Prostituées à la Belle Epoque
La genèse du spectacle
Un hommage à la Femme
Note d’intention de mise en scène
Les personnages
Extraits
1900. Dans le salon d’une maison close, Violette, 32 ans, prostituée, fait connaissance avec monsieur Henri, un peintre pour qui elle va poser. Violette partage sa chambre avec Claudine, 22 ans. Jour après jour, en présence ou non de monsieur Henri, les deux femmes dévoilent leur histoire respective.
Secrètement, Violette espère s’en sortir grâce à Corbière, « son paisan ». En attendant d’avoir sa boutique de modiste, elle confectionne des chapeaux. Claudine, quant à elle, fonde ses espoirs sur Louis, un jeune constructeur d’automobiles, dont elle se voit bientôt l’épouse. Mais Louis lui offre un manuel du savoir-vivre.
Violette découvre alors que Claudine ne sait pas lire et lui en lit des passages qui mettent son amie au désespoir. Violette tente de lui ouvrir les yeux. Agacée, Claudine révèle qu’elle s’appelle Blanche, ce qui bouleverse son amie.
Un jour, Claudine, ivre et le visage tuméfié, confie à Violette et à monsieur Henri comment Louis l’a frappée quand il a su qu’elle était enceinte. Pour récupérer son amant, Claudine se fait avorter...
En novembre 2004, ma fille, qui avait un devoir d’histoire à faire sur une œuvre picturale de la Belle Epoque, m’entraîne, pour mon plus grand plaisir, dans ce monde et cette période que je connaissais mal. Elle décide de travailler à partir de la toile intitulée Le Salon de Henri de Toulouse-Lautrec. Je tombe sur le livre de Michel Winock La Belle Epoque qui m’oriente vers les recherches de Laure Adler. Très rapidement, j’ai envie d’écrire une pièce qui essaierait de mettre des mots sur les pensées des modèles de ce peintre.
Les journaux de l’époque, les livres et nouvelles fourmillent d’anecdotes croustillantes. Pourtant, j’ai été déçue de ne pas trouver de témoignages de ces femmes. Rapidement, se sont dessinés mes personnages, Claudine et Violette, et mon histoire. Avec un siècle de décalage mais dans leur contexte historique, j’ai voulu et osé imaginer des mots dans leur bouche. J’ai animé les modèles des peintures de Henri de Toulouse-Lautrec comme ils ont animé mon écriture.
En tant que femme, je me pose des questions sur le passé, le présent et l’avenir, me demandant souvent ce que je laisse à ma fille qui a aujourd’hui 16 ans.
En 1900, les femmes se prostituaient parce qu’elles n’avaient pas le choix. C’était le seul moyen de s’en sortir lorsqu’elles vivaient seules, sans « chef de famille ».
J’ai voulu rendre hommage à la Femme… à ces femmes en essayant d’éveiller la conscience collective à travers un drame qui se déroule en 1900 mais qui n’est pourtant pas de l’histoire ancienne. Actuellement, on continue de prostituer les femmes.
Ma pièce traite de liberté. Liberté de penser et de dire. Liberté d’exister. Le droit à l’existence, digne et simple. J’ai voulu défendre cette idée à tout prix. Refuser la loi du plus fort. Refuser la soumission et le modèle masculin. Je me demande ce qu’est intrinsèquement la Femme, quelle image elle a d’elle-même et quel regard la société pose sur elle.
Les intellectuels de l’époque et les médecins les ont analysées, auscultées, observées comme des bêtes sauvages, et ont déduit de nombreuses théories sur elles, sur leurs pensées (pensaient-elles seulement ?), sur leur sexualité (mais en avaient-elles une ?) et ont décidé et parlé pour elles. Les femmes qui subissent cette vie-là, dont les états d’âme sont d’un moment à un autre en pleine contradiction, ne sont-elles pas le reflet parfait d’une société divisée et en pleine mutation ?
En effet :
- La France est divisée par l’affaire Dreyfus ;
- Elle est en plein essor industriel ;
- C’est une France où le catholicisme n’est plus la seule et unique religion et où l’état est sur le point de se séparer de l’église ;
- Une France où les femmes commencent fortement à revendiquer leur droit à l’existence, à un autre regard, à une autre place ;
- Où le mariage d’amour commence à apparaître, où le mariage, tradition bourgeoise, se vulgarise chez l’ouvrier ;
- Mais aussi une France qui rayonne par ses ambitions de domination politique et culturelle, qui organise, dans sa capitale, une exposition universelle qui laissera des témoignages indélébiles de grandeur comme les Petit et Grand Palais, le métro, le cinéma, l’automobile… ;
- C’est une France qui ose et qui n’a peur de rien. On se souvient de Félix Faure qui meurt en épectase dans les bras de sa maîtresse ;
- Une France généreuse qui prétend « tendre une main amie » aux pays colonisables et aux personnes les plus défavorisées, et qui commence à reconnaître une sexualité féminine…
Pourtant, la prostitution est le mal de l’époque. On surveille, on cloisonne, on légifère mais on n’éradique pas. On reconnaît l’utilité de la prostitution mais elle dérange alors on enferme ces femmes, on les répertorie, on les inscrit, on les observe et on en abuse, au point où elles n’ont même plus le droit d’exister pour elles-mêmes.
