1940, la France est occupée. L’histoire se passe dans un théâtre à Paris, le temps d’une représentation, avant le dernier métro. Carola est une actrice célèbre, adulée, aimée de trois hommes : un jeune résistant traqué par la gestapo, un général allemand et le directeur du théâtre qui s’accommode sans état d’âme de l’occupation.
Jean Renoir s’intéresse moins à la guerre qu’au comportement de ses personnages pris dans la tourmente et qui ne sont jamais là où on les attend. Le dialogue est précis, incisif et ne manque pas d’humour. Il nous semble entendre les voix d’Erich Von Stroheim et de Pierre Fresnay dans La Grande illusion, celle de Marcel Dalio dans La Règle du jeu. François Truffaut s’inspira de Carola (qui n’a jamais été jouée) pour écrire son film Le dernier métro.
« Carola est aimée de trois hommes, comme la Jacqueline du Chandelier de Musset qu’elle joue tous les soirs. Ici, pas de stéréotypes : le jeune résistant traqué par la Gestapo risque sa vie pour un autographe, le général allemand ne pense qu’à déserter pour Carola, le directeur collabo veut mourir en héros. Pour Renoir, ce qui est effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons et que chacun doit les exposer. » Jean-Claude Penchenat
Jean-claude Penchenat aime le théâtre et le cinéma et celui de Jean Renoir en particulier. C’est aussi un amoureux des histoires grandes ou petites… et des acteurs. La rencontre entre Carola et Jean-claude Penchenat était inévitable. On ne peut que s’en réjouir.
J’aime Jean Renoir. Le conteur Jean Renoir. On le retrouve partout dans son univers, ses mots, son regard sur les femmes et les hommes. Les femmes d’abord ! Les personnages qu’il invente ont des voix, des corps, une façon de se déplacer qui n’appartiennent qu’à lui. On sent des acteurs derrière eux, on les entend derrière ses mots. Des acteurs qu’on retrouve de films en films et c’est ce qui me séduit.
Ainsi Carola, une actrice. Une histoire simple dans une période compliquée : l’occupation que Renoir n’a pas vécu en France, il la reconstitue. Tout va tenir dans le huis clos d’une loge – alors que Le Chandelier de Musset se joue devant un parterre d’officiers allemands – et dans le temps d’une représentation avant le dernier métro.
Carola est aimée de trois hommes (comme la Jacqueline du Chandelier qu’elle joue), ce quatuor cher à Renoir : un jeune résistant traqué par la Gestapo, un Général Allemand et un Directeur de théâtre collaborateur. Donc trois personnages très différemment impliqués dans la France occupée.
Ici pas de stéréotypes : le résistant risque sa vie pour un autographe de l’actrice admirée, le Général ne pense qu’à déserter pour elle, le Directeur “collabo” veut mourir en héros pour se revaloriser à ses yeux. Pas de lieux communs car, pour Renoir, ce qui est effroyable c’est que tout le monde a ses raisons et que chacun doit les exposer.
"Je suis contre les barrières, contre les murs" (La Règle du jeu). Si cette histoire vous évoque Le Dernier Métro de François Truffaut c’est à juste titre : il s’en inspira pour son film.
C’est dans les années 50-60, de retour au pays natal après les années de guerre, que Jean Renoir ose le théâtre. Il y prolonge son expérience d’écrivain, de scénariste, de dialoguiste et décidemment d’inventeur d’histoires.
Jean-Claude Penchenat
Depuis quelques années, je me suis particulièrement attaché à rencontrer l’univers de Jean Renoir, cinéaste mais aussi écrivain passionné de théâtre. J’ai été notamment attentif à ses propos sur la direction d’acteurs et cela m’amené à organiser différents stages pour de jeunes comédiens souvent mal informés de la richesse de ses textes. Un des plus récents, à l’ARIA, a fait l’objet d’un film de Mathieu Amalric.
J’ai aussi, avec un groupe d’acteurs, fait entendre les diverses écritures de Jean Renoir (romancier, scénariste, dialoguiste, dramaturge) lors de l’inauguration de la Cinémathèque.
Mettre en scène l’oeuvre théâtrale d’un de nos plus grands cinéastes est une aventure exceptionnelle. La créer, un honneur périlleux. Je m’attacherai avant tout à mettre en relief la relation intime et profonde de Jean Renoir et de son héroïne Carola, « une femme qui essaie de s’isoler du monde extérieur, de prétendre que l’Occupation allemande ne la concerne pas, de se débarrasser de toutes les circonstances désagréables de la vie réelle, en vivant uniquement pour son art.
Elle n’y arrive pas, le monde réel s’impose à elle ». Comme Carola, nous ne pouvons ignorer le monde extérieur et c’est ce qui fait la constante actualité du thème choisi par Renoir : l’engagement de l’artiste dans son époque.
Car Carola c’est beaucoup Jean Renoir, avec ses peurs, son désir d’évasion, ses hésitations à adhérer à diverses idéologies. Je m’attacherai donc à entrecouper le récit « à suspens » de l’intrigue par des prises de parole de l’auteur. Exilé aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale, c’est par le témoignage de ses amis restés en France que Renoir reconstitue la vie d’un théâtre sous l’Occupation. Derrière les beaux rideaux rouges devant lesquels la troupe salue, se cache la réalité « vert-de-gris » que les acteurs vont retrouver.
