Dans un restaurant huppé d'une capitale européenne, deux couples fêtent un anniversaire de mariage et un troisième célèbre une promotion. L'ultime pièce de Pinter à la fois crue, drôle et terriblement actuelle, livre des personnages exposés comme en vitrine, piégés dans un funambulisme absurde entre le bien et le mal.
J’ai été invité à travailler avec les élèves de la troisième année de l’école des Enfants Terribles et j’ai choisi de revenir à l’un des premiers auteurs qui m’avait fait aimer le théâtre, Harold Pinter. Célébration est la dernière pièce qu’il a écrite. Les répétitions m’ont passionné et l’opportunité de continuer le travail avec ces élèves m’a beaucoup plu. Ce spectacle marque à la fois un retour à mes premiers émois dramatiques et un nouveau cycle de travail sur le théâtre de l’absurde.
Ce qui est écrit n’est pas ce qui se dit, et c’est cet écart qui fait le génie de la dramaturgie de Pinter. Il semble exister entre les mots de l’auteur et les situations un écart, un entre2, qui donne au spectateur une place active. Le texte que s’adresse les interprètes cache des situations que nous avons dû imaginer. Ces conflits sous-jacents, nous les avons fait apparaître au plateau par des moments musicaux, interludes pendant lesquels les personnages se libèrent des non-dits imposés par le texte de Pinter ; le spectacle oscille donc entre une grande tension des corps, qui laisse penser que rien n’est dit, et des instants de libération et d’émancipation.
Je souhaite faire coexister la froideur des situations de Pinter et la musique de variété italienne afin de perturber les pistes quand à la localisation de ce restaurant que je ne voulais pas uniquement anglais mais européen. Je poursuis la recherche d’une esthétique du kitsch et du souvenir dans le mélange des références esthétiques. La direction d’acteurs est expressionniste, inspiré par les films de Murnau et Lang. L’expressionnisme met en jeu une dialectique du bien et du mal, un jeu d’ombres et de lumières mettant en avant la perdition de l’esprit dans les ténèbres. Entre ce qui est dit, ce qui est entendu, et ce qui est vu, se forme un chaos que l’esprit du spectateur doit recomposer.
Il a toujours été important pour moi de travailler les contraires ; la rigueur dans la détente, et la tenue dans la liberté. Le jeu pour les acteurs consiste donc à passer d’un jeu expressionniste et exacerbé à des instants de grande proximité et d’intimité avec le public. Cette expérience de la rupture doit créer un mouvement chez le spectateur qui s’apparente à l’expérience artistique du XXème siècle ; chaotique. Je porte beaucoup d’espoir en le caractère créateur du chaos. Je recherche donc les frontières de ses codes esthétiques.
À l’intérieur de ce restaurant, qui agit comme le catalyseur de tous les non-dits, les personnages basculent en enfance. Bercés par les affabulations du serveur, chacun.e dévoile ses souvenirs, enfouis profondément et, par essence, ardus à formuler. L’état de crise des corps entraîne une décadence dans l’action du souvenir. La décadence est un effondrement moral, l’instant de dilution des valeurs entrainant la pétrification des êtres. Ce qui est différent de la débauche qui est liée à la notion de plaisir.
L’action du souvenir fait basculer les personnages dans cette décadence. La mémoire est le moyen douloureux d’accoucher des pregnant silences des personnages. Selon la pensée de Camus développée dans Le premier homme, chacun.e des personnages semble chercher à naître aux autres après être né pour lui-même. Il est peut-être bon qu’il reste des mystères.
Jules Audry
Très bon jeu des acteurs, on ne s'ennui pas une minute !
Pour 1 Notes
Très bon jeu des acteurs, on ne s'ennui pas une minute !
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