« …une métaphore humoristique de nos existences bancales, donc humaines. (…) Un spectacle drôlement intelligent. Et intelligemment drôle. » Le Parisien
Face au désordre du monde
La compagnie 4 Litres 12
De l’humour et d’autres
Ils sont maladroits, ils ont peur, ils s’agitent, ils croient ranger le monde sur une scène. Mais quand on voudrait tout ordonner, tout ranger et dominer, toujours quelque chose échappe et retourne au désordre. Et on a beau agir, s’agiter, croire faire avancer les choses, on est un jour débordé. On devient spectateur du désordre du monde.
Comment dire notre désarroi face au désordre du monde ? Comment dire à quel point ce désordre du monde sème aussi le désordre en soi ? Comment dire les ravages de l’inconscience, de l’arrogance, de la désorganisation où qu’on pose les yeux ? Comment dire que ne rien faire c’est être spectateur du désastre, et que tenter de faire semble inutile ? Comment dire notre sentiment d’impuissance ? Comment dire notre pauvreté d’êtres humains habités par la faim, le désir de pouvoir, de paraître, le refus de voir, les faux savoirs ? Comment dire qu’avec ce pauvre bagage malgré tout on essaie de comprendre et de construire ? Comment poser des questions, comment dire la peur ? Comment rire de notre perdition ? Et comment dire cela à travers l’histoire d’un groupe, comment y mêler enfin notre propre questionnement sur le théâtre ?
Nous avons travaillé dur autour du texte d’Odile Massé, nous avons travaillé avec ces sentiments confus et contradictoires qui nous agitent. Nous avons trituré, déchiré, mâché, découpé le texte, nous l’avons considéré comme une partition rythmique pour n’en garder que ce qui, aujourd’hui, nous était nécessaire : la simplicité extrême des phrases, pour dire la simplicité des besoins primaires- et la perdition, la maladresse, la vanité stupide et sa vacuité. Nous y avons ajouté, prolongement de notre spectacle précédent, un personnage de metteur en scène.
Et tous ensembles, acteurs, metteur en scène, régisseur, nous avons avancé comme dans le spectacle ces personnages très approximatifs tentent d’avancer, d’ordonner le désordre, comme ils tournent en rond, sans comprendre, dans un monde fait d’obstacles et de trous vides, avec la peur au ventre, vers un but qu’ils ne connaissent pas.
Fruit des amours incestueux de Kantor et des Marx Brothers, 4 Litres 12 est porté sur les planches baptismales en 1972, à Nancy, par Michel Massé. La troupe fréquente d’abord les auteurs polonais (Witkiewcz, Grombrowicz) avant de se tourner résolument vers un théâtre où la parole naît physiquement des improvisations. En passant par 4 Litres 12 in concerto (1978) entièrement en grommelots, jusqu’aux Soeurs de Sardanapale en 1994 avec la Compagnie Mossoux/Bonté, 4 Litres 12 en 10 spectacles tonitruants fourrage à l’arme blanche dans le marécage de nos fantasmes et de nos interdits.
Théâtre charnel, iconoclaste, où rire agit comme un électrochoc sur le public, les opus de 4 Litres 12 se présentent comme autant de variations obsédantes sur les vertiges du langage, du corps, du vestiaire social, du pouvoir, de la violence… En marge des institutions théâtrales (mais la marge n’est-elle pas le lieu de toutes les rectifications ?), Michel Massé le « déméningeur » (Enzo Corman) construit sans concession des rituels féroces et jubilatoires sur lesquels planent les ombres d’Artaud et de Dada.
Les membres du groupe se sont rencontrés au bord d’une falaise donnant sur la mer, une corde autour du cou, du cyanure entre les dents, un revolver sur chaque tempe, traînant derrière eux leur bouteille de gaz branchées sur l’oesophage. Depuis, nous avons un minimum d’humour.
Nous tournons en dérision nos corps, nos voix et notre univers fantasmatique ; nous nous parodions nous-même et, affrontant ce qui nous touche le plus, nous y découvrons un univers burlesque et absurde. Obsédés par les stéréotypes bêtifiants de notre société, nous les jouons en les parodiant à l’extrême, jusqu’à tenter de les détruire.
Provocation non-violente par la dérision : aucune plate-forme n’est préparée à répondre à une attaque humoristique de masse. Devant la folie, rire est souvent la seule manière de ne pas être victime du vertige. Witkiewicz, Chaval et d’autres ont eu de l’humour jusqu’au jour de leur suicide. L’humour est un garde-fou plus ou moins solide selon les jours. En tous cas, assez fragile.
Le Grand Prix de l’Humour Noir du spectacle a été attribué à Michel Massé en 1993, pour l’ensemble de ses créations.
Av. du Docteur Mazen 83500 La Seyne-sur-mer