Cinq hommes

Comme tant d’autres clandestins, ces cinq-là ont quitté leur famille. ( ...) Daniel Keene donne la parole à des personnages que parfois le cinéma représente mais rarement le théâtre. Et cette parole n’a rien d’un bavardage trivial, elle leur est fidèle dans leur plus intime vérité avec une singulière dignité. Lyrique, surprenante ou cocasse, elle dit toute une humanité désemparée qui essaie avec ses armes de comprendre à quoi ça rime, cette vie.

Paroles de clandestins
Note du metteur en scène
Découvrir
Une question pour cinq Hommes
La presse

  • Paroles de clandestins

"La vie de chaque homme est pétrie d’absence : l’absence d’une épouse, d’un fils, d’une petite amie, d’un frère, de leur village, de leur terre natale. Ces choses demeurent en chacun de ces cinq hommes telles de puissantes images de leur passé et de leur avenir : le passé dont ils ont la nostalgie et l’avenir qu’ils sont pressés de voir arriver. Le présent n’est qu’une épreuve à laquelle ils doivent survivre". Cinq Hommes – Daniel Keene

Comme tant d’autres clandestins, ces cinq-là ont quitté leur famille, leur pays en quête de chantiers où l’on accepte ceux qui n’ont pas de permis de travail pourvu qu’ils se soumettent aux conditions imposées, comme loger à cinq dans le même baraquement. Et tant pis si leurs origines ou leurs religions peuvent les opposer.

Pour le patron, ils sont tous pareils, des déracinés, prêts à tout pour travailler. Travailler pour nourrir sa famille, travailler pour oublier la mort d’un enfant, la guerre, la prison, ou celle à qui on n’a pas osé dire « je t’aime », travailler parce que… sinon qui je suis ?

Daniel Keene donne la parole à des personnages que parfois le cinéma représente mais rarement le théâtre. Et cette parole n’a rien d’un bavardage trivial, elle leur est fidèle dans leur plus intime vérité avec une singulière dignité. Lyrique, surprenante ou cocasse, elle dit toute une humanité désemparée qui essaie avec ses armes de comprendre à quoi ça rime, cette vie.

On évoque les Rolling Stones et Mozart, on jure contre le camion en panne, on se souvient d’un poème de Villon ou d’un psaume. On rêve de changer l’Histoire ou au moins sa propre histoire, on apprend à se connaître un peu mieux les uns les autres et à se découvrir soi-même.

Texte français de Séverine Magois, Editions théâtrales.

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  • Note du metteur en scène

Peu d’auteurs dramatiques se sont penchés sur les conditions de vie des journaliers, ces travailleurs étrangers engagés sur les chantiers pour des périodes allant de quelques jours à plusieurs mois. Keene réunit ici cinq hommes qui ont dû quitter leur pays et leur famille pour errer de ville en ville à la recherche d’un emploi leur assurant de quoi subsister et subvenir quelque peu aux besoins des leurs.

Certains ne vivent que dans l’attente de leur retour au pays, d’autres semblent se fuir eux-mêmes dans cette existence ballottée entre engagements précaires et rencontres éphémères. Ces émigrés aspirant à un peu plus de dignité humaine et à une vie plus décente me rappellent les paysans nés de la plume de Markus Köbeli dans sa pièce Peepshow dans les alpes qui, en réclamant le droit de travailler, réclament surtout celui d’exister.

Ce thème me tient à coeur. J’ai joué dans un spectacle, Figure humaine de Ferdinando Camon, plaidoyer intense et subtil pour les paysans des terres les plus reculées d’Italie. Un souvenir très fort! Je me souviens aussi avec enthousiasme du film Pain et chocolat , portrait impitoyable et plein d’humour sur les Italiens émigrés en Suisse.

Comme ce film, Cinq Hommes détourne nombre de clichés sur les émigrés. Il ne s’agit pas ici d’individus rêvant de s’enrichir ailleurs avant de retourner au pays mais d’êtres humains confrontés à une séparation inéluctable, brutale et souvent dévastatrice.