Mettre en scène un cinéaste, c’est aussi suivre à la trace les mouvements, les cheminements des corps que son écriture induit. C’est également, comme Renoir l’aurait fait lui-même, écarter inexorablement tout ce qui dans le texte pourrait gêner le déroulement du drame. Mais est-ce un drame, une comédie, une tragi-comédie ? Le mélange des genres, le plaisir quasi-enfantin de brouiller les cartes, si chers à Renoir, nous séduisent.
Je tenterai de faire en sorte que les images nées du texte aient le jus et le goût qui caractérisent le style Renoir. J’aimerais, avec l’aide de Roberto Moscoso et Françoise Tournafond, échapper à ce qui pourrait « dater » le propos et travailler sur le lieu clos et les objets symboliques de la loge d’acteur, le lieu où l’on doit s’isoler, se préparer à paraître, et tout autour, le cheminement incessant de l’Histoire en marche.
Ses films nous le rappellent, Renoir est le spécialiste des ruptures. Ruptures de rythme, mais surtout ruptures de tons. Sans jamais oublier la distance, l’ironie - sinon on tombe vite dans le mauvais feuilleton sur la Résistance -, on passe – comme dans La Règle du jeu – du burlesque au tragique, du mélo (sincère) au comique. Campan doit jouer « bouffe » face à Clodius. Henri, le jeune résistant poursuivi par la Gestapo, joue… à cachetampon avec Carola et Mireille, alors que la loge où ils se trouvent est cernée. Et la scène entre le même Henri et l’officier allemand passe sans arrêt du cocasse au violent. Leur conflit se révèle… amoureux. Leurs rapports… mondains ! « Vous allez à Londres ? Seriez-vous assez bon pour transmettre mes respects à ma tante, Lady Neston ? » (Acte II). On oublie un instant que Londres est la ville de la Résistance : elle n’est plus qu’un des hauts lieux de l’aristocratie européenne. Et Clodius en 1940 est bien le double de Von Stroheim, officier allemand de 1914 parlant de… géranium avec son prisonnier français dans La Grande Illusion.
Renoir attaque tout par le détail révélateur et décrit une époque par le prisme des conflits individuels. « Indifférent aux descriptions et aux liens narratifs, Renoir s’enthousiasmait pour toutes les grandes situations conflictuelles » (Jean Serge
En compagnie de Jean Renoir). En effet, l’enfermement est la meilleure manière d’aviver un conflit. Carola retrouve les bonnes vieilles règles de la tragédie classique : un seul lieu, un seul jour. Le temps est plus étouffant encore : une demi-heure sépare chaque acte. La crise se noue et se dénoue pendant le temps « réel » du texte, plus celui du deuxième et troisième acte du Chandelier que joue Carola sur scène. La loge de Carola, lieu unique, fermée par cette porte – Renoir aime tant les portes et leur force symbolique – qui s’ouvre sur le couloir adjacent, n’ouvre, en fait, comme l’arène tragique que sur la mort, morale et effective.
Dans cette loge, tout est conflit : entre le vieilacteur et les plus jeunes ; entre les personnages veules et ceux qui sont nobles ; entre résistants et collaborateurs ; et bien sûr entre amants. Le seul conflit attendu est absent, celui entre Français et Allemands : les gestapos sont français et Clodius est « un des derniers gentilshommes de l’armée allemande ».
Jean-Claude Penchenat
Carola :
-"Je suis très ordonnée. J’ai seulement perdu quelques cheveux, une dent et beaucoup d’illusions."
Von Clodius :
-"Nous nous sommes quittés voilà 12 ans, un certain soir de juillet…"
Carola :
-"le sept juillet, un peu avant minuit au bord du lac de Genève."
…
Von Clodius :
-"Je vous aime Carola."
Carola : Bien.
-"Que puis-je répondre ?"
Von Clodius :
-"Cette déclaration vous est désagréable ?"
Carola :
-"Elle me paraît tout au moins superflue, hors de propos… Je ne sais que vous dire… que je ne vous aime pas ? Qu’est-ce que ça veut dire aimer, aujourd’hui ? Dans cette vie idiote que vous nous faites mener, qui aime-t-on, qui n’aime-t-on pas ? L’amour c’est pour le temps de paix, ça ne s’accommode pas de tickets de pain, du couvre feu, de l’interdiction de voyager. L’amour, du moins, à nos âges, ça demande des lettres que la censure n’ouvre pas, un appartement bien chauffé… Ça demande surtout d’être délivré de la peur."
Von Clodius :
-"La peur ?"
Carola :
-"Oui, la peur ! Vous nous faites peur, Franz, je ne sais pas si vous vous en rendez compte, mais vous nous terrifiez. Comment voulez-vous qu’on aime quand on a peur ?".
« …J’ai beaucoup travaillé à ma pièce… Elle est maintenant terminée : je crois que j’ai trois actes bien réguliers. Elle est trop longue, mais le raccourcissement, je le ferai plus tard. Danièle Darrieux, si les circonstances le permettent, jouera le rôle d’une actrice française pendant l’occupation, et Paul Meurisse celui d’un général allemand. C’est un examen aussi honnête que possible des différents qui se battent dans la cervelle de chacun, lorsqu’on est occupé et occupant.
Je ne peux pas dire que ce soit exactement une suite de La Grande Illusion ; mais enfin, après vingt ans de distance, ça fait partie des mêmes préoccupations. J’y montre des Allemands, j’y montre des Français, j’y montre des gens qui collaborent, j’y montre des gens qui sont dans la Résistance, j’y montre des gens qui n’ont pas d’idées… » (propos recueillis par Jacques Rivette et François Truffaut in Cahiers du Cinéma noël 1957)
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