbert,
Bartleby : Vœux pieux

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(...) L’infini loge dans la formule, célèbre, de Bartleby, "I would prefer not to", je préférerais ne pas, cellule de narration et de fiction par sa reprise et l’identification spécifique qu’elle produit entre qui la prononce et elle. L’infini est ici linguistique. Lié à ce que fait la formule plus qu’à ce qu’elle dit.

Car ce n’est pas une assertion négative simple. Elle se tient dans une tension entre l’énonciation et l’énoncé. L’assertion négative est comme enchâssée dans une énonciation non strictement négative. C’est je préférerais qui modalise l’énoncé, introduit une éventualité. Pas un éventuel de probabilité, mais un éventuel de suspension, d’atténuation du négatif. De permission implicite. Du coup la poursuite du dialogue est brouillée. Cette formule n’admet pas de réplique. Comme un formulaire anti-conclusif. Une tension irrésolue. (...)

Cette formule fait faire ce que son sens dit, irréversiblement et clairement, mais sans éclairer ce que son propre dire fait et qui est autre chose que du sens.

Jean-Patrice Courtois,
Bartleby ou la Syntaxe de l’impossible

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"C'est un grand plaisir de découvrir ou redécouvrir un texte aussi magistral. Pari difficile que de monter un chef-d'œuvre de la littérature du XIXe siècle. David Géry relève brillamment le défi." France Inter

"L'adaptation a du nerf, elle est tendue, concise, la mise en scène fluide, la distribution puissante. Claude Lévêque et Yann Collette: ces deux grands acteurs portent avec une intelligence aiguë la complexité des deux hommes. Une très belle transposition." Le Figaro

"Belle version de David Géry. Face-à-face de deux interprètes remarquables. C'est très beau." Le Quotidien du Médecin

"Une adaptation et une démonstration magistrales. Exceptionnelle qualité du travail de David Géry. Yann Collette est un Bartleby impressionnant et les autres personnages sont admirablement campés." Le Parisien

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Sélection d’avis du public

Bartleby Le 24 mars 2004 à 13h05

du theatre comme on aimerait en voir plus souvent.

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Bartleby Le 24 mars 2004 à 13h05

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Plan d’accès

Théâtre des Sources
8, avenue Dolivet 92260 Fontenay-aux-Roses
Spectacle terminé depuis le mardi 8 novembre 2005

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