La guerre, la famine ou un régime totalitaire ont arraché à leur pays ces hommes privés d’éducation, qui se retrouvent dans un autre pays, confrontés à leurs semblables dont ils ne partagent pas forcément les valeurs ni les traditions. La promiscuité exacerbe les tensions entre ces exilés aux destins contrariés. Ces travailleurs de diverses nationalités doivent apprendre à se parler et à tolérer l’autre dans son identité la plus intime. Il est beaucoup question d’humanité et de fraternité dans cette oeuvre puissante.

Robert Bouvier

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  • Découvrir

La découverte d’horizons différents, c’est ce que j’ai toujours privilégié depuis que je suis sorti de l’école supérieure d’art dramatique de Strasbourg.

Aller à la rencontre de ceux qui ne parlent pas mon langage, essayer de comprendre ce qui est nouveau pour moi et découvrir tout ce qui peut nourrir mon approche théâtrale dans son sens le plus large, cela m’a par exemple poussé à travailler pendant un an sur une création collective en arabe, anglais et italien avec une troupe de Jérusalem, El Hakawati, à travailler comme comédien danseur sur une chorégraphie de François Verret autour de textes d’Elfriede Jelinek, donnée au théâtre de la Ville de Paris puis en tournée, à me lancer comme comédien chanteur dans un spectacle musical en duo avec Yvette Théraulaz, Les gauchers aux théâtres de Vidy-Lausanne E.T.E. et au Poche à Genève, et aussi à réaliser des films, rédiger des articles de cinéma pour l’hebdomadaire français Le Point, écrire des adaptations pour la scène et l’écran ainsi que des scénarios originaux, donner des cours d’art dramatique à l’école des Teintureries ou à la Haute Ecole de Théâtre de Suisse Romande et même à diriger le Théâtre du Passage!

Mais je me ressource encore plus profondément lorsque je peux jouer ou mettre en scène. J’aime alors aller vers des textes qui me font découvrir un univers que je ne connais pas, par exemple celui de l’autisme lorsque j’ai joué Grand-père et le demi-frère de Thomas Hurlimann, ou cette pièce de Daniel Keene qui met en scène un Albanais, un Algérien, un Slovène, un Serbo-croate et un Hongrois et révèle la vie des travailleurs émigrés sur un chantier et dans la baraque où ils sont logés.

Cette pièce me confronte aussi à un style d’auteur que j’ai peu pratiqué, celui d’un certain réalisme poétique. Jusqu’ici dans mes mises en scène, j’ai abordé d’autres genres théâtraux, tels que la comédie satirique (Peepshow dans les alpes de Köbeli, La mort de Napoléon de Leys), la comédie musicale et féerique (Artemisia de Belbachir et Rabaglia), le monologue poétique (Saint Don Juan de Delteil, Roi de rien de Dimey, L’homme qui vivait couché sur un banc de Chappaz), la fantaisie surréaliste (Cronopes et fameux de Cortazar), le drame (Une lune pour les déshérités d’O’Neill ou, en collaboration avec Anne- Cécile Moser, Lorenzaccio de Musset).

La pièce de Keene, écrite en 2002, fait de la langue un de ses thèmes majeurs. Comment traduire ses sensations, ses réflexions, ses révoltes lorsqu’on ne sait pas vraiment maîtriser la parole, et qu’on ne dispose pas des outils nécessaires à l’affirmation de sa pensée? Les contrastes entre ce que ressentent les personnages, ce qu’ils osent exprimer lorsqu’ils sont seuls ou qu’ils écrivent une lettre et ce qu’ils essaient de se dire lorsqu’ils se retrouvent en groupe sont très riches.

Robert Bouvier

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  • Une question pour cinq Hommes

Qu’est-ce qu’implique pour vous le fait de jouer dans une langue étrangère ?

