Brûlés par la glace

Paris 14e
du 1 février au 18 mars 2000

Brûlés par la glace

CLASSIQUE Terminé

Une famille confrontée au passage du millénaire, avec, au coeur de tout, une relation mère-fille particulièrement tendue, des secrets non révélés, et une histoire de jumeaux (l’un a une barbe, l’autre pas) qui sont amoureux de la même femme.

Une famille confrontée au passage du millénaire, avec, au coeur de tout, une relation mère-fille particulièrement tendue, des secrets non révélés, et une histoire de jumeaux (l’un a une barbe, l’autre pas) qui sont amoureux de la même femme.

N’ayant pas encore rencontré Peter Asmussen, je ne peux que l’imaginer. Peut-être offre-t-il l’image d’un homme parfaitement équilibré, peut-être même celle d’un bon vivant. Mais je ne peux m’empêcher de pressentir en lui un continuel tumulte qu’il doit s’efforcer de maîtriser, de contrôler. L’imprévisible doit tellement le hanter, qu’il "organise" ses angoisses, d’où la construction géométrique, symétrique de la pièce, où le chiffre 3, chiffre religieux, revient de façon obsédante et magique "3 femmes, 3 hommes, 3 tableaux agencés en un triptyque". Comme en musique, les dissonances se résolvent en harmonies ordonnées. Le dialogue qui au début surnage, flotte, hésite, est remanié, répété, développé, de façon musicale. La musique des mots ritualise l’indicible des êtres. L’auteur semble se méfier de son propre chaos, il ne participe pas au drame qu’il raconte. Simplement, il le traduit, le matérialise. Il ne laisse aucune place à ses pulsions : elles ne sont que la clef invisible qui lui permet de laisser entrevoir le secret de ses personnages, avec un 3ème oeil de visionnaire, le temps d’ouvrir et de fermer une porte.

Pour Asmussen, écrire n’est pas une thérapie privée, mais une opération chirurgicale qui consiste à glisser dans les veines de notre inconscient l’aspiration d’une beauté supérieure, sans cesse bafouée, une excitation de l’âme, qui nous fait percevoir les choses de la vie comme le vague reflet d’une correspondance du ciel et qui nous fait prendre conscience de notre nature d’exilés, comme le pressentait Baudelaire.

Dans Brûlé par la glace , le conflit n’est pas dans le combat pour le pouvoir ou l’intérêt, ou dans l’emprise de l’un sur l’autre, la lutte a lieu entre les âmes et les cerveaux. Tout le reste n’est que contingences, comme la poule, combustible répugnant et fascinant à la fois, mais de toute façon indispensable pour "alimenter la machine". La menace et le chantage ne sont pas pris au sérieux. Mais le ton affectif de la pièce n’est pas la dérision - pour une fois, on y échappe, ce qui est rare dans le théâtre contemporain -, ce qui résonne ici, c’est la cruauté et la déréliction.

Ici, on souffre par séparation. L’espace est d’ailleurs carcéral : chacun est relégué dans un espace clos qui ressemble à une cellule ou à une niche. Les vêtements aussi sont des carcan, des geôles qui emprisonnent les corps pour mieux séparer. L’univers d’Asmussen n’est pas édifiant. Il n’y a pas, bien sûr, d’un côté les bons et de l’autre les méchants. Il y aurait plutôt une certaine race de coupables et une certaine race d’innocents. Les coupables ont assumé le malheur d’être né, ils ont aimé, consommé leur amour et donc enfanté des innocents.

Les innocents veulent aimer eux aussi, mais les coupables leur refusent l’amour. Ils dépendent d’eux : d’eux, ils ne reçoivent que des devoirs ou des ordres. Ils n’ont aucun droit. On leur dit : "tu ne dois pas aimer". On voudrait faire d’eux des caractères sans volonté.

Les innocents d’Asmussen préfèrent mourir. Ils ne supportent pas d’avoir "Froid à l’âme" comme leurs aînés, qui ont tellement de mal à s’accepter eux-mêmes quand il émergent de leur sommeil. Cet espace glacé, Asmussen "en connait un bout", s’il n’en connait pas le bout. On sent qu’il l’a parcouru, ressenti, interrogé, comme anesthésié par le froid, mais toujours avec un besoin fou d’amour.

C’est l’espace de l’amour renié, bafoué, dénié, l’espace de l’amour assassiné, mais qui même anéanti ne sera jamais chez Asmussen, tourné en dérision.

Laurent Terzieff
Acteur, metteur en scène

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Théâtre 14
20, avenue Marc Sangnier 75014 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 18 mars 2000

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