Le 31 décembre, le billet comprend le spectacle, deux coupes de champagne, un concert live de Jessie Evans, deux DJs, quelques amuses gueules et la fête jusqu'au petit matin.
Samplant le burlesque et les théories queer, une brochette d’Américaines pulpeuses se livrent sur un plateau.
Les spectateurs du nouveau film de Mathieu Amalric savent déjà ce qu’est le New Burlesque. Ils ont vu ces néo-créatures évoluer au cinéma. Il leur reste à les voir en « vrai » ce qui n’est évidemment pas la même chose.
Une série d’Américaines pulpeuses livrées sur un plateau mais un plateau qu’elles se sont choisies toutes seules et qu’elles ont décoré elles-mêmes à partir de vieilles photos de jadis. Comme l’indique le « new », ce mouvement est une revisitation du « vieux » burlesque : un spectacle au féminin fondé sur le strip-tease mais qui désamorce en partie la dimension érotique de la nudité en la transformant en une forme de comédie ou de spectacle décalé et drolatique. Plus de « tease » que de « strip » en quelque sorte. Dans les années 90 (du XXème siècle) quelques femmes américaines ont réinventé, à partir d’un savant mélange de burlesque et de théories queer, une présence excentrique, érotico-outrageous, comique et forcément too much.
Elles s’appellent Dirty Martini, Kitten on the keys (chaton sur le piano,) Sainte Jasmine ou Mimi Le Meaux. Des noms qui sont tout un programme (théâtral.) Ce que ces femmes font avec leur blondeur platine à mort ou leur rousseur super rousse, c’est d’inventer un spectacle grâce aux images de la beauté convenue, de la mode, des techniques du maquillage, du mouvement séducteur, du vêtement aguicheur. Ce qu’elles font c’est donc interroger les modes de production de l’identité féminine. Et évidemment elles la parodient en même temps, la détournent pour parvenir à donner à voir le « gender trouble » (le trouble dans le genre) auquel la philosophe Judith Butler a consacré un livre important et qui promeut l’idée qu’on ne fait jamais que jouer (en permanence et souvent en l’oubliant) à avoir le sexe qu’on a.
Dès son invention, c’est-à-dire aux alentours de 1860 et aux Etats-Unis, le burlesque est une forme d’art qui réinterprète le music-hall européen. C’est dire que, comme toute forme d’art, il a ses codes et ses règles.
La première règle, bien sûr, est que des femmes s’effeuillent sous les cris et les sifflets du public – mâle à l’origine et donc plus ou moins sexuellement émoustillé. La deuxième règle est celle des pasties : pastilles en tissu de couleur collées sur le bout des seins et qui couvraient exactement les mamelons. Ils évitaient aux femmes d’être arrêtés pour avoir contrevenu aux lois sur la nudité en public. Aujourd’hui encore, les pasties sont un élément du spectacle burlesque même si les performeuses, au vu d’unepermissivité nettement plus grande, pourraient sans doute s’en passer. Mais d’une certaine façon, les pasties viennent garantir la qualité Burlesque : comme un tampon posé sur le corps.
Il y a encore cette autre règle tacite que les numéros doivent en quelque sorte s’inscrire dans le folklore américain : les premières Burlesques jouaient des codes de l’Ouest, des revolvers de cow-boys et des flèches d’Apaches ; celles des années 50 se sont mises à mâcher outrancièrement du chewing-gum, à exhiber leur marque de bronzage et leur imposante poitrine, à détourner les premiers signes de la société généralisée de consommation : remplir par exemple un frigidaire de chacun de ses vêtements soigneusement empaqueté. Les New Burlesques d’aujourd’hui ont encoreaccentué ce recours aux accessoires, une grande part de leur talent tient à l’inventivité avec laquelle elles décorent et entourent la nudité croissante de leurs corps.
Le Burlesque, au reste, n’a pas seulement des règles, il comporte aussi des numéros imposés : par exemple le bump and grind, version américaine de la danse du ventre, ou bien le tassel twirling où les femmes se pendent des pompons aux pasties et les font tourner en cadence en faisant girer leurs seins. Jean-Pierre Bouyxou dans Encyclopédie du nu au cinéma rappelle que les tassel twirlers « considérées comme des spécialistes… occupent un rang plus élevé dans la hiérarchie des effeuilleuses qui les place, sur le plan des salaires, sensiblement au niveau des funambules et des trapézistes. » Cette histoire de hiérarchie monétaire est intéressante parce que, d’une certaine façon,elle ouvre la voie au New Burlesque.
Qu’est-ce que le New Burlesque en effet ? Un renouveau du Burlesque certes, mais un renouveau informé, sans innocence, qui a pleinement conscience de tous les enjeux d’argent, de genre, de pouvoir et même de « race » (pour utiliser un mot qui ne fait pas problème aux Etats-Unis) mis sur la table (et sur la scène) par les strip-teases performés. Bien sûr, comme le rappelle Mimi Le Meaux, l’une des performeuses filmées par Mathieu Amalric dans Tournée, et qui seproduira avec le Cabaret New Burlesque au Théâtre de la Cité, toutes les performeuses ne cherchent pas à être théoriques. Certaines veulent seulement «enjoy. » Mais quand telle performeuse, par exemple, se déshabille devant un public mâle – que vient faire dans l’affaire son lesbianisme affichée ? quel jeu joue-t-elle avec le voyeurisme du public ? comment le retourne-t-elle ? Ou quand Roky Roulette, un autre membre du Cabaret New Burlesque, et un homme, lui aussi acteur chez Amalric, reprendl es codes du striptease féminin, en quoi transgresse-t-il les hiérarchies de genre ? Peut-on imaginer un tassel twirl avec un certain appendice masculin ?
Le New Burlesque a étrangement déclenché beaucoup de passion théorique. Autant les numéros semblent sur scène légers et joyeux comme des bulles de champagne, excentriques, érotico-outrageous, comique et forcément « too much » ; autant les noms des performeuses prêtent à rire et à dérision – Dirty Martini, Kitten on the keys (chaton sur les touches), Evie Lovelle pour citer quelques autres membres du Cabaret New Burlesque – autant, d’un autre côté, ce que font ces femmes (et bien plus rarement hommes) est sérieux parce qu’en jouant avec la nudité, elles jouent avec ce qui est considéré, en Occident, comme un absolu marqueur de liberté. Jusqu’à quel point une femme peut se déshabiller en public est une question qui n’a pas fini de faire causer.
Certaines féministes considèrent que «burlesquer » c’est faire du corps des femmes une marchandise ; d’autres – queers ou postf-éministes– pensent que la liberté est justement de pouvoir être une marchandise et qu’il faut que les femmes se réapproprient fièrement ce qui est considéré comme vulgaire ou méprisable. D’autres encore se montrent politiquement très critiques envers le New Burlesque comme la féministe noire bell hooks (ellene veut pas de majuscule à son nom) parce qu’elle constate que ce mouvement issu de la classe moyenne blanche tend à nier les différences de classe et de race. Tout cela semble bien compliqué, mais c’est justement cela qui fait le grand charme du New Burlesque, sa capacité remarquable de se tenirau deux bouts de l’échelle : le plaisir pur du spectacle coquin ; le plaisir non moins pur de réfléchir diablement sérieusement.
Stéphane Bouquet
17, boulevard Jourdan 75014 Paris