Antonio Buil, langue maternelle espagnole :
"Dans ma langue, les mots résonnent autrement. Ils sont immédiatement connectés à un sentiment, à une image. En français, j’ai l’impression d’être dans l’écho du mot, mais pas dans le sentiment auquel il est attaché. Les automatistes et les références ne collent plus. C’est un peu un exil. La question de l’humour est la plus forte pour moi. L’humour est une bouffée de liberté, un moment où on partage le rire avec les autres. Ca me manque parfois de ne pas partager cela en français.

Des fois, il m’arrive de traduire des fragments de texte dans ma langue, pour mieux les comprendre et l’explorer. Du coup, plein d’associations surgissent. Mais l’effort de prononciation donne aussi un plus. Si je pense à Peter Brook, par exemple, les mots sont dilatés, allongés. C’est très beau, c’est une manière de rendre le mot encore plus présent".

Bartek Sozanski, langue maternelle polonaise :
"Jouer en français, c’est à la fois une fraîcheur et un effort. En français, je n’ai pas de cliché, je n’ai pas un phrasé type, pas de mélodie figée dans la voix et dans l’expression des émotions. Je suis comme vierge. Mais le fait que cette empreinte sonore de la phrase ou de l’émotion me manque est parfois déstabilisant. Notamment quand j’ai un blanc sur scène, j’ai plus de mal à rebondir, même si mon vocabulaire est suffisamment riche. Le français sera toujours une langue étrangère que j’ai apprise à 21 ans. J’ai d’abord appris des mots et des expressions, et après seulement je les ai reliés à une émotion ou à une image.

C’est en partant de la phrase que j’ai dû trouver l’émotion. En polonais, c’est l’inverse. Parfois c’est frustrant pour l’analyse d’un texte. Dans le travail avec Bouvier, par exemple, lui sait immédiatement ce qui est important. Moi, je dois faire un détour : qu’est-ce que ça provoque chez moi ? Comment un mot, un son, une émotion me travaillent ? Je pioche dans mes souvenirs, mais plus de la moitié de mes souvenirs sont polonais, liés à la culture polonaise. En revanche, je ne passe jamais par ma langue, je ne traduis jamais un texte que j’apprends."

Boubacar Samb, langues maternelles wolof, diola, mandigue et français :
"Pour moi, la question ne se pose pas. Je suis né avant l’indépendance du Sénégal. J’ai donc appris le français académique à l’école, même si avec mes parents je parlais wolof. J’ai toujours baigné dans ce mélange détonant de cultures : j’ai à la fois grandi dans une culture très enracinée dans la tradition, avec des rites, avec la présence du sacré, mais aussi dans la pensée française, même si le français du Sénégal n’est pas celui de France ou de Suisse. La langue française représente une ouverture au monde. Je n’aurais probablement pas pu faire ce que j’ai fait sans cela."

Dorin Dragos, langue maternelle roumaine :
"Jouer en français, c’est difficile, car je ne connais cette langue qu’à l’oreille. Mais c’est un nouvel horizon et un artiste a besoin de ça. C’est une manière d’explorer l’univers. Je ne traduis pas les textes que j’apprends. Je pars directement du français et vais chercher les émotions dans mon expérience individuelle. Je fais. C’est tout. Je me sens très stanislavskien. La langue n’est pas une barrière : le texte n’est jamais qu’un prétexte. L’enjeu est ailleurs.

Abder Ouldhaddi, langue maternelle arabe :
"Je traduis systématiquement en arabe les textes que je joue. Pas en entier, seulement les fragments qui ne résonnent pas dans mon corps, dont les mots ne m’habitent pas et sont comme vides. Les mots trouvent ainsi une densité, un sous texte plus riche. Le travail est plus juste, plus vrai. Le texte français s’enrichit et acquiert une épaisseur, une souplesse et des couleurs.

