Charline et Arthur, deux jeunes et brillants informaticiens, sont les lauréats d’un concours international de logiciels. Au moment où ils présentent leur création au public, il y a un bug et les voici métamorphosés en chimpanzés ! Pour redevenir des êtres humains, il ne leur reste qu’à partir à la chasse au bug, oui, débusquer la sale bête et l’anéantir. Les voici plongés dans le tourbillon d’un monde à l’envers.
Passant de la réalité au virtuel, sillonnant l’espace et le temps, propulsés comme à bord d’un train fantôme de l’Europe à l’Afrique et au pôle Nord, dérapant du Château de Versailles à Auschwitz et au Rwanda, croisant quantité de célébrités vivantes ou disparues, ils espèrent toujours attraper leur fichu bug. Aïe ! Mettre la main sur le responsable du malaise dans la civilisation est à l’évidence un challenge au-dessus de leurs forces.
Car le bug n’est pas seulement dans le logiciel. Le bug est dans le monde, comme défaut mais aussi comme principe créateur.
Et si le moment était venu de faire le point ? Le point sur notre culture. Le point sur ce qu’on appelle la civilisation. Où en sommes-nous ? Que s’est-il passé depuis la Renaissance et l’apogée de notre âge classique, depuis le cogito cartésien et l’avènement de la science moderne ? Et que sommes-nous aujourd’hui après ce qu’on a appelé la mort de Dieu, la colonisation, deux Guerres mondiales, la Shoah, la fin des empires et des idéologies universalistes ? Sommes-nous indemnes du projet génocidaire ? De la razzia néo-libérale, de la société du spectacle et de la consommation ? Savoir après tout, si nous ne sommes pas, en fait, des mutants ? Rien que ça.
Et si cependant, c’était une comédie ? Une comédie délirante ! Un Bug ! On parle couramment et à juste titre de révolution informatique. Le web et les pratiques qu’il génère ouvrent sur le monde dans toutes ses dimensions et sans aucune limite. On disait cela aussi du théâtre à l’époque de Shakespeare. Et si pour une fois la scène devenait, dans une fiction, l’écran d’un ordinateur… un ordinateur extrêmement perfectionné au point d’intégrer un logiciel dont les virtualités permettent de mettre en relief, de sentir, voire de toucher les images planes auxquelles tous les geeks ont affaire devant leur écran ?
Voici pour la création dramatique un chemin d’aventure qui s’apparente évidemment au traitement scénique des rêves, sauf que ce qui advient ici, au lieu d’émaner de l’esprit du rêveur, est provoqué par le dispositif informatique lui-même. Retenons cependant que celui-ci n’a qu’un défaut : il est certes capable dans son principe de tout prévoir comme de tout programmer mais il peut toujours connaître un bug. L’idée est la suivante : au degré de performance et d’exigence où nous sommes, le seul programme qui vaille absolument pour le genre humain ne peut être qu’un bonheur sans nuage, et sans doute, à terme, l’immortalité.
N’est-ce pas là avec la science moderne et les nouvelles technologies, un but auquel on peut prétendre ? Ainsi les êtres humains se couperaient à jamais de leur condition originelle : mortelle et sexuée. Ils en abandonneraient jusqu’au souvenir même. Délivrés et surprotégés, ils ne courraient qu’un seul risque, celui de perdre toute mémoire de la tragédie qui fonde leur destin. Si dans cette perspective survient un bug, il provoque à coup sûr le retour panique de la dimension que le projet tend à refouler. De façon plus globale il y a, c’est évident, un projet humain. Il est caractérisé par un espoir et surtout une recherche aussi acharnée que systématique de la perfection. Les machines ont permis de confirmer cette attente et cette volonté. C’est en cela que le projet humain est assimilable à un programme informatique.
Comme tel, il peut être touché par différentes sortes de bugs ou dysfonctionnements plus ou moins bénins, plus ou moins graves. Parmi les dysfonctionnements bénins, on pourrait citer, du côté de la parole et du langage, les lapsus, erreurs, fautes de frappe… du côté physique, les faux mouvements, les chutes… du côté moral et social, des péchés véniels, mensonges, tricheries, méchancetés, disputes, scènes de ménage… Plus grave, il faut citer les meurtres, assassinats, viols et bien sûr l’exploitation et l’assujettissement de groupes humains par des individus ou d’autres groupes. Mais s’il faut aller au pire, soit un dysfonctionnement qui dépasse tout, on tombe évidemment sur l’extermination systématique de populations entières décidée sur des critères de race ou de religion, ce qu’on appelle le(s) génocide(s). Comment le genre humain a-t-il pu verser ainsi dans l’horreur ? Curieusement, le projet nazi relevait de cette propension incoercible à vouloir la perfection.
Il fallait effacer tout un pan de la mémoire des hommes. Ce n’est pas par hasard si le fléau s’est abattu sur le peuple juif, la dimension de mémoire étant justement au principe du judaïsme. Le Livre ne dit-il pas : « Zakhor » c’est-à-dire « Souviens-toi » ? Parole de sagesse, l’oubli du passé ayant en effet pour conséquence probable de fonder un avenir dépourvu de sens. Mettons que nos sociétés modernes si proches de la perfection, si l’on en croit nos hommes politiques et la publicité, soient insidieusement menacées par un projet à la fois cool, soft & clean destiné à nous débarrasser de ce qui décidément nous pèse. Si le prix à payer est de l’ordre d’une amnésie généralisée, ne faut-il pas espérer qu’advienne un bug du logiciel ?
Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien
Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.