Un dialogue entre théâtre et cinéma
La presse en parle
Le point de depart : Quel est le pesant de chair du cinéma dans ma vie ?
Le récit sur scène : Entre mémoire intime et mémoire collective
Beaucoup de gens de théâtre, acteurs, metteurs en scène, puisent une partie de leur inspiration et de leurs références dans les films. Même si cette source cinématographique de l’art théâtral n’est pas souvent évoquée, elle est réelle et profonde. Le septième art est une sorte de mythologie discrète avec laquelle les artistes de théâtre composent dans le processus de répétition et de création de leurs spectacles.
L’un des plus grands metteurs en scène français d’aujourd’hui, Joël Pommerat, rompt avec cette discrétion et explique avec beaucoup de franchise son rapport complexe et ambigu au cinéma. Voici quelques extraits de ce témoignage :
« Comment faire vraiment du théâtre sachant que j’ai passé toute ma vie de garçon et de jeune homme à voir des images cinématographiques ? (...) J’ai très peu vu de théâtre (jeune). Les gens de ma génération qui font du théâtre, à part des enfants de comédiens ou de metteurs en scène, ont été élevés dans l’image cinématographique (…) Il y a même eu un moment chez moi le désir concret de cinéma et j’ai fait du cinéma. Je me suis même interrogé sur le fait d’abandonner le théâtre (…) mais quand je suis revenu au théâtre, j’ai fait le deuil du cinéma et aujourd’hui je ne me soucie plus du cinéma (…) Je comble quelque chose d’une frustration de cinéma ou d’un désir de cinéma au théâtre, oui ! Mais ce que je revendique c’est que je le comble en faisant du théâtre et non pas un fac-similé de cinéma. Si on me dit que mon théâtre est du faux cinéma, je vais nier…mais sincèrement, oui, il y a de ça, ce qui ne veut pas dire que ma seule influence c’est le cinéma. »
Comme l’on sait, l’histoire de ces deux arts, de leur échange, de leur dialogue, n’est ni simple ni paisible. Souvent en concurrence l’un avec l’autre, car attachés tous deux à la fabrication de spectacles, la reconnaissance mutuelle de ces deux univers de création est assez rare.
Loin de vouloir assimiler et confondre en un seul spectacle théâtre et cinéma, j’entreprends au contraire la mise en scène concrète et vivante de leurs différences. Mais de ces différences, je ne fabriquerai pas entre eux le énième différend. Mon désir profond est de les rapprocher en une sorte d’odyssée transartistique où la langue de chacun dialoguerait avec celle de l’autre. Pour y parvenir, je veux travailler à partir d’un principe d’écriture présent dans la création cinématographique mais aussi parfois au théâtre : le montage. Jean-Luc Godard a une belle formule à ce sujet dans Histoire(s) du cinéma : « Le montage est un rapprochement. Le cinéma est un art pacifique, il est fait pour rapprocher. »
Cine in corpore part de mon désir de rapprocher théâtre et cinéma, d’en opérer un montage insolite dans lequel ces deux arts ouvrent un peu leurs frontières pour révéler une poétique des contraires.
« Le spectacle de Guillaume Clayssen, Cine in corpore, dont le titre dit bien que l’auteur-metteur en scène a le cinéma dans le sang, diffère de ce que l’on a fait jusqu’alors. Ce beau voyage dans un imaginaire fait d’imaginaires malaxés par le souvenir est séduisant et troublant. » Gilles Costaz, Webthea
« Les comédiens, également mimes et danseurs, font leur cinéma avec une inestimable fraîcheur qui renvoie à notre enfance.» Evelyn Trân, Le Monde
« Un spectacle impressionniste qui embrasse le temps d’un film standard quatre-vingt minutes l’histoire du cinéma et sa mythologie, sans oublier de demander au spectateur son avis sur sa vie dans les salles obscures (…). Guillaume Clayssen a réussi son pari. Pour une fois, cinéma et théâtre font bon ménage. » Philippe Person, Froggy's Delight
« Un travail remarquable, de documentation, d'inventivité et de réalisation porté par de jeunes interprètes tous excellents.» Nicolas Bourdon, Reg'arts
« L’actrice Laura Clauzel chante avec beaucoup de talent " Blue velvet " (...). Les acteurs passent avec aisance d’un registre à l’autre, de l’émotion au rire (…). Chacun pourra jouer au jeu de la reconnaissance du film évoqué, mais c’est de théâtre qu’il est question ici. Il y a une certaine ivresse à passer d’un monde à l’autre et c’est délicieux ! » Micheline Rousselet, SNES
« Cine in corpore cherche à interpeller la mémoire singulière du spectateur. (…) La création de Guillaume Clayssen laisse le spectateur dans un état de flottement post-générique extrêmement cinématographique - et assez lynchien. Une réflexion rêveuse, ludique et joliment menée.» Alexandre Prouvèze, Timeout
En sondant un jour les souvenirs de mon enfance et de mon adolescence, je me suis rendu compte de la place étonnante qu’avait occupé le cinéma dans la construction de mon identité. Je notais alors, à propos de mes expériences juvéniles du 7ème art, un trait commun à toutes. Chaque film marquant de cette période, film populaire ou film d’auteur, avait suscité en moi l’appétit concret d’un nouveau corps : corps volant avec Peter Pan, corps sauvage avec Tarzan, corps dansant et chantant avec West Side Story, etc. Aux souvenirs de films se raccrochaient donc immédiatement des souvenirs de corps venus d’un monde pourtant virtuel, un monde de pures images : le monde envoûtant du cinéma.
Cette anamnèse étrange autour de la chair transmise par les films, me donna immédiatement l’envie de mettre en scène ce corps cinématographique. La scène théâtrale est en effet le lieu le plus approprié, me semble-t-il, pour expérimenter et représenter l’incarnation rendue possible par le 7ème art. Ce que devient le corps du spectateur de films est, au sens propre, une histoire post-cinématographique. Ce devenir représente d’une certaine manière le hors-champ du cinéma que le théâtre, par la présence du vivant sur scène, peut raconter et révéler.
Le paradoxe de ce cheminement est qu’il faut faire appel, en vue d’incarner au théâtre ce corps cinématographique, à cet être double, cet artiste aux deux modes d’expression, cet artiste qui est à la fois du théâtre et du cinéma : l’acteur.
Dans Cine in corpore je propose donc à mes acteurs de prendre un chemin de traverse par rapport au processus de création habituel : à la place des grands textes dramatiques, les grands mais aussi les petits films de notre histoire personnelle du cinéma. L’image cinématographique comme lieu d’incarnation théâtrale ! Leur mémoire intime du 7ème art comme source d’inspiration et de jeu !
Au récit à la première personne du singulier, tous ces souvenirs intimes des films de nos vies, s’entrelacera un récit imaginaire et poétique constitué des fantasmagories qu’engendrent en nous tous les corps du cinéma : corps amoureux, corps monstrueux, corps au combat, corps chantant, corps dansant, corps étrangers, corps féminins, corps masculins…tout le corpus du 7ème art.
A la fois journal de bord cinématographique et rêveries à la Goya…
La création de Cine in corpore est un processus au long cours que je mène depuis déjà plus d’un an. Les sessions régulières de répétitions avec mes acteurs et tous mes autres collaborateurs m’ont permis de dégager progressivement les grandes lignes de cette création hybride entre cinéma et théâtre.
Travaillant sur la mémoire sensible et individuelle que chacun peut avoir du 7ème art, il m’a semblé important de connaître un peu mieux mes acteurs et de les interroger sur leurs souvenirs cinématographiques. Ce sont en effet ces souvenirs qui forment l’une des matières premières du spectacle. J’ai donc interviewé chacun d’entre eux sur son premier souvenir de film, l’acteur ou le cinéaste qui l’a marqué, la langue étrangère qu’un film ou une cinématographie lui a fait aimer, les émois amoureux ou érotiques éprouvés devant certains chefs-d’oeuvre ou non du cinéma, etc.
Ces petits documentaires m’ont permis de me rapprocher de la sensibilité et de l’imaginaire cinématographiques de mes comédiens. Ainsi l’une de mes actrices, d’origine Lettone, a vécu une grande partie de son enfance à ne voir que des films soviétiques édulcorés où les sentiments humains étaient toujours bons et où la morale de l’histoire toujours sauve. Après la chute du mur de Berlin, une révolution cinéphilique s’est opérée en elle. Les films étrangers, piratés et doublés par une seule et même voix, faisaient l’objet d’un trafic incroyable. S’ouvrit alors, pour elle et toute la jeunesse de l’ex-union soviétique, un univers souvent interdit par les parents mais irrésistible et enivrant. Un autre acteur de Cine in corpore, fut lui baigné dans le monde des super-héros masqués du cinéma (Batman, Zorro,etc.). Ces figures mythologiques du cinéma populaire l’entraînaient dans des jeux de rôles invraisemblables et interminables. Une autre actrice, elle, chantait les chansons des films de Demy comme dans les films de Demy, n’importe où, n’importe quand. Elle était également amoureuse de Jean Marais dans Peau d’âne, sans prendre vraiment conscience que le beau Jean Marais, dans cette histoire, incarne le père incestueux.
Après donc toute cette longue première étape de recherche, un canevas de Cine in corpore s’est élaboré où se mêlent à la fois la mémoire cinématographique de mes comédiens et une sorte de récit mythologique autour des grands corps du cinéma. D’un côté donc des souvenirs de films associés à un récit de vie : l’un va convoquer 2001 l’Odyssée de l’espace, un autre Mon oncle de Jacques Tati, etc. ; de l’autre côté, des mises en scènes très physiques et chorégraphiques des corps du 7ème art.
Cine in corpore partant à la recherche non pas du cinéma en tant que tel, mais de sa digestion, de son assimilation dans notre existence, adopte finalement ce point de vue hédoniste de l’auteur des 400 coups, François Truffaut : « Je crois fermement qu'il faut refuser toute hiérarchie de genres, et considérer que ce qui est culturel c'est simplement tout ce qui nous plaît, nous distrait, nous intéresse, nous aide à vivre. « Tous les films naissent libres et égaux », a écrit André Bazin. » (Le plaisir des yeux, F. Truffaut p. 36)
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