Quand on travaille une oeuvre, on va chercher des sensations, on puise dans nos histoires de vie, dans notre enfance, qui est une réserve incroyable. En traduisant en arabe des extraits de pièce, j’ouvre une sorte de mémoire. C’est cela qui alimente cette chose mystérieuse qu’est la présence, parce qu’alors il y a un ailleurs qui surgit. Souvent, quand je passe par la traduction, mon accent réapparaît, alors que dans la vie de tous les jours, je n’en ai pas. Je crois que c’est parce que je relie très fort à mon enfance, à mes racines, à ma famille. Mais paradoxalement, quand je joue des classiques français, je dois me relier à quelque chose d’universel, qui n’appartient pas uniquement à ma culture maternelle."

Propos recueilli par Eva Cousido – Cinq Hommes au Théâtre Le Poche Genève – 4 au 24 décembre 2006

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  • La presse

« Un spectacle puissant. A la sortie de la première de Cinq Hommes, on avait l’âme chavirée et le coeur ému. Pour parler des travailleurs de la clandestinité, Robert Bouvier a donc eu raison de miser sur l’authenticité en engageant des comédiens issus du pays de leur personnage. » Marie-Pierre Genecand, Le Temps

« Une création émouvante et puissante, entre réalisme brut et poésie, un spectacle fort dont on ressort grandi, le coeur ouvert. » Anne-Sylvie Sprenger, 24 Heures

« Fort d’une troupe internationale solidaire et naturellement polyglotte, la mise en scène de Robert Bouvier s’insère avec dynamisme dans une scène restreinte, les cinq hommes étant comme enfermés par le mur d’ombres qu’ils construisent, enfermés dans un chantier que fissure l’immense absence du reste du monde. Et l’ouverture du spectacle est tout simplement extraordinaire. » Nicolas Cavaillès, Sitartmag

« Une forme de réalisme qui n'exclut pas la poésie – et encore moins une certaine violence, parfois larvée, parfois directe. Une production de la Compagnie du Passage, finement dirigée par Robert Bouvier, qui met en scène cinq comédiens épatants. » Michel Caspary, 24 Heures

« Au terme de la pièce de Daniel Keene, Paco, Luca, Larbi, Diatta, Janusz auront exprimé, chacun à sa manière, des blessures, des rêves, des bribes d’espoir. Autant d’émotions communes aux déracinés qui ont résonné en nous comme les émotions d’authentiques frères humains. » Dominique Bosshard, L’Express/L’Impartial

« Mêlant réalisme et abstraction, la sobre mise en scène de Robert Bouvier prouve qu’un thème que l’on pourrait croire trop cinématographique ou un brin bien-pensant peut trouver au théâtre un outil à la fois subtil, efficace et émouvant. » Mireille Descombes, L’hebdo

« Cinq Hommes raconte des âmes, solitaires, belles ou mesquines. La vie crue, sans son théâtre d’ombres. Les acteurs, vrais, nous transportent entre rire et boule au ventre dans ce monde qu’on occulte. » Sophie Winteler, L’illustré

« Pièce intelligente et sensible montée par Robert Bouvier, Cinq Hommes bénéficie d’une admirable distribution. Sans manichéisme ou compassion excessive, elle enrichit quand d’autres s’emploient à rendre les cerveaux disponibles. » Lionel Chiuch, Tribune de Genève

« Une pièce qui m'a totalement charmée, émue, transportée, qui fait partie de ces spectacles qui ont la grâce, où tout est juste, où tout est à sa place. » Marie-Pierre Genecand, RSR-Espace 2, Dare-Dare

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Informations pratiques

Cartoucherie - Théâtre de la Tempête

Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Cartoucherie
  • Métro : Château de Vincennes à 1 km
  • Bus : Cartoucherie à 174 m, Plaine de la Faluère à 366 m
  • Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.

    En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
    Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.

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Plan d’accès

Cartoucherie - Théâtre de la Tempête
Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Spectacle terminé depuis le dimanche 25 mai 2008

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