J’ai voulu un œil extérieur, un peintre omniprésent mais invisible, pour permettre aux spectateurs d’être les témoins directs du vécu de Claudine et de Violette. Il m’a semblé qu’un milieu clos était l’endroit idéal pour parler de liberté. Il m’a semblé que les préoccupations de deux femmes soumises étaient sans doute idéales pour traiter de la condition féminine. Elles crachent leur détresse, ces femmes dont tant d’hommes ont parlé, que tant d’hommes ont peintes. Elles prennent la parole. Enfin, il m’a semblé évident d’écrire un drame. Ah, la Belle Epoque !
Sous un aspect généreux, je trouve cette période cruelle. Le monde de la prostitution l’est aussi. Ca m’a donc permis d’utiliser un langage direct, incisif, cru, pour m’exprimer comme je le souhaitais. Comme j’aime parler. Librement.
Mon écriture s’appuie sur une réalité sociale de l’époque.
En tant qu’auteur, j’ai imposé une vision : celle de la dimension des toiles de Henri de Toulouse-Lautrec. Stanislas, en tant que directeur d’actrices, a orchestré tous les talents : texte, jeu, lumières, costumes et décors. Nous avons misé sur la simplicité du jeu pour mettre en valeur la force des mots.
Ma note d’intention d’écriture et mon texte précisent bien que n’importe quelle femme pouvait se prostituer pour subvenir à ses besoins. C’est pourquoi j’ai souhaité ne pas changer la voix des comédiennes. Ainsi Claudine et Violette parleront-elles comme Françoise et Christina.
Des modèles ont inspiré Henri de Toulouse-Lautrec pour ses peintures hautes en couleurs et en lumières et bien vivantes. Moments instantanés de la vie. Mais ces Femmes ne nous laissent qu’une trace muette de leurs séjours dans les maisons closes. Pour la première fois, en avant de la scène, les femmes des peintures vont prendre la parole, livrer leurs secrets, parler de leurs espoirs et de leurs désillusions.
Claudine a 22 ans.
Elle est la joie de vivre : son Louis, un constructeur d’automobiles, lui permet d’oublier son dur passé et le traitement infligé par ses anciens maîtres. Elle sait qu’elle va s’en sortir : Louis le lui a promis. C’est pour bientôt et elle voit du ciel bleu partout.
« Je suis la pute la plus heureuse de tout Paris. »
Violette a 32 ans.
Elle a été blanchisseuse puis putain. Elle est secrète parce qu’elle ne veut plus être déçue. Son amant, le paysan Corbière, lui promet monts et merveilles depuis dix ans. C’est long mais pourtant, elle y croit. En attendant, elle confectionne des chapeaux : elle sera modiste et, dans sa boutique, celle que Corbière a promis de lui ouvrir, elle les vendra.
« Pis, j’aime pas comment ils m’inspectent la bouche. Je me croirais un cheval. »
Ecoutez donc les confidences de Violette et Claudine :
« Ceux qui aimaient les vierges ? Pas forcément vicieux. Ca jouit parce que ça déflore. Ca paie cher pour ça. »
« T’es trop maigre, Violette ! »
« Même les institutrices font le trottoir ! Si t’es pas maquée ou mariée, t’as pas de quoi bouffer ! »
« J’aime bien traîner au lit avec toi ! Il paraît qu’on a de la chance ici parce qu’on couche à deux dans une chambre. Ailleurs, elle dit Maman, qu’elles sont quinze ou vingt dans le poulailler et deux par lit. »
« Pour qui ils se prennent ? Et surtout pour qui ils nous prennent ? Une sous race colonisable ? Et il faudrait leur dire merci pour toute la pitié qu’ils ont pour nous ?! Leur faire une petite pipe ! »
« Pas la peine de savoir lire pour faire notre métier… »
« Dors, Blanche. Dors. Prends ton mal en patience. Je t’oublierai pas. »
« Je pars maintenant. Je pars. Mon gros Corbière, comme tu dis, vient me chercher. Il m’attend, là. »
15, rue du Maine 75014 Paris