Cet homme, je te le laisse, ivre d'herbe et de ténèbres.
Existe-t-il un théâtre militant qui soit encore du théâtre ? Dans ce long poème dramatique, Pasolini tisse une série de paradoxes entre son parcours de jeune poète militant censuré, issu de la petite bourgeoisie, et le destin de Jan Palach, étudiant tchèque qui s’immola par le feu le 16 janvier 1969, quelques mois après l’intervention soviétique à Prague. Le poète donne un sens à cette action scandaleuse en la transformant en un véritable acte poétique, car vouloir être poète, c’est avant tout sauter en bas du char, loin de la pertinence du style. Et nous voici au coeur du sacrifice !
Si la conscience de la langue
Tient lieu de sa nécessité
Y créant de nouvelles formes :
La laisser s’illusionner
Et attendre que s’exprime ce qu’elle veut.
Bête de style est certainement la pièce qui parle au mieux la langue de Pasolini et de Pasolini lui-même. Le poète est le seul capable, libre, d’escalader les murs de la cité au pied desquels se tiennent les citoyens : Qu’est-ce que tu vois ? Dis-nous qu’y a-t-il de l’autre côté que nous ne verrons jamais ?
Percevant l’immensité désertique devant lui, le poète prend la parole. Le jour où les citoyens n’iront plus l’interroger, ils penseront que le monde s’arrête aux murs de la cité. Au-delà des considérations esthétiques et de l’action révolutionnaire, Pasolini a rêvé du Théâtre comme d’un lieu qui serait entièrement consacré à la Parole. On ne lui en a pas laissé le temps. Que quelqu’un se lève pour nous parler !
Ce qui se passe ici
dans cette âme, au centre de Prague
est l’indice de ce qui se passe dans le monde.
De sorte que je peux être impitoyable, fut-ce avec douceur
comme l’est toujours celui qui agit au nom de la réalité.
Pasolini
Traduction d'Alberte Spinette, éditions Actes Sud-Papiers.
69, avenue Danielle Casanova 94200 Ivry-sur